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une pièce de vers on a conservé ces quittances poétiques. Personne n'ignore le courage avec lequel La Fontaine prouva reconnoissance pour le malheureux ministre après sa disace: son dévouement dura toute sa vie. M. Jannart fut exilé Limoges, et La Fontaine l'y suivit. De retour à Paris, il entra en qualité de gentilhomme chez Henriette d'Angleterre, première femme du frère unique de Louis XIV. Après sa mort, il trouva de généreux protecteurs dans les princes de la mais Je Condé. Il étoit et resta toujours lié de la plus tendre amitié avec Racine, qui étoit son parent et presque son compatriote. Boileau, Molière, Chapelle, de Maucroix, etc., furent ses amis, et, jusqu'à sa mort, il conserva l'attachement qu'il avoit pour eux. Il ne se brouilla qu'avec Furetière, et l'on sait de quel côté fut le tort de la rupture.

Il éprouva donc bien vivement ce sentiment délicieux de l'amitié qu'il a chantée avec tant de charmes et de vérité. Les dames lui donnèrent avec cette délicatesse qui n'appartient qu'à leur sexe, les soins affectueux que la simplicité de ses mœurs lui rendoit si nécessaires.

La Fontaine mourut à Paris, en 1695, dans la soixante et quatorzième année de sa vie.

On trouvera à la fin de cet ouvrage une Notice bibliographique sur les Fables, et nous devons en témoigner toute notre reconnoissance à M. Barbier, à la bienveillance duquel nous la devons je crois devoir en extraire ici ce qui me paroît nécessaire pour faire connoître l'ordre dans lequel les fables de La Fontaine furent publiées sous les yeux de l'auteur. Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine. Paris, 1668; in-4°.

Ce sont les fables des six premiers livres.

Fables nouvelles et autres poésies de M. de La Fontaine. Paris, 1671; in-12.

Ce recueil contient huit fables qui ont été depuis replacées dans les livres suivants. Les voici, avec l'indication de la place qu'elles occupent dans notre édition : Le Lion, le Loup et le Renard (145); le Coche et la Mouche (133); le Trésor et les deux Hommes (185); le Rat et l'Huître (151); le Singe et le Chat (186); le Gland et la Citrouille (173); le Milan et le Rossignol (187); l'Huître et les Plaideurs (178).

Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine. Paris, 1678 et 1679; 2 vol. in-4°.

Cette édition offre la réimpression des six premiers livres et la publication des cinq livres suivants. La seconde partie est dédiée à madame de Montespan. La dernière fable du livre 111, ou 1x aujourd'hui, est celle que l'on place maintenant à la tête du 1er livre. Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine; cinquième partie, dédiée à Mgr le duc de Bourgogne. Paris, 1693; in-4°.

Cette dernière partie contient les vingt-trois premières fables du livre XII de notre édition, puis les quatre contes: Philemon et Baucis, les Filles de Minée, la Matrone d'Ephèse et Belphegor. On trouve ensuite la fable du Juge arbitre, de l'Hospitalier et du Solitaire.

Dans les notices sur les auteurs Grecs, Latins, Français, etc., je me promets de suivre l'ordre chronologique; je m'en écarterai pourtant quelquefois, lorsque des rapports nombreux et intimes me sembleront demander la réunion d'ouvrages dépendant, pour ainsi dire, les uns des autres; c'est ainsi que je réunirai Babrias et Gabrias, et que je placerai, immédiatement après Phèdre, l'examen des nouvelles fables publiées d'après le manuscrit de N. Perotto. De même, après avoir parlé du Roman du Renard, je m'occuperai immédiatement de plusieurs poëmes postérieurs qui, sous des noms à peu près semblables, peuvent être regardés comme des imitations ou des parodies de ce premier monument de notre ancienne poésie.

Les apologues que nous lisons dans les livres saints prouvent que ce genre de littérature étoit cultivé en Asie, avant d'être connu des Occidentaux; je devrois donc parler d'abord des fabulistes de l'Orient; mais, quoique réellement plus anciens, ils sont pourtant beaucoup plus nouveaux pour et c'est ce qui me détermine à rejeter leur histoire à la suite de celle des mythologues européens.

nous,

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AUTEURS GRECS.

HÉSIODE.

Ce poëte né dans la Béotie, à Ascra, vivoit, suivant les marbres de Paros, l'an 944 avant J. C. Il seroit, d'après ce témoignage, antérieur à Homère : cependant le plus grand nombre des critiques le regardent comme le contemporain de ce prince des poëtes. Dans son poëme intitulé : les Travaux et les Jours, vers 202 et suiv., on trouve la fable la plus anciennement connue dans l'occident: La Fontaine a traité, dans sa fable 187, ce sujet modifié par d'autres imitateurs de ce premier fabuliste : le début de cet apologue semble annoncer que le genre n'étoit pas nouveau, même de son temps: « J'annonce, dit-il, une fable aux rois, etc. » C'est parce qu'elle est la première que nous connoissions dans les propres paroles de l'auteur, que j'ai cru devoir la placer tout entière à la suite de celle de l'auteur français : nous en verrons tout-à-l'heure une autre que l'on attribue à Stésichore; mais elle est contée par Aristote.

ÉPIMÉNIDES.

Les écrits de ce poëte, plus connu comme philosophe, sont perdus, et nous ne savons à quel titre Plutarque, dans son Banquet des sept Sages, fait tenir ce discours à l'un d'eux : « Mais à bien juger, Æsope se devroit plustost et à meil

a leure raison advouer pour disciple d'Hésiode, que non pas « Epimenides : car le propos qu'il fait que le rossignol tient à l'esparvier a donné à Æsope le commencement de ceste « belle et variable sagesse, qui fait parler tant de langues. » L'époque de la mort d'Épiménides est assez généralement placée à l'an 596 avant J. C.

ÉSOPE.

Né dans la servitude, dans un pays situé presqu'entre l'Europe et l'Asie, Ésope est regardé par les Occidentaux

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comme le père de l'Apologue. Ce n'est pas, comme nous venons de le voir tout-à-l'heure, parce qu'il employa le premier ce genre d'instruction, qu'on le place à la tête des fabulistes; mais on lui donne ce rang parce qu'il perfectionna la fable, et parce qu'il multiplia ses petits drames au point d'en former un cours presque complet de morale.

M. de Meziriac nous a fait connoître le de faits que peu l'on sait positivement sur la vie d'Ésope : lorsqu'en 1646, il publia une juste critique de la Vie du fabuliste, faussement attribuée à Maxime Planudes: ce moine de Constantinople, envoyé comme ambassadeur à Venise en 1327, par l'empereur Andronic Palæologue l'ancien, apporta sans doute en Italie plusieurs des monuments littéraires de la Grèce que l'Europe avoit oubliés; mais on ne connoît pas comment on a pu le supposer auteur de ce tissu d'inepties, d'anachronismes et d'obscénités, lui que l'on avoit accusé de trop de retenue dans la publication d'un recueil d'épigrammes grecques. Sa gravité et son érudition repoussent également cette imputation injurieuse.

Cette prétendue Vie d'Ésope cependant, traduite d'abord en latin par Ranuntius, d'Arezzo, ou Remicius, passa bientôt dans tous les idiomes de l'Europe : elle figura en tête de toutes les éditions et de toutes les versions de ses fables. La Fontaine lui-même la mit à la tête de son recueil. Il aimoit à la croire véritable : « Je ne vois presque personne, dit-il, qui <«< ne tienne pour fabuleuse la Vie que Planudes nous a laissée.— « Ce que je puis, est de composer un tissu de mes conjectures, lequel s'intitulera la Vie d'Esope: quelque vraisemblable « que je le rende, on ne s'y assurera pas; et, fable pour fable, ajoute-t-il, le lecteur préfèrera toujours celle de « Planudes. - Comme Planudes, dit-il encore ailleurs, vivoit « dans un siècle où la mémoire des choses arrivées à Ésope « ne devoit pas être encore éteinte, j'ai cru qu'il savoit par « tradition ce qu'il a laissé ». En écrivant ceci, il oublioit sans doute que dix-neuf siècles s'étoient écoulés entre le Phrygien et celui qu'on lui donne pour historien, et que de nombreuses révolutions d'empires devoient avoir encore plus

efficacement anéanti toutes les traditions: le moine grec ne vivoit d'ailleurs guère plus de deux siècles avant La Fontaine.

Bayle a relevé avec un peu trop de sévérité cette erreur de notre fabuliste, en prouvant que sa prédilection pour cette histoire mensongère ne provenoit que du plaisir qu'elle lui faisoit éprouver; mais La Fontaine semble nous avoir prévenu de son goût pour les contes les plus puérils, lorsqu'il nous dit : Et moi-même,

Au moment où je fais cette moralité,

Si Peau-d'Ane m'étoit conté,

J'y prendrois un plaisir extrême.

Avec toutes ses absurdités, cette Vie d'Ésope égaya notre enfance comme elle avoit amusé le Bon Homme, qui, conservant toute sa vie les goûts de cet âge heureux, devoit participer à ses plaisirs plus long-temps que les autres hommes. Cependant la triste raison ne nous permet plus d'admettre comme vrais ces contes, dont une partie figure avec plus de bienséance dans les Mille et une Nuits, sous le titre du sage Hicar.

Les Grecs, naturellement amis du merveilleux, pressés de toutes parts, pendant les derniers siècles de leur empire, par les Orientaux mahométans, souvent mêlés avec eux, doivent avoir acquis, dans ces fréquentes communications, un nouveau goût pour les récits extraordinaires : ils auront sans doute reporté dans leur langue leurs propres histoires dénