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d'opinions arrêtées, deux autres écrivains cherchaient à montrer avec une inflexible logique toutes les conséquences contenues dans le principe de l'autorité pure, c'étaient le vicomte DE BONALD et le comte Joseph DE MAISTRE (17541821). Ce dernier, né à Chambéry d'une famille noble, privé par l'invasion des Français en 1792 de tous ses biens, s'enfuit à Lausanne, à Turin, à Venise, enfin depuis 1802 envoyé du roi de Sardaigne à St. Pétersbourg: Considérations sur la France (1796). Du pape (1817). Les Soirées de Pétersbourg (1813). Il avait voué une haine mortelle à toute idée de liberté et à la révolution française. Certaines pages de ses livres exhalent une odeur de supplice; on y croit entendre le contre-coup des fureurs populaires.

§. 58.

Mme DE STAEL (1766-1817). Douée de tous les talents, accessible à toutes les idées vraies, à toutes les émotions généreuses, amie de la liberté, passionnée pour les arts, parcourant toutes les régions de la pensée depuis les considérations sévères de la philosophie et de la politique jusqu'aux sphères les plus brillantes de l'imagination, elle réunit les éléments les plus divers, mais avec une harmonie pleine de beauté. A défaut du bonheur qu'un mariage mal assorti lui refusait, elle aspirait au talent. La littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales renouvelait l'esprit de la critique littéraire et y jetait de nouvelles lumières. Le roman Delphine était un peu métaphysique, la pensée y prédomine, cependant les idées religieuses sont exprimées avec une haute éloquence. Elle n'avait pas encore compris la nature extérieure, la société était tout pour elle. L'Italie lui ouvrit les yeux: elle écrivit Corinne, son chef-d'oeuvre, son épopée. sut y encadrer les ingénieux incidents d'un roman dans une brillante peinture de l'Italie, de ses coutumes, de ses arts et de sa littérature. La mort de son père qu'elle aimait passionnément donna à son talent quelque chose de profond et de plus tendre. Son séjour en Allemagne ne fut pas moins fécond que celui d'Italie, il lui inspira une

Elle

oeuvre philosophique plein d'enthousiasme et de poésie. Dans l'Allemagne elle s'arrache aux préjugés français et rend de grands services à son pays en ouvrant la sphère où vivaient Lessing, Goethe, Schiller, Kant. Si l'auteur ne comprit pas toujours ces grands hommes, elle donna du moins le désir de les connaître. Nulle part on ne sent mieux l'union du bien et du beau que dans ses oeuvres; elle parle de littérature et l'on se sent enflammé de l'amour de Dieu, de la patrie, du genre humain. Faire une belle ode, dit-elle, c'est rêver l'héroïsme. Son style est original, sa pensée est presque toujours juste, l'expression la rend saillante et lui donne quelque chose de décisif.

Anne-Louise-Germaine Necker, née à Paris en 1766, épousa en 1786 le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède en France. La première période de sa vie littéraire nous la montre à la fin du dix-huitième siècle environnée des derniers représentants de cette époque, des Buffon, des Thomas, des Marmontel, des Sédaine, des Raynal, dans le salon de son père, le ministre philosophe, écoutant de savantes conversations, occupée de sérieuses lectures, s'exerçant au grand art d'écrire par diverses compositions dramatiques, et révélant les tendances de sa pensée et le point de départ de ses opinions par ses Lettres sur le caractère et les écrits de J.-J. Rousseau (1788). Sous le Directoire, elle exerça par ses salons une grande influence; sous Bonaparte son crédit baissa. Exilée à 40 lieues de Paris (1802), madame de Staël, qui avait déjà publié coup sur coup le livre De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), et le roman de Delphine (1801), quitta la France; en 1803 et 1804, elle visita une première fois l'Allemagne qu'elle devait revoir en 1808, et étudia la littérature allemande avec Goethe, Wieland, Schiller. Elle alla ensuite en Italie, où elle écrivit Corinne, son chefd'oeuvre (1805). En 1810 son livre de l'Allemagne, alors sous presse, fut saisi par la police impériale. Mme de Staël, rentrée en France depuis 1806, fut de nouveau exilée. Elle habita successivement sa terre de Coppet dans le canton de Vaud, Vienne, Moscou, Saint-Pétersbourg, la Suède et Londres, et ne revint qu'en 1815 à Paris, où elle mourut le 14 juillet 1817. L'Allemagne, interdite en France, parut à Londres en 1813.

Les Oeuvres complètes de madame de Staël ont été publiées à Paris par son fils en 1821, 17 vol in-8".

Ces deux esprits si dignes l'un de l'autre inaugurent le mouvement intellectuel de la nouvelle époque. Par eux la

poésie s'affranchit des lois arbitraires de la formule, l'autorité des âges précédents; mais avec eux renaissent dans la liberté d'une forme nouvelle les principes moraux et religieux qui doivent présider à la régénération sociale. §. 59.

Parmi les imitateurs de cette génération nouvelle il faut placer P. P. ROYER-COLLARD (1763-1846). Il avait pendant des années de retraite nourri ses souvenirs et élevé sa pensée par l'étude exclusive des plus rares génies. C'est en 1811 qu'au milieu de la plus grande gloire et du plus profond silence de la France, dans une petite salle de collége devant une quarantaine de jeunes gens il combattit le système de Condillac et des matérialistes et exposa la philosophie spiritualiste de l'école écossaise, des Reid, des Dugald-Stewart. Son enseignement ne dura que deux ans et demi, mais laissa après lui une trace ineffaçable. Il se renferma dans l'étude d'une seule question, celle de l'origine des idées. Quoiqu'il n'ait point laissé d'ouvrages, il a créé une école et produit un mouvement qui lui a survécu et qui aura de longues conséquences. Il établit la philosophie du spiritualisme et du devoir fondé sur l'activité spontanée de l'âme, et suivant rigoureusement la marche de la science sévère, il adopta à ses recherches deux méthodes, la méthode scientifique et la méthode historique.

Avant Royer-Collard, Maine de Biran (1766--- 1823) avait commencé en France la réaction spiritualiste. Il n'a laissé que des manuscrits et des fragments.

LA RESTAURATION.

Poésie.
§. 60.

Ce fut pendant les paisibles années de la Restauration que la littérature rentra dans les voies de la réforme.

Longtemps séparés par la guerre des autres états de l'Europe, les Français s'empressèrent alors de renouer avec eux les relations. Ils puisèrent à la source de leurs trésors littéraires, ils apprirent à connaître les richesses anciennes et modernes de l'Allemagne et de l'Angleterre. La littérature française vivait depuis deux siècles de formules toutes faites, empruntées aux classiques du règne de Louis XIV. Quant à la vraie nature, on se doutait à peine de son existence. Bernardin et Jean-Jacques avaient été à peu près les seuls auteurs du XVIIIe siècle qui s'en fussent directement inspirés. L'exemple des Anglais et des Allemands agrandit alors l'horizon de l'imagination poétique en France et de ces deux nouvelles sources d'inspiration naquit le Romantisme qui fut pour la littérature ce que la Révolution avait été pour la politique. D'un côté le poème d'Ossian, les romans de Walter Scott, les poésies lakistes, le génie étrange de Lord Byron, les drames de Shakspeare, de l'autre les oeuvres de Lessing, de Wieland, de Herder, de Schiller, de Goethe, toute cette admirable et opulente littérature allemande que Mme de Staël commençait à faire connaître, avaient révélé à la France une terre inconnue dont elle n'avait encore soupçonné ni la splendeur ni la gloire. Le XVIe siècle devint un objet d'étude et les productions du moyen âge si longtemps méconnu furent tirées de la poussière des bibliothèques. Ainsi préparés les novateurs auxquels on donna le nom de romantiques entreprirent d'introduire dans la poésie plus d'imagination, de sentiment, de naturel et de franchise. Cependant la révolution dépassa le but et bientôt elle fut obligée de rentrer dans des limites plus raisonnables. La réforme s'étendit au mécanisme des vers en rejetant la forme monotone de l'alexandrin et en admettant des rhyth mes plus libres. Elle modifia le fond de la poésie lyrique Tous les sentiments humains, tous les rêves de l'imagination, tous les caprices de la fantaisie et les idées philosophiques les plus élevées trouvèrent place dans l'ode. Le sentiment chrétien qu'on introduisit dans les élégies donna à ce genre une hauteur inconnue jusque là. La poésie dra

matique fut surtout l'objet d'une révolution radicale et montra des égarements singuliers. Les poètes s'adressèrent à l'imagination et au lieu de représenter la réalité humaine ou historique, ils choisirent des personnages imaginaires. Le mot d'ordre fut un instant d'imiter la nature, non plus seulement dans ce qu'elle a de noble et de grand, mais dans ce qu'elle a de plus hideux. Impressionner, faire de l'effet par tous les moyens, ce fut le but unique de tous les auteurs. Tous les crimes parurent sur la scène; en un mot:,,le laid fut le beau."

Le Romantisme était la révolte du génie propre de l'individu ou de la race contre l'idéal élégant, uniforme et soi-disant classique, imposé par la brillante société de Louis XIV. Tel fut le sens des travaux initiateurs de Herder qui devina le génie des peuples dans leur poésie primitive, telle fut plus tard la portée des vives intuitions de Chateaubriand, qui ressuscita le monde celtique et mérovingien. Ajoutez que les chocs violents de nations pendant les guerres de l'empire avaient mis en branle les passions élémentaires des peuples. Rien n'était mieux fait pour hâter dans le domaine intellectuel les renaissances nationales. Plus que jamais les peuples eurent conscience d'eux-mêmes après la tempête. La France, l'Allemagne, l'Angleterre s'efforcèrent de descendre, par l'étude de leur langue, de leur passé et du peuple, dans les arcanes de leur génie. Partout, à Paris comme

à Madrid, à Florence comme à Stockholm et à St.-Pétersbourg, se livrait la bataille entre classiques et romantiques. Angel Saavedra en Espagne, Silvio Pellico, Leopardi, Cesare Balbo en Italie, Pouschkine en Russie, Mickiewicz en Pologne, Petoefi en Hongrie réclamaient une littérature nouvelle. Tous ils disaient ou sentaient que la culture dite classique ne suffisait plus. Ils distinguaient derrière cette culture abstraite, idéale, élégante le moyen âge et les origines, derrière chaque peuple son histoire, ses traditions, ses dieux; dans ce passé ils lisaient en caractères plus visibles ce que nous sommes, et ce que nous serons. Tout cela se résume d'un seul mot: la force créatrice du XVIe siècle s'est allumée à la Renaissance, celle du nôtre éclate surtout dans le réveil du génie des races.

§. 61.

VICTOR HUGO né en 1802 à Besançon. Ses premiers ouvrages: Odes, Odes et ballades annonçaient un grand talent. On y trouve l'éclat de l'imagination, le trait hardi et fier et le contraste; on y voit aussi l'abus de l'antithèse

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