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ment. Ses principes les plus indispensables, n'est-ce pas à l'ordre moral qu'il les emprunte? Jetez, en effet, les yeux sur les fondements de l'économie politique, vous verrez que la plupart des idées qui servent de base à cette science appartiennent à la langue de la morale et du droit naturel propriété, liberté, responsabilité, intérêt personnel, justice, sociabilité. C'est le droit naturel qui établit le principe de propriété que l'économie politique commente et développe à sa manière; c'est la morale, cette science des devoirs et des droits, qui analyse et détermine les principes et les règles du juste et de l'injuste; c'est elle qui constate le droit de l'homme par rapport aux choses, ses devoirs envers lui-même, ses droits et ses devoirs à l'égard des autres; principes dont l'économie politique s'inspire, pour en faire toutes les applications de son ressort. Or, si ces principes, empruntés à l'ordre moral, sont vrais et certains, les conséquences qui s'en tirent par voie de déduction ne le seront-elles pas aussi? C'est une seconde façon d'établir la légitimité de l'économie politique qui me paraît avoir aussi sa valeur, et sur laquelle je crois qu'il n'est pas hors de propos d'insister un peu.

J'ai défini l'homme une force libre, ou plutôt ce n'est pas moi qui l'ai défini ainsi, c'est la philosophie spiritualiste. Le matérialisme ne voit dans l'homme qu'une pure sensation sans droit véritable, sans devoirs dignes de ce nom; car quels sont les droits et les devoirs d'une sensation? Toute la loi de la sensation, c'est de se développer sans se préoccuper le moins du monde de ce qui est bien en soi ou de ce qui est mal. La sensation est fatale, elle est aveugle, irresponsable, dominée par le plaisir et par

la crainte. Qui dit sensation dit passion; qui dit passion dit l'opposé du libre arbitre; car c'est surtout dans la lutte contre la passion que la liberté morale prend conscience d'elle-même. Dès que vous me parlez d'obligation morale, de justice, vous me faites pénétrer dans un autre monde que celui de la passion; vous me faites pénétrer dans le monde tout autrement sublime, tout autrement harmonieux de la liberté. La liberté est l'attribut éminent de l'homme. Le rôle des besoins est de la mettre en jeu, de la pousser à agir; celui de la raison est de l'éclairer. Or, comment la force libre se manifeste-t-elle ? par le travail qui n'en est que le développement et que l'exercice régulier. Tout travail est donc libre par essence, comme la force dont il émane. Le travail libre, ce point de départ de l'économie politique, a son origine dans le fait moral de la liberté de la personne humaine. Il est sacré, parce qu'elle est sainte et inviolable. Voilà un premier résultat; en voici un second. Cette liberté est, pour ainsi dire, armée de facultés diverses: facultés intellectuelles qu'elle dirige et qu'elle applique; facultés physiques qui obéissent à ses ordres. Assurément ces facultés sont bien siennes, elle en est maîtresse nonseulement par droit de nature, mais par l'effort même qu'elle fait pour s'en emparer et les discipliner; et si ces facultés lui appartiennent, comment veut-on que le produit de ces facultés ne lui appartienne pas ? Ainsi naît la propriété, fille du travail libre, et fondement sans lequel l'économie politique s'écroule. Mais la priété et la liberté du travail n'épuisent pas encore le cercle des idées fondamentales de l'économie politique. Ceci est à moi, de par la consécration de la personne

pro

humaine qui s'y est librement appliquée, de par l'effort libre du travail; ceci est à moi, et je ne pourrais en disposer librement! Avant toute réflexion, je sais, je sens que je puis le donner, le transmettre. Ainsi le veut la justice. Le don, l'hérédité, véritable don fait par le propriétaire légitime à ceux qu'il substitue à son droit, sont des applications des mêmes principes. Maintenant, si je puis donner, transmettre, pourquoi n'échangerais-je pas? Échange de produits, échange de services, il importe peu; mais échange librement consenti de choses librement créées. Ajoutons que ces services qui ont coûté de la peine ont de la valeur par là même. Tout objet qui possède de la valeur a demandé des efforts pour être produit, ou en demande pour être obtenu. Ainsi tout s'enchaîne liberté, propriété, hérédité, échange, valeur. Ainsi le fait économique sort des profondeurs du fait moral, brillant de la même évidence, et marqué par lui du sceau de l'inviolabilité.

Ces principes, l'économie politique s'en empare, elle les applique dans la sphère de ses attributions, elle les développe, elle les féconde. Elle commente le juste par l'utile. Elle montre dans la garantie de la propriété le stimulant de l'épargne, la cause de la richesse, l'espoir aussi bien que le droit du travailleur. Elle prouve que la liberté qui se traduit pour elle par la faculté de choisir sa profession et de l'exercer à son gré, dans les limites du droit d'autrui, est plus productive que le privilége. Elle fait voir dans l'hérédité l'aiguillon qui pousse l'homme à produire, en considération d'autres êtres sur qui se répand pour ainsi dire son existence. Elle démontre que la liberté du commerce n'est pas moins féconde

dans ses effets que sacrée en elle-même. Certaine de toute la certitude qu'elle emprunte à ces principes, elle leur renvoie, en quelque sorte, la lumière qui lui est propre. Témoignage assuré de l'unité de la nature humaine, malgré la diversité de ses manifestations, preuve palpable de l'union intime des sciences morales, qui a son point de départ dans cette unité de l'esprit humain! J'ajouterai que l'économie politique ne se borne pas là; d'autres idées encore, celles de sociabilité, de solidarité, par exemple, ces idées essentielles à l'humanité, comme le sont celles de liberté et de personnalité, ces idées qui resplendissent du double éclat de la philosophie et du christianisme reçoivent de l'économie politique un commentaire non moins original, une confirmation non moins puissante, en même temps qu'elles lui servent de solides points d'appui. Sans doute, l'homme est sociable par sympathie, mais il l'est aussi par intérêt. Faible dans l'isolement, il n'est puissant que par la société. La division des travaux, qui suppose plusieurs branches auxquelles se rattache la grande famille des travailleurs, l'échange qui les met en rapport, sont des applications de ce penchant de l'homme à s'associer. L'économie politique, qui fait un si large emploi de cette idée, contribue à l'étendre entre les peuples et au sein de chaque société. Autrefois c'était une croyance universellement répandue, même chez les hommes éclairés, témoin Montaigne, qui ne fait qu'exprimer en ceci l'opinion commune, que le dommage de l'un fait le profit de l'autre. On soupçonnait à peine, et le plus souvent on semblait nier systématiquement, ce que l'événement aussi bien que la théorie a pourtant démontré, que les individus

dans un même peuple et que les nations prises en masse peuvent s'enrichir simultanément, et le niveau du bienêtre monter pour tous. De même qu'à l'extérieur, par suite d'une confusion de la richesse avec le numéraire, on croyait qu'il s'agissait surtout de soutirer l'argent de l'étranger et d'exporter beaucoup en important peu, ce qui était tout simplement impossible, de même, à l'intérieur, on se figurait la masse des richesses comme une quantité à peu près fixe, où les uns ne pouvaient puiser qu'aux dépens des autres; pensée tout à fait propre à entretenir les divisions entre les classes et à servir d'aliment à l'esprit révolutionnaire. L'économie politique a eu l'honneur de réfuter scientifiquement ces erreurs, et de démontrer dans le domaine des intérêts le dogme de la solidarité. Il lui a suffi de se former une notion nouvelle et plus exacte des conditions auxquelles se produit la richesse. Par là, elle a intéressé les peuples à leur prospérité mutuelle, en même temps qu'elle contribuait à l'égalité entre les classes par l'abolition des monopoles et des priviléges. En tout, elle a substitué à la vieille idée de l'antagonisme, mère des dissensions et des guerres, l'idée pacifique et bienfaisante de l'harmonie générale.

C'est de la même manière que l'économie politique s'approprie et commente l'idée du progrès, dont on a si fort abusé de notre temps. Ce n'est pas sans un profond étonnement que nous avons entendu répéter souvent par l'esprit de parti qu'elle la répudiait. Je n'ai point à faire l'apologie des hommes qui personnifient la science aux yeux du public. Pourtant, je ne puis oublier que si, au dix-huitième siècle, l'école de Quesnay représentait mieux qu'aucune des écoles régnantes le pro

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