Page images
PDF
EPUB

Théodose, parle du dieu d'Héliopolis de Syrie et de son oracle, et des fortunes d'Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistait encore de son temps.

Remarquez qu'il n'importe pour notre dessein que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient effectivement rendu les réponses qu'on leur attribue. On n'a pu attribuer de fausses réponses qu'à des oracles que l'on savait qui subsistaient encore effectivement; et les histoires que tant d'auteurs en ont débitées, prouvent du moins que l'on ne croyait pas qu'ils

eussent cessé.

[blocks in formation]

Cessation générale des Oracles avec celle du Paganisme.

EN général, les oracles n'ont cessé qu'avec le paganisme, et le paganisme ne cessa pas à la venue de Jésus-Christ.

Constantin abattit peu de temples, encore n'osa-t-il les abattre qu'en prenant le prétexte des crimes qui s'y commettaient. C'est ainsi qu'il fit renverser celui de Vénus Aphacite, et celui d'Esculape qui était à Eges en Cilicie, tous deux temples à oracles. Mais il défendit que l'on sacrifiât aux dieux, et commença à rendre, par cet édit, les temples inutiles.

On trouve des édits de Constantius et de Julien, alors Césars, par lesquels toute divination est défendue sur peine de la vie, non-seulement celle des astrologues, et des interprètes des songes, et des magiciens, mais aussi celle des augures et des aruspices, ce qui donnait une grande atteinte à la religion des Romains. Il est vrai que les empereurs avaient un intérêt particulier à défendre toutes les divinations, parce qu'on ne faisait autre chose que s'enquérir de leur destinée, et principalement des successeurs qu'ils devaient avoir; et tel se révoltait et prétendait à l'empire, pour avoir été flatté par un devin.

Nous avons vu qu'il restart encore beaucoup d'oracles, lorsque Julien se vit empereur; mais de ceux qui étaient ruinés, il s'appliqua à en rétablir le plus qu'il put. Celui du faubourg de Daphné, par exemple, avait été détruit par Adrien, qui, pendant qu'il était encore particulier, ayant trempé une feuille dans la fontaine Castalienne (car il y en avait une de ce nom à Daphné aussi-bien qu'à Delphes), avait trouvé sur cette feuille, en la retirant de l'eau, l'histoire de ce qui lui devait arriver, et des avis de songer à l'empire. Il craignait, quand il fut empereur, que cet oracle ne donnât le même conseil à quelque autre, et il fit jeter dans la fontaine sacrée une grande quantité de pierres dont on la boucha. Il y avait beaucoup d'ingratitude dans ce procédé mais Julien, selon Ammian Marcellin, rou

vrit la fontaine ; il fit ôter d'alentour les corps qui y étaient enterrés, et purifia le lieu de la même manière dont les Athéniens avaient autrefois purifié l'île de Délos.

Julien fit plus; il voulut être prophète de l'oracle de Didyme. C'était le moyen de remettre en honneur la prophétie qui n'était plus guère estimée. Il était souverain pontife, puisqu'il était empereur; mais les empereurs n'avaient pas coutume de faire grand usage de cette dignité sacerdotale. Pour lui, il prit la chose bien plus sérieusement; et nous voyons dans une de ses lettres qui sont venues jusqu'à nous, qu'en qualité de souverain pontife, il défend à un prêtre païen de faire, pendant trois mois, aucune fonction de prêtre. La lettre qu'il écrivit à Arsace, pontife de la Galatie, nous apprend de quelle manière il se prenait à faire refleurir le paganisme. Il se félicite d'abord des grands effets que son zèle a produits en fort peu de temps. Il juge que le meilleur secret pour rétablir le paganisme, est d'y transporter les vertus du christianisme, la charité pour les étrangers, le soin d'enterrer les morts, et la sainteté de vie que les chrétiens, ditil, feignent si bien. Il veut que ce pontife, par raison ou par menaces, oblige les prêtres de la Galatie à vivre régulièrement, à s'abstenir des spectacles et des cabarets, à quitter tous les emplois bas ou infâmes, à s'adonner uniquement, avec toute leur famille, au culte des dieux, et à avoir l'œil sur les Galiléens, pour réprimer leurs impiétés et leurs profanations. Il remarque qu'il est honteux que les Juifs et les Galiléens nourrissent, nonseulement leurs pauvres, mais ceux des païens, et que les païens abandonnent les leurs, et ne se souviennent plus que l'hospitalité et la libéralité sont des vertus qui leur sont propres, puisque Homère fait ainsi parler Eumée: « Mon hôte, quand il me vien» drait quelqu'un moins considérable que toi, il ne me serait pas permis de ne le point recevoir. Tous viennent de la part de » Jupiter, et étrangers, et pauvres. Je donne peu, mais je donne » avec joie. » Enfin, il dit quelles distributions il a ordonné que l'on fasse tous les ans aux pauvres de la Galatie, et il commande à ce pontife de faire bâtir dans chaque ville plusieurs hôpitaux, où soient reçus, non-seulement les païens, mais aussi les autres. Il ne veut point que le pontife aille souvent voir les gouverneurs mais seulement qu'il leur écrive, ni que les prêtres aillent au-devant d'eux quand ils entrent dans les villes, mais seulement quand ils viennent aux temples; encore ne veut-il pas qu'on les aille recevoir plus loin que le vestibule. Il défend à ces gouverneurs, dans cette occasion, de faire marcher devant eux des soldats, parce qu'alors ils ne sont que des personnes privées; mais il permet aux soldats de les suivre, s'ils veulent.

