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QUINZIÈME SIÈCLE; AGE DE TRANSITION. *)

§. 18.

A partir du XIVe siècle le moyen âge tombe en ruine. La chevalerie française est frappée à mort par la flèche plébéienne des archers anglais, aux plaines de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt. L'invention de l'artillerie déplace la force et achève la ruine du pouvoir féodal. Un nouveau pouvoir, bien faible encore, s'élève et se prépare de loin à de grandes destinées. C'est la bourgeoisie, c'est le peuple. Il apparaît aux états avec Robert le Coq et le prévôt Marcel; sous les traits d'une jeune fille des champs, il s'arme pour l'indépendance du pays et reconquiert le royaume. Enfin le génie bourgeois et antichevaleresque s'assied sur le trône dans la personne du roi Louis XI et achève d'accabler le génie féodal dans celles des vaillants et téméraires ducs de Bourgogne. La littérature du quinzième siècle exprime cette situation politique; les productions les plus remarquables ont un caractère plébéien et vulgaire. Nous avons déjà vu Commines succéder à Froissart, sur le théâtre nous avons entendu les confréries et la Bazoche. La chaire chrétienne n'échappe pas à cette commune destinée. C'est alors que retentit dans les églises une éloquence également populaire par son inspiration et par ses formes qui dirige ses traits contre les riches et les puissants du monde. Il n'y a qu'un langage en France, c'est celui du peuple, qu'une éloquence, c'est une éloquence plébéienne. La poésie présente le même caractère.

Le poète le plus remarquable de ce temps, le premier en date de tous les poètes modernes (car Charles d'Orléans est le dernier des trouvères) fut maître FRANÇOIS VILLON, écolier de l'université de Paris, vrai bazochien, espiègle,

*) Charpentier, Tableau historique de la littérature française au XVe siècle.

tapageur, libertin, né à Paris 1431. Il vécut dans une misère profonde; la détresse le poussa au larcin et presque au gibet. Deux fois condamné à être pendu, deux fois il obtint sa grâce d'abord du parlement, ensuite du »bon roi«<, ce qui veut dire Louis XI. Ses oeuvres ne ressemblent en rien à celles de ses prédécesseurs. Il ne chante rien d'étranger à lui-même; c'est sa vie, ce sont ses idées, ses émotions personnelles qu'il raconte. Il nous décrit le petit monde vulgaire et pourtant très caractérisé qui tourne autour de lui; il nous redit ses amours, ses fautes, ses malheurs, il se plaint sans amertume et même sans tristesse, il chante sa misère parce qu'il est poète et que son malheur a un côté poétique. Il est le premier en France qui ait trouvé la poésie des sujets simples, l'image vive, la sensibilité au milieu du sourire et même la mélancolie. Tout cela naît chez lui sans effort; il ramasse sa poésie à ses pieds, dans les rues, souvent, hélas, dans les ruisseaux de Paris. Il a la philosophie gaie et triste, sérieuse et moqueuse du néant et de la fragilité des biens de la terre; elle lui donne une indifférence, un courage enjoué contre tout malheur et du mépris pour toutes les grandeurs. On sait par coeur sa ballade sur les dames du temps. jadis, dont le refrain: Mais où sont les neiges dantan? (de l'an passé) exprime à la fois une leçon pleine d'une grandeur lugubre et un sentiment poétique et profond. Que dire de ces méditations que lui inspire la vue du charnier des Innocents où sa place est déjà marquée:

Quand je considère ces têtes
Entassées en ces charniers
Tous furent maîtres des requêtes
Ou tous de la chambre aux deniers,

Ou tous furent porte-paniers,
Autant puis l'un que l'autre dire;
Car d'évêque ou lanterniers

Je n'y connais rien à redire.

Et ycelles qui s'inclinaient
Unes contre autres en leur vies,
Desquelles les unes régnaient
Des autres craintes et servies,

Là les vois, toutes assouvies
Ensemble en un tas pêle-mêle;
Seigneuries leur sont ravies,

Clerc ne maître ne s'y appelle.

C'est le même homme qui lègue gaîment ses grandes lunettes aux Quinze - Vingt et à la terre un corps où les vers ne trouveront grand graisse, tant la faim lui fit rude. guerre. Villon excelle dans la ballade; ses principaux ouvrages sont le Petil et le Grand testament.

Nommons encore OLIVIER DE BASSELIN, foulon de Vire en Normandie vers le commencement du XVe siècle. Vers le milieu du XVIe siècle on nomma Vaux-de-Vire ses chansons populaires; on en fit depuis le vaudeville.

§. 19.

La poésie populaire du XVe siècle manquait d'inspiration et d'élévation morale; l'habitude des grandes choses et des affaires importantes manquait à l'esprit du peuple. L'incapacité des Valois, leurs vices, les fléaux de la guerre, l'invasion des conquérants anglais le laissèrent longtemps aux prises avec les besoins matériels. Dégradé par l'esclavage et la misère, il ne pouvait lever vers le ciel un mâle et libre visage. Voici qu'une révélation nouvelle va luire sur le front de l'affranchi. La noble antiquité sortie peu à peu des cloîtres et des manuscrits, grandie en Italie sous Dante, Petrarque et Boccace, multipliée par le bienfait de l'imprimerie va mettre ce peuple appauvri en possession de toutes les richesses des anciens âges. L'humanité à qui l'Evangile a enseigné de nouvelles vertus va rentrer en possession de l'héritage du paganisme, et réunir dans un vaste lit tous les flots épars de la tradition. Chaque peuple reprend sa vie personnelle et indépendante. L'unité du moyen âge se brise, mais pour se refaire un jour sur une base plus large. La société nouvelle aura pour tâche d'admettre dans son sein et de pacifier tous les contrastes de pensée et de race.

SEIZIÈME SIÈCLE OU LA RENAISSANCE.

§. 20.

Le XVIe siècle est une époque où les idées et les choses ont un caractère d'inspiration et de renouvellement.*) La Renaissance naît en Italie, elle est accueillie en France. Les rois de France franchirent les Alpes à la poursuite d'héritages douteux: ils trouvèrent en Italie l'exemple et le sentiment du beau. La jeune noblesse qui environnait Charles VIII ne rêvait que la belle Italie. François Ier, roi chevalier, artiste et lettré, donne l'impulsion à ce nouveau culte du beau et des lettres. Il voulut ouvrir à la science un nouveau sanctuaire, il créa le Collége de France en 1529: l'Italie y apporta son contingent de lumières. Léonard de Vinci était mort entre les bras de François Ier, Raphaël lui envoya ses chefs-d'oeuvre. Les architectes firent construire ces beaux châteaux de la Renaissance qui remplacèrent les vieilles forteresses féodales. **)

Jamais l'esprit humain n'avait développé une curiosité plus enthousiaste pour le passé, une activité plus passionnée pour les lettres. Les hommes supérieurs de ce tempslà sont des grammairiens et des érudits. Ils étaient si enfoncés dans l'étude du passé qu'ils pensaient, sentaient, aimaient, haïssaient dans les langues mortes. ***) Des hommes

*) Ste.-Beuve, Histoire de la poésie au seizième siècle. Chasles, Tableau de la littérature française au XVIe siècle.

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**) Il est remarquable que dans ce siècle où la chevalerie n'est déjà guère qu'un souvenir, les imaginations s'éprennent pour l'ancien idéal chevaleresque. Une nouvelle famille de héros romanesques fut importée de l'Espagne à la suite des lectures de François Ier durant sa longue captivité à Madrid. L'interminable histoire des Amadis en partie traduite de l'espagnol, en partie continuée par divers écrivains français, devint la lecture favorite de la ville et de la cour, des jeunes gens et des vieillards.

***) C'était à l'époque de la Renaissance qu'on puisait largement à la source latine de nouvelles richesses et qu'on reprend même pour un

qui s'étaient fait une célébrité dans le cercle des idées et des connaissances de leur époque, recommençaient leurs études sur la fin de leur vie, et allaient en cheveux blancs aux écoles où l'on enseignait la langue d'Homère et celle de Cicéron. Les imprimeurs pleins de la dignité de leur mission marchaient de pair avec les premiers savants de leur siècle. BUDE et ERASME de Rotterdam écrivaient d'une main et imprimaient de l'autre. La famille des ESTIENNE (ROBERT auteur du Thesaurus linguae latinae, son fils HENRI auteur de l'admirable Thesaurus linguae graecae) élevèrent l'art de la typographie à la plus haute perfection. François Ier fonda l'imprimerie royale et le Collége royal qui laissant à la Sorbonne l'étude de la théologie se remplit de chaires de grec, de latin, d'hébreu, de médecine, de mathématiques et de philosophie. L'influence de l'antiquité allait jusque dans la société civile et politique. François Ier songea à faire renaître la légion romaine. Déjà les piques formidables de la phalange macédonienne avaient joué un rôle dans les batailles. On imitait les Grecs et les Romains dans les usages de la vie, La Boétie mourait à la façon des héros de Flutarque en prononçant de graves discours.

Un esprit de réforme universelle s'était emparé de l'Europe à la fin du règne de Louis XII. Le protestantisme s'était glissé en France et y excitait de grandes luttes et des combats acharnés d'une part et d'autre; c'était un bouleversement général et les systèmes religieux, politiques, litté raires furent tour-à-tour attaqués et abandonnés; les idées et les hommes luttent, combattent, succombeut, se relèvent. La grande majorité des écrivains de ce temps, Rabelais, Marot, Montaigne, appartiennent au scepticisme.

autre usage et sans les transformer des mots dont la langue romane s'était emparée en leur donnant son empreinte.

Ainsi solliciter, - déjà longtemps reçu sous la forme de soucier

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