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DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

La littérature de l'Empire.

§. 55.

Le règne de Napoléon comme les temps révolutionnaires qui l'avaient précédé fut peu favorable aux arts de l'imagination. On faisait de grandes choses, on ne songeait pas à les écrire. L'épopée était partout excepté dans les vers. La tutelle du pouvoir empêchait le génie de se développer; la censure acheva de mettre les écrivains dans la main du maître. La littérature fut dès lors disciplinée comme tout le reste. Les passions politiques qui, après avoir fermenté dans la littérature de tout un siècle, avaient fait une si terrible explosion, disparaissent, se cachent ou se dissimulent. Il n'y avait qu'une littérature officielle, dont FONTANES était le grand dignitaire. Toute la versification demeurait entre les mains des disciples de Voltaire, des élégants mais faibles héritiers de Racine. C'est alors que fleurit cette école de poètes qu'on a nommés les classiques de la décadence, imitateurs des imitateurs. On travailla les vers comme une broderie; l'âme fut une chose superflue. C'est alors que se développa ce genre faux de la poésie descriptive dans toute sa gloire. JACQUES DELILLE (1783 1813) en fut le chef, et à force d'esprit il parvint à couvrir aux yeux de beaucoup de lecteurs ce qu'il y a d'antipoétique dans sa manière (les Jardins, l'Imagination, les trois Règnes, la Conversation, la Pitié). A sa suite marchaient une foule de poètes dans la même route. Plus une matière était aride, plus les poètes se croyaient de mérite à la traiter: la poésie n'était qu'une prose chargée

de métaphores, les poèmes devenaient par là un tissu d'énigmes plus ou moins difficiles dont le lecteur doit chercher le mot.*)

Surtout dans la Tragédie se montrait l'épuisement de l'école pseudo-classique. Le génie avait disparu, le système resta, seulement plus exagéré dans ses défauts. Toutes les pièces semblent sorties de la même moule. L'appareil obligatoire d'un songe, d'un poignard, d'une conjuration; des confidents, des tirades, des métaphores, une continuelle noblesse du langage, voilà ce qui fait ces tragédies. L'unité de-temps et de lieu est de rigueur, dussent les Templiers être accusés, jugés, condamnés dans les vingt-quatre heures. Les personnages sont de grands maîtres de rhétorique; ils savent à merveille ce qu'on doit dire sur chaque sujet, mais ce ne sont pas eux qui parlent, c'est la situation qui s'exprime par leur voix; ce sont des marionnettes héroïques, sacrifiant l'amour au devoir, inspirées par l'antithèse dans leurs actions comme dans leurs paroles, mais sans aucun rapport avec cette étonnante créature qu'on appelle l'homme, avec la destinée redoutable qui tour à our l'entraîne et le poursuit. (Mme de Staël.) Les pièces de MARIE-JOSEPH CHÉNIER (1764-1811) sont des plaidoyers politiques. Les mêmes défauts se trouvent dans les tragédies de Ducis (1733 -1816). Son imagination obsédée par les créations de Shakspeare cherche à les reproduire; mais obéissant au goût de son temps, il brise ces colosses, il change la pensée intime en des scènes et des phrases extérieures que rien ne motive ni ne justifie.

La Comédie est bien supérieure à la tragédie. PICARD (1769 1828) en est le plus fécond auteur; doué d'une imagination infatigable et d'une charmante gaîté, il fut le peintre de la vie ordinaire de l'homme. Chacune de ses pièces est le développement d'une maxime de morale pratique ou de prudence vulgaire. ANDRIEUX (1759

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*) Un âne sous les yeux de ce rimeur proscrit
Ne peut passer tranquille et sans être décrit.

1833)

(M.-J. Chénier.)

se distingue par la finesse et l'élégance de sa plaisanterie; il surpasse Picard par la correction et la grâce (les Etourdis, le vieux fat, Helvétius etc.). En outre il a écrit des contes qui pétillent d'esprit et qui rivalisent souvent avec les meilleurs de Voltaire. LECLERCQ (1777 1851) s'est fait un nom par ses Proverbes dramatisés qui contiennent des traits d'un naturel exquis et une variété de caractères esquissés avec tant d'art que dans quelques scènes on connait chaque personnage comme si on l'avait pratiqué pendant des années. MILLEVOYE (1782-1816) s'est distingué par plusieurs élégies tendres et pures qui respirent une douce mélancolie: La chute des feuilles, Le poète

mourant.

Renaissance du sentiment poétique.

§. 56.

La France au XIXe siècle poursuit un double but: d'une part elle cherche à rétablir sur des bases nouvelles les principes ébranlés par le siècle précédent; de l'autre elle veut renverser la dernière autorité qui ait échappé à l'émancipation générale, celle des règles de convention en littérature. L'avènement d'une société nouvelle en amenant des idées nouvelles et des. goûts nouveaux devait amener une nouvelle forme littéraire. André Chénier dans la poésie, madame de Staël et Chateaubriand dans la prose eurent les honneurs de l'innovation. Remplacer la poésie fade et compassée, le culte superstitieux de la forme et de ce qu'on était convenu d'appeler le bon goût, par l'âme, l'émotion, l'originalité et la vérité, c'était-là leur but. Les âmes fatiguées des agitations révolutionnaires cherchaient les choses inébranlables; elles se tournèrent vers la religion; un besoin secret d'émotions, une sentimentalité indécise avait succédé au siècle philosophique et matérialiste.

