Page images
PDF
EPUB

dit, un sentiment fier de son droit, de sa valeur, en même temps que le respect et l'amour d'autrui. Il recommande d'éviter en haut l'ostentation des dépenses folles; il n'est pas venu dire au riche: « Jette tes biens à la mer; il lui a dit : Fais servir la fortune non à la satisfaction de tes passions, de tes caprices coupables, mais au bien de tous. Il ne défend pas à l'homme que les besoins accablent de s'élever jusqu'au bien-être ; il ne lui interdit pour cela que l'emploi des moyens criminels. Il prêche enfin l'union des classes, l'union des peuples, au nom de la justice et de la charité. L'économie politique, du point de vue et avec les arguments qui lui sont propres, n'a pas d'autres enseignements; et toutes les fois que ces enseignements se sont fait entendre au nom de la religion, et qu'ils ont été fidèlement respectés, l'industrie et le bien-être des populations se sont accrus avec l'esprit de réflexion et de prévoyance, avec l'ordre des sociétés et avec la paix du monde.

Résumons-nous sur une question qu'un volume n'épuiserait pas et que nous avons prétendu seulement éclaircir à l'aide de quelques faits saillants et de réflexions exactes. L'influence des climats sur les faits économiques est incontestable, mais limitée. Elle est d'autant plus grande que l'homme est moins développé comme être moral, et qu'il possède une industrie moins puissante. Les climats sont appelés à se niveler pour ainsi dire de plus en plus devant l'action humaine, à mesure que la civilisation se répandra et deviendra commune aux différentes branches de la famille humaine; non assurément qu'ils puissent jamais se confondre, pas plus que les nationalités ne sont destinées à disparaître; mais

leurs effets fàcheux pourront être de plus en plus atténués; et le phénomène qui a fait acclimater en Europe les productions végétales et animales de presque toutes les latitudes se généralisera et s'étendra, au moins dans une très-forte mesure, à tous les points de vue que peut embrasser le génie de la découverte. Les pays d'où nous sont venues la lumière et les premières découvertes de l'industrie recevront de nous avec usure le prix de ces dons immortels qui se sont comme flétris entre leurs mains. Les branches desséchées de l'humanité reverdiront. Cette loi physique en vertu de laquelle le soleil n'éclaire qu'une moitié du monde, tandis que l'autre est plongée dans les ténèbres, n'aura eu dans le monde de la civilisation son analogue que pour un temps. L'économie politique aura un compte croissant à tenir dans son application aux intérêts de ces vérités morales, dont la portée est universelle, la liberté, la justice, vérités qui forment son inspiration permanente, et un compte décroissant sans cesse des circonstances physiques qui ont retardé ou trop limité jusqu'ici l'action de ces principes. Cette franche reconnaissance de la supériorité de l'élément moral est le meilleur exemple qui puisse venir, comme elle est la meilleure leçon qui ressorte d'une science à laquelle on a fait trop souvent le tort de la croire exclusivement matérielle.

A PROPOS

DU REPROCHE D'INDIVIDUALISME

ADRESSÉ A L'ÉCONOMIE POLITIQUE.

Pour peu que peu que l'on jette un regard attentif sur la société, telle qu'elle a existé de tout temps, deux spectacles très-différents et propres à faire naître des réflexions d'une nature toute diverse s'offrent à l'observateur. Ils sont tellement communs que je crois tout au plus nécessaire de les rappeler par quelques exemples, pris pour ainsi dire au hasard, et parmi les faits qui nous sont le plus familiers. Voici un homme, le cas malheureusement n'est pas rare, qui semble n'avoir reçu le don du libre arbitre que pour en abuser. Il est malheureux. Nous disons: C'est sa faute, et nous passons outre. Celui-ci fait de sa liberté un meilleur usage. Il accepte franchement la condition de la vie humaine, le travail. Il est honnête. On le voit réussir, vivre du moins en paix avec luimême et avec autrui. Voilà un premier ordre de faits. Il a pour trait distinctif de présenter aux regards la peine suivant la faute, la récompense s'attachant au mérite.

1 Discours d'ouverture du cours d'Économie politique fait au Collége de France.

L'autre spectacle n'est pas moins commun. Pourquoi ce malheureux gémit-il sur le grabat d'un hôpital? Quel crime a-t-il commis? Quel excès du moins peut lui être reproché? Aucun. Son seul tort est d'être venu au monde. Il porte dans son sang un mal héréditaire. Depuis le berceau jusqu'à la tombe il gémira, disant au Ciel: Pourquoi suis-je né?

Non loin de lui, non loin de cette foule d'hommes qui ont reçu la vie comme un lourd fardeau à porter, tel autre possède une santé et des biens qu'il tient également de ses parents. Il a trouvé le logis prêt, la table toute dressée, les hommes disposés à le servir et à l'ho

norer.

A Dieu ne plaise que je ne voie dans de pareils faits que ce qu'ils ont ou semblent avoir de peu équitable, que ce qu'ils paraissent renfermer parfois d'accusateur contre la Providence! Ce serait là un pessimisme peu philosophique, contre lequel s'élèveraient à la fois la conscience universelle et une vue impartiale de la société. Le genre humain, arrivé à un certain développement, ressemble, à beaucoup d'égards, à ce fils de famille qui doit son bien-être au labeur de ses aïeux. Les enfants de cette grande famille récoltent aussi ce que les pères ont semé. A ceux-ci tout le poids de la peine, à ceux-là des jouissances qui ne coûtent plus guère à recueillir. Combien de choses pour lesquelles les générations qui nous ont précédés dans la carrière ont versé non-seulement leurs sueurs, mais leurs larmes et leur sang, et pour la possession desquelles, nous qui sommes venus plus tard, nous n'avons pris aussi que la peine de naître! Telle vérité est devenue commune, elle a coûté la vie

au premier qui osa la dire. On use quotidiennement, et sans y songer, de découvertes qui n'ont valu à leurs auteurs que des persécutions ou des mécomptes. Un faible individu, sur un petit point de l'espace, pendant un court moment de la durée, montre un génie exceptionnel, une vertu au-dessus du commun niveau, et voilà un foyer de lumières et d'inspirations généreuses allumé pour des siècles. Dira-t-on qu'une pareille loi n'est pas divine? On a nommé les deux lois qui régissent le double ordre de faits que nous venons d'esquisser très-imparfaitement. L'une, c'est la loi de responsabilité, n'a rien qui nous surprenne. Nul ne s'étonne que l'individu coupable soit puni, que l'honnête homme soit heureux; c'est le contraire qui excite en nous une surprise douloureuse. L'autre, c'est la loi de solidarité, est beaucoup moins aisée à comprendre. Disons-le, elle est un mystère. L'idée philosophique d'humanité, de fraternité, en part, sans chercher le plus souvent à s'en rendre compte. Les dogmes chrétiens de la chute originelle et de la rédemption la supposent sans l'expliquer. Mais ce qui est hors de doute, c'est qu'elle existe, c'est qu'elle se révèle par les effets les plus saisissants et les plus nombreux.

L'économie politique n'a point à sonder le mystère de ces questions attrayantes et redoutables. Mais s'il ne lui appartient pas de scruter en eux-mêmes des principes qui expliquent tout et que rien n'explique, il ne lui est pas interdit d'en tenir compte, d'en saisir l'action générale et d'en suivre pas à pas les effets en ce qui la concerne. L'économie politique a dans l'homme son point de départ et son terme; elle a la société pour objet. Comment serait-elle indifférente aux principes qui président à la

« PreviousContinue »