[ocr errors]

chez eux,

Avec ces soins et cette imitation du christianisme, Julien, s'il eût vécu, eût apparemment retardé la ruine de sa religion; mais Dieu ne lui laissa pas achever deux années de règne.

Jovien, qui lui succéda, commençait à se porter avec zèle à la destruction du paganisme; mais en sept mois qu'il régna, il ne put pas faire de grands progrès.

Valens, qui eut l'empire d'orient, permit à chacun d'adorer tels dieux qu'il voudrait, et prit plus à cœur de soutenir l'arianisme que le christianisme même. Aussi, pendant son règne, on immolait publiquement, et on faisait publiquement des repas de victimes immolées. Ceux qui étaient initiés aux mystères de Bacchus, les célébraient sans crainte ; ils couraient avec des boucliers, déchiraient des chiens, et faisaient toutes les extravagances que cette dévotion demandait.

Valentinien son frère, qui eut l'occident, fut plus zélé pour la gloire du christianisme; cependant sa conduite ne fut pas aussi ferme qu'elle eût dû être. Il avait fait une loi par laquelle il défendait toutes les cérémonies nocturnes. Prétextatus, proconsul de la Grèce, lui représenta qu'en ôtant aux Grecs ces cérémonies auxquelles ils étaient très-attachés, on leur rendait la vie tout-à-fait désagréable. Valentinien se laissa toucher, et consentit que, sans avoir d'égard à sa loi, on pratiquât les anciennes coutumes. Il est vrai que c'est Zozime, un païen, de qui nous tenons cette histoire; on peut dire qu'il l'a supposée pour donner à croire que empereurs considéraient encore les païens. On peut répondre aussi que Zozime, dans l'état où étaient les affaires de sa religion, devait être plutôt d'humeur à se plaindre du mal qu'on ne lui faisait pas, qu'à se louer d'une grâce qu'on ne lui aurait pas faite.

les

Ce qui est constant, c'est que l'on a des inscriptions et de Rome et d'autres villes d'Italie, par lesquelles il paraît que, sous l'empire de Valentinien, des personnes de grande considération firent les sacrifices nommés taurobolia et criobolia, c'est-à-dire, aspersion de sang de taureau, ou de sang de bélier. Il semble même, par la quantité des inscriptions, que cette cérémonie ait été principalement à la mode du temps de Valentinien, et des deux autres empereurs du même nom.

Comme elle est une des plus bizarres et des plus singulières du paganisme, je crois qu'on ne sera pas fâché de la connaître. Prudence, qui pouvait l'avoir vue, nous la décrit assez au long.

On creusait une fosse assez profonde, où celui pour qui se devait faire la cérémonie descendait avec des bandelettes sacrées à la tête, avec une couronne, enfin avec tout un équipage mysté

rieux. On mettait sur la fosse un couvercle de bois, percé de quantité de trous. On amenait sur ce couvercle un taureau couronné de fleurs, et ayant les cornes et le front ornés de petites lames d'or. On l'égorgeait avec un couteau sacré; son sang coulait par ces trous dans la fosse, et celui qui y était le recevait avec beaucoup de respect; il y présentait son front, ses joues, ses bras, ses épaules, enfin toutes les parties de son corps, et tâchait à n'en pas laisser tomber une goutte ailleurs que sur lui. Ensuite, il sortait de là hideux à voir, tout souillé de ce sang, ses cheveux, sa barbe, ses habits tout dégoûtans: mais aussi il était purgé de tous ses crimes, et régénéré pour l'éternité ; car il paraît positivement, par les inscriptions, que ce sacrifice était pour ceux qui le recevaient, une régénération mystique et éterpelle.

Il fallait le renouveler tous les vingt ans, autrement il perdait cette force qui s'étendait dans tous les siècles à venir.

Les femmes recevaient cette régénération aussi-bien que les hommes. On y associait qui l'on voulait, et, ce qui est encore plus remarquable, des villes entières la recevaient par députés.

Quelquefois on faisait ce sacrifice pour le salut des empereurs. Des provinces faisaient leur cour d'envoyer un homme se barbouiller, en leur nom, de sang de taureau, pour obtenir à l'empereur une longue et heureuse vie. Tout cela est clair par les inscriptions.

Nous voici enfin sous Théodose et ses fils, à la ruine entière du paganisme.

Théodose commença par l'Égypte, où il fit fermer tous les temples. Ensuite, il alla jusqu'à faire abattre celui de Sérapis, le plus fameux de toute l'Egypte.

Selon Strabon, il n'y avait rien de plus gai dans toute la religion païenne, que les pélerinages qui se faisaient à Sérapis. Vers le temps de certaines fêtes, dit-il, on ne saurait croire la multitude de gens qui descendent sur un canal d'Alexandrie à Canope, où est ce temple. Jour et nuit ce ne sont que. bateaux pleins d'hommes et de femmes, qui chantent et qui dansent avec toute la liberté imaginable. A Canope, il y a sur le canal une infinité d'hôtelleries qui servent à retirer ces voyageurs, et à favoriser leurs divertissemens.

Aussi le sophiste Eunapius, païen, paraît avoir grand regret au temple de Sérapis, et nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n'avaient jamais entendu parler de la guerre, se trouvèrent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, et principalement contre les riches offrandes dont il était plein; que dans ces lieux saints on y plaça

des moines, gens infâmes et inutiles, qui, pourvu qu'ils eussent un habit noir et mal-propre, prenaient une autorité tyrannique sur l'esprit des peuples; et que ces moines, au lieu des dieux que l'on voyait par les lumières de la raison, donnaient à adorer des têtes de brigands punis pour leurs crimes, qu'on avait salées afin de les conserver. C'est ainsi que cet impie traite les moines et les reliques: il fallait que la licence fût encore bien grande du temps qu'on écrivait de pareilles choses sur la religion des empereurs. Rufin ne manque pas de nous marquer qu'on trouva le temple de Serapis tout plein de chemins couverts, et de machines disposées pour les fourberies des prêtres. Il nous apprend, entre autres choses, qu'il y avait à l'orient du temple une petite fenêtre par où entrait à certain jour un rayon du soleil qui allait donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même temps on apportait un simulacre du soleil qui était de fer, et qui, étant attiré par de l'aimant caché dans la voûte, s'élevait vers Sérapis. Alors, on disait que le soleil saluait ce dieu; mais quand le simulacre de fer retombait, et que le rayon se retirait de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avait assez fait sa cour, et il allait à ses affaires.

Après que Théodose eut défait le rebelle Eugène, il alla à Rome où tout le sénat tenait encore pour le paganisme. La grande raison des païens était que, depuis douze cents ans, Rome s'était fort bien trouvée de ses dieux, et qu'elle en avait reçu toutes sortes de prospérités. L'empereur harangua le sénat, et l'exhorta à embrasser le christianisme; mais on lui répondit toujours que, par l'usage et l'expérience, on avait reconnu le paganisme pour une bonne religion, et que si on le quittait pour le christianisme, on ne savait ce qui en arriverait. Voilà quelle était la théologie du sénat romain. Quand Théodose vit qu'il ne gagnait rien sur ces gens-là, il leur déclara que le fisc était trop chargé des dépenses qu'il fallait faire pour les sacrifices, et qu'il avait besoin de cet argent-là pour payer ses troupes. On eut beau lui représenter que les sacrifices n'étaient point légitimes s'ils ne se faisaient de l'argent public, il n'eut point d'égard à cet inconvénient. Ainsi, les sacrifices et les anciennes cérémonies cessèrent, et Zozime ne manque pas de remarquer que depuis ce temps-là toutes sortes de malheurs fondirent sur l'empire Romain.

Le même auteur raconte qu'à ce voyage que Théodose fit à Rome, Serena, femme de Stilicon, voulut entrer dans le temple de la mère des dieux pour lui insulter, et qu'elle ne fit point de difficulté de s'accommoder d'un beau collier que la déesse portait. Une vieille vestale lui reprocha fort aigrement cette impiété, et la poursuivit jusques hors du temple avec mille imprécations.

« PreviousContinue »