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adoucir des frottements pénibles. Tant que ces conditions de la pacification sociale manqueront, l'industrie et la société seront dans un état de souffrance; mais la charité, même privée et libre, ne saurait pas plus calmer tous les maux que l'intervention de l'État ne saurait suffire à l'organisation du travail; le principe de l'ordre et de la fécondité est ailleurs.

A des moyens vicieux ou insuffisants, la science économique, sans avoir la prétention chimérique de détruire tous les maux, substitue des remèdes mieux entendus, puisqu'ils sont puisés dans la connaissance de la nature humaine et dans l'étude approfondie des phénomènes industriels, des remèdes plus certains, puisqu'une expérience déjà étendue permet d'en apprécier la valeur. Ces remèdes, elle les tire du respect même et du développement des besoins que Dieu a mis dans l'homme, des principes dont il a doté sa pensée et des vérités qu'il lui a donné d'apercevoir, de la liberté dont il l'a doué, du sentiment de ses droits qui y prend sa source, du sentiment de ses devoirs qui en est le contre-poids et la limite. Ces remèdes, elle les résume particulièrement dans un mot : liberté du régime industriel. C'est cette liberté tant maudite sur la foi d'inconvénients accidentels et passagers dus eux-mêmes le plus souvent moins à l'application de la liberté économique qu'aux atteintes qu'elle subit encore, c'est la concurrence qui établit l'ordre dans la production industrielle, en même temps qu'elle y fait circuler la vie et qu'elle en multiplie la puissance. C'est elle qui attire le travail dans les lieux et dans les carrières où il fait défaut et qui pousse les capitaux à rechercher les industries où ils peuvent recevoir un emploi fructueux, bientôt

les

profitable à la masse. C'est elle qui limite les unes par autres les prétentions des capitalistes, et qui règle le taux de leurs profits, non d'après les exigences de leur avidité, mais selon la masse et la qualité de leurs services. C'est elle qui, en augmentant la somme des produits, augmente les débouchés, multiplie les ventes et les achats, associe les industries, non pas seulement d'une province à une province, d'un royaume à un royaume, mais d'un continent à l'autre. C'est elle qui tend sans cesse et qui réussit davantage, à travers des obstacles s'affaiblissant toujours et reculant sans entièrement disparaître, à la juste rémunération des services, à l'exacte balance entre l'offre et la demande, à la participation plus forte du travail aux bénéfices, à l'élévation du salaire nécessaire, dans lequel se trouve comprise de plus en plus la rétribution exigée pour procurer au travailleur les moyens de culture qui en font un être intelligent, comme les joies de la famille qui en font un être moral. Sous l'empire de quels mobiles, de quels principes s'est opérée et s'opère cette pacifique révolution, due à l'action continue du travail et du capital? Sous l'empire de ces mobiles et de ces principes de l'ordre intellectuel et moral que nous avons vus au commencement de cette étude présidant à la venue au monde de l'industrie, et eux-mêmes alors faibles et naissant à peine. C'est grâce à ces principes que le travail s'est perfectionné dans ses moyens, accru dans ses effets; que le capital s'est formé, augmenté, répandu, et qu'il a permis par un juste retour à ces nobles principes, émancipés par la propriété et par le loisir du joug de la matière, à la fois de s'élever en niveau, et de se développer chez un plus grand nombre

de nos semblables. C'est parce que l'homme a une intelligence qui prévoit, une liberté qui lui permet d'agir sans contrainte, un amour de soi qui le pousse à se conserver, à se développer, c'est parce qu'il est et se sent responsable de ses actes, c'est parce qu'il est sympathique et sociable, c'est enfin parce qu'il est perfectible à ces divers points de vue, qu'il a pu tirer du travail et du capital les prodiges de la civilisation. La vertu de ces principes n'est pas épuisée. A mesure que l'homme continue à se développer comme individu animé de besoins énergiques et variés, renfermés toutefois dans les limites de l'honnête, qui n'est lui-même qu'un de ces besoins sublimes de notre nature, destiné à épurer et à modérer tous les autres, la production suit une marche ascendante. A mesure qu'il se perfectionne comme être sociable, c'est-à-dire à mesure que les haines de classe à classe et de peuple à peuple s'effacent pour faire place à des sentiments plus bienveillants et plus justes, la distribution des produits s'opère avec plus d'égalité comme avec plus d'abondance entre les individus d'une même nation et entre les membres divers de la famille humaine.

SYSTÈME DE LAW'

Parmi les choses mortes, mortes après avoir fait en leur temps le plus de bruit, le système de Law, que nos pères appelaient plus brièvement le système, est encore une de celles qui réveillent les souvenirs les plus vivants. Chaque fois qu'il est remis sur le tapis par les recherches de quelque nouvel historien, il est rare que le public y refuse son attention. Il est facile de s'expliquer cet intérêt persistant. Comme incident pittoresque et dramatique, l'histoire du système est à coup sûr une des plus étranges curiosités du passé, un des plus étourdissants épisodes de la folie nationale, nous devons dire, pour parler plus justement, de la folie ou de l'illusion humaine. Par là déjà il nous intéresserait. On aime à se rendre compte de ses vieilles erreurs quand on s'en croit revenu et désormais à l'abri. Comment peut-on être dupe à ce point? est un mot que les générations se transmettent fidèlement l'une à l'autre. Ajoutez que le système participe du double attrait de l'énigme et du

1 Recherches historiques sur le système de Law, par M. E. Levasseur, ancien élève de l'École normale. époque, par M. A. Cochut.

Law, son système et son

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roman, énigme mal débrouillée aux yeux de beaucoup de personnes, et qui suscite encore plus d'une interprétation et plus d'un commentaire en sens différent; roman de finances qui met en jeu et semble créer de nouvelles passions, en tirant des effets inconnus de ce besoin d'émotion, de cette fièvre du jeu, de cette apre cupidité, mobiles aussi vieux que le cœur humain, mais qui n'avaient jamais reçu un pareil aliment et pris un pareil essor. Non, jamais ce sentiment qui dit à l'homme dans un langage si doux et si violent à la fois : « Croise-toi les bras et deviens riche, » ne l'avait à ce point mordu au cœur. Ne vous étonnez donc pas que Law nous intéresse encore. Law est pour nous un ancêtre. C'est le vrai père de l'agiotage. On est bienvenu à nous en parler. Le système est autre chose que cet engouement d'un jour, que cette mascarade à la fois tragique et bouffonne qu'on s'est souvent complu trop exclusivement à y montrer; il est une date, la date d'une ère nouvelle, une des grandes nouveautés modernes. Quelle nouveauté que ce nom même de système appliqué pour la première fois à des plans de crédit! Les contemporains de Descartes et de Malebranche s'en fussent fort étonnés, il faut même dire scandalisés, ainsi que du sens nouveau donné au mot spéculer. Pour eux, spéculer signifiait méditer sur l'homme, sur la nature et sur Dieu. Combien y a-t-il, de nos jours, de gens qui l'entendent de la sorte, et qui dira pour combien l'influence de Law est entrée dans l'autre manière de l'entendre ?

Avec un peu d'intelligence et de justice, on reconnaitra sans peine que l'agiotage, quelque grande place qu'il

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