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§. 57.

CHATEAUBRIAND (1769-1848) créa un monde d'images associant le moyen âge chrétien à l'antiquité payenne.

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Il chercha à réveiller dans l'homme des croyances fortes et généreuses, à le ramener à la religion par la nature et la poésie. Il ne veut pas prouver le christianisme comme vrai, il se contente de l'exposer comme beau et sublime; c'est par le sentiment qu'il prétend régénérer le monde. Atala parut en 1801; ce mélange de la majesté du désert avec celle de la croyance religieuse, cette action simple et passionnée, cette langue magnifique excitèrent une admiration générale. René ajouta à l'enthousiasme; c'était un type général, un jeune homme dévoré d'un chagrin secret et inconnu, las du monde et de la société, s'enfuyant en Amérique pour y chercher la paix du coeur au milieu des sauvages. Le Génie du Christianisme est l'ouvrage dogmatique de Chateaubriand. Il en résume ainsi la pensée: ,C'est que de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres, que le monde moderne lui doit tout depuis les hospices pour les malheureux jusqu'aux temples bâtis par Michel - Ange et décorés par Raphaël, qu'il n'y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus sublime que ses dogmes et son culte, qu'elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses." Dans les Martyrs le poète voulut placer dans un récit épique le monde chrétien en face du paganisme. Les martyrs de l'église naissante, la persécution de Dioclétien offraient à Chateaubriand le rapprochement le plus frappant des deux croyances. Les tableaux et les descriptions dans cet ouvrage sont magnifiques, le poète réunit deux qualités précieuses et ordinairement séparées, l'exactitude la plus fidèle et l'imagination la plus brillante. Il avait visité lui-même les lieux qu'il devait peindre, il avait vu la Grèce, la Palestine, les immenses forêts et les fleuves gigantesques de l'Amérique. L'Espagne et son Alhambra lui avait fourni le plus parfait peut-être de ses ouvrages, le charmant récit: le dernier des Abencérages. Les Études historiques sont un ouvrage distingué par la conception brillante, la gravité et la beauté du style. Après sa mort on a publié les Mémoires d'outre

tombe qui se composent de trois parties, la première comprend les trente premières années de sa vie jusqu'à 1800, la deuxième l'Empire et la Restauration, et la troisième ses voyages et ses relations avec la famille royale déchue. Le sentiment, l'imagination et la vanité furent toujours les seuls guides de Chateaubriand. Son génie brillant fait germer en lui mille contradictions sans pouvoir les concilier au sein d'une vérité suprême, sa vie fut une opposition éternelle; il est l'avocat généreux de toutes les causes malheureuses.

François-René, vicomte de Chateaubriand, né en 1768 à Saint-Malo, d'une famille de vieille noblesse, était capitaine au régiment de Navarre, lorsqu'éclata la révolution. Il quitta la France en 1791, et s'embarqua pour le nouveau monde, où il passa une année à parcourir les solitudes de l'Amérique du Nord, ébauchant sur les lieux son poème des Natchez. En 1792, il revint en Europe et alla rejoindre à Coblenz l'armée des émigrés. Blessé au siége de Thionville et transporté en Angleterre, où il vécut quelques années dans le dénûment, il publia à Londres en 1797 son premier ouvrage, l'Essai sur les révolutions. Rentré en France en 1800, il publia l'année suivante dans le Mercure: Atala, qui fut accueilli avec un sentiment presque universel d'admiration. En 1802 parut le Génie du christianisme, dont Atala et René n'étaient que des épisodes. Remarqué par le premier consul, Chateaubriand fut chargé en 1803 de fonctions diplomatiques dont il se démit en 1804, après l'exécution du duc d'Enghien. En 1806, il visita la Grèce, l'Asie Mineure, la Palestine et l'Égypte, qu'il devait peindre dans son épopée des Martyrs (1809). Ses notes et ses souvenirs de voyage formèrent la matière de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, publié en 1811. Il fut élu la même année membre de l'Institut, à la place de Chénier; mais il ne put prendre possession de son siége qu'après la Restauration. Au retour des Bourbons, Chateaubriand fut nommé ambassadeur de France en Suède. Il accompagna Louis XVIII à Gand, et devint un de ses conseillers. A la seconde restauration, il fut nommé ministre d'État et pair de France. Disgracié en 1816, il rentra en faveur en 1820, fut de nouveau congédié en 1824, et rappelé au pouvoir en 1828. Après la révolution de 1830, il se retira des affaires et revint à ses travaux littéraires. En 1831, il donna ses Etudes ou Discours historiques. Il acheva dans la ret aite des mémoires sur sa propre vie, commencés dès 1811, et qui ne parurent qu'après sa mort, les Mémoires d'outre-tombe. Il mourut à Paris en 1848. ·

Tandis que Chateaubriand, trop grand pour se tenir tout entier dans un parti, eut plus d'imagination que

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