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qui obtiennent une célébrité éphémère en flattant le goût pervers du public; il a cette science de l'effet qui fait de l'art une lucrative industrie. On sent dans ses pièces l'absence de tout élan poétique, de toute affection morale. C'est aux nerfs des spectateurs qu'en veut le poète; c'est le corps qui parle au corps. Il a fait du théâtre une école de scandale et d'immoralité. *)

E. SCRIBE (1794-1861), l'auteur le plus fécond dans la comédie, remplissait ses cadres fragiles et toujours renouvelés par la facilité de ses conceptions et la verve toujours piquante de son dialogue. Un verre d'eau, Bertrand et Raton, la Camaraderie. Dans la composition de plus de 400 pièces qui portent son nom il eut beaucoup de collaborateurs.

FRANÇOIS PONSARD (1814-1867) débuta par deux pièces: Lucrèce et Virginie où il suivit le système classique. Dans l'Honneur et Argent et la Bourse il retourna au drame bourgeois et combattit l'agiotage et la cupidité de son temps. Le gendre de Monsieur Poirier par EMILE AUGIER (né en 1820) et Mlle de Seiglière par JULES SANDEAU sont du même genre et méritent le succès qu'ils obtinrent. OCTAVE FEUILLET (1812) s'est fait un nom par ses comédies, drames et proverbes dramatisés. LUDOVIC VITET (1802 — 1873) a donné des tableaux vivants du XVIe siècle dans ses Scènes historiques, les Barricades, la Mort de Guise et la Mort de Henri III. PROSPER MÉRIMÉE mystifia le public par son théâtre de Clara Gazul, comédienne espagnole, recueil de pièces composées par lui. La Jacquerie, scènes féodales est une heureuse imitation de Vitet.

*) Il a donné lui-même de ses oeuvres une critique sévère, mais bien méritée dans le passage suivant de son testament:,,Peu de personnes ont fait de leur vivant tant de bruit dans le monde que moi. Est-ce que, six mois après mon décès, on prononcera encore mon nom?“

PROSE.

Philosophie et critique littéraire.

§. 66.

CH. NODIER (17831844), charmant conteur, savant philologue, avait tant écrit qu'il ne savait pas lui-même les noms de tous ses ouvrages; la forme était tout pour lui, les grâces du langage furent sa plus sincère passion.

PAUL-LOUIS COURIER (né en 1773, assassiné en 1825), un des plus savants hellénistes de la France, écrivain aussi familiarisé avec les formes naïves de l'ancien français qu'avec les bienséances modernes. Il est difficile d'avoir plus d'esprit, plus de malice sous une apparente bonhomie. Dans sa Gazette de village et dans son Pamphlet des Pamphlets il a su réunir la grâce attique, le mordant de Voltaire avec la couleur du franc et énergique parler du peuple, da peuple qui a si bien conservé les idiotismnes des anciens écrivains. Mais ce qui entraîne surtout le lecteur, ce sont ces sentiments nobles, ce coeur loyal et franc qui donne de la chaleur aux moindres paroles. C'est surtout de ses ouvrages qu'on peut dire avec La Bruyère:,,Quand une lecture vous élève l'esprit et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon et fait de main d'ouvrier." Un tel écrivain prédisait une révolution littéraire. C'est au nom des vrais classiques qu'il ne pouvait souffrir leurs imitateurs.

ET. DE JOUY (1797-1847), poète et auteur dramatique, partisan des idées liberales, fit, lui aussi, une rude guerre à la Restauration. Sous le masque de l'Ermite de lu chaussée d'Antin il écrivait de légères et spirituelles esquisses des moeurs parisiennes qui amusèrent le public et piquèrent vivement sa curiosité.

§. 67.

LAMENNAIS (1782-1854), né à St. Malo, se destina de bonne heure à l'état ecclésiastique. A 35 ans il publia l'Essai sur l'indifférence en matière de religion. Son style nerveux et plein d'harmonie est digne des grands maîtres de la littérature. Dans la Religion dans ses rapports et le Progrès de la révolution il demande le rétablissement d'une autorité infaillible de laquelle toutes les tendances de la société moderne doivent relever. Sciences, arts, gouvernement, tout doit émaner et retourner dans l'autorité de la religion catholique dont le pape est l'infaillible interprète. La révolution de 1830 fit une profonde impression sur lui. Il fonda d'abord le journal 'Avenir pour servir d'organe aux idées catholiques unies aux idées libérales. Ses doctrines ayant été condamnées à Rome, il déclara la guerre à toutes les puissances de la terre dans ses Paroles d'un Croyant, véritable évangile démocratique, ardent de couleurs sombres et brûlantes, admirable de poésie et de style. Dans l'Esquisse d'une philosophie il se séparait encore plus de l'Église. Son dernier ouvrage est une traduction de Dante en prose et en effet nul autre n'avait plus de rapport avec ce poète et de vocation pour le traduire.

§. 68.

BENJAMIN CONSTANT (1767-1830), publiciste et orateur, l'ami intime de Mme de Staël, fut le chef de l'école libérale; la liberté individuelle, les garanties du citoyen et de la vie privée, l'indépendance de l'homme et de la pensée, voilà le but de tous ses efforts, les idées qu'il a développées dans ses romans: Adolphe et Cécile. Avec Rousseau il considéra la religion comme un sentiment qui naît dans le coeur de l'homme et cherche à nouer avec Dieu un rapport individuel. Mais il s'élève plus haut, mûri par l'étude de l'histoire et les idées de la philosophie allemande. Il suit les transformations successives du sentiment religieux chez tous les peuples dans sa Religion considérée dans sa source ses formes et ses développements et il y trouve

autant d'essais plus ou moins imparfaits pour satisfaire par des doctrines, par des symboles, par un culte, à l'impérissable instinct qui nous entraîne vers les choses infinies. Ajoutons que la gloire la plus populaire de Benjamin Constant était celle d'orateur parlementaire et qu'il a tâché de fondre l'immortelle trilogie de Schiller dans une tragédie Waldstein.

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§. 69.

La Critique littéraire atteignit une hauteur qui jusqu'alors lui était inconnue; elle déclara la guerre à l'observation étroite des règles conventionelles; elle remonta aux sources antiques; elle analysa et apprécia les origines de la langue française et les littératures étrangères jusqu'alors si dédaignées et l'art français vit s'ouvrir devant lui l'horizon de toutes les littératures d'Europe. SAINTE-BEUVE (1804 1869) et GUSTAVE PLANCHE (1808-1857) ont fait, de l'analyse des ouvrages de l'art, quelque chose de poétique et d'animé. Le journal du Globe et la Revue française réunirent les noms les plus honorables tous occupés dans la même tâche. Les critiques et les études littéraires de SAINTE-BEUVE ont été réunies par l'auteur sous les titres: Portraits littéraires, Causeries du Lundi, Nouveaux Lundis. Plusieurs de ces études sont de véritables chefs-d'oeuvre d'analyse psychologique et de style. Esprit délicat, observateur fécond, il a quelque rapport dans ses portraits avec les essayists anglais Carlyle et Macaulay.

ABEL-FRANÇOIS VILLEMAIN (1791-1870). Ses leçons de littérature à la Sorbonne en 1827 et 28 devinrent comme celles de Guizot et de Cousin l'évènement le plus important de l'époque; ces trois professeurs ont donné à l'instruction l'importance d'une institution politique. Son Cours de la littérature comprend le moyen âge et le dix-huitième siècle. Il a le premier élevé la critique littéraire au niveau de l'histoire. Sa plume élégante donne l'intelligence la plus complète des conceptions du génie en les entourant de toutes les circonstances qui ont présidé à leur naissance. Villemain a encore publié des Mélanges littéraires, des

Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, la Tribune moderne, les Hymnes de Pindarė, Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique dans ses rapports avec l'élévation morale et religieuse des peuples, une Histoire de Cromwell et l'Histoire de Grégoire VII. HENRI TAINE (1828) esprit indépendant, coloriste brillant, se fit un nom par ses ouvrages sur les philosophes français du XIXe siècle, Lafontaine, Tile Live, Voyage en Italie et surtout par l'Histoire de la littérature anglaise.

EDMOND ABOUT (1828), élève de l'École Normale de Paris et de l'école française d'Athènes: La Grèce Contemporaine qui châtia les moeurs et les institutions de la Grece moderne. Ses romans le roi des Montagnes, les échasses de Maître Pierre, Trente el Quarante rangent parmi les meilleurs productions du genre. Dans la Question Romaine il aborda la politique.

PRÉVOST-PARADOL (1829), un des publicistes les plus distingués, défenseur ardent du régime parlementaire, eut l'honneur d'une condamnation judiciaire pour son livre les anciens partis (1860). Son dernier ouvrage la France nouvelle a produit une sensation bien méritée. Croyant à la sincérité des réformes libérales de Napoléon III, il accepta la charge d'ambassadeur de France aux Etats-Unis; arrivé à New-York, il apprit la déclaration de guerre: accablé de honte d'avoir renié ses principes, il se donna la mort le 19 juillet 1870..

VICTOR COUSIN (1791-1867) popularisait en France les plus hautes doctrines des philosophes allemands. Il finit par rassembler ce que les diverses philosophies semblent avoir de meilleur et fonda l'éclecticisme. En littérature aussi son influence était grande; il enlevait le principe du beau au caprice individuel et à la sensibilité pour le placer à côté du vrai et du bien dans la sphère des idées abstraites. Sur le fondement des idées absolues du Vrai, du Beau et du Bien.

THÉODORE JOUFFROY, né en 1796 aux Pontets (Doubs), mort en 1842, maître de conférences à l'École Normale en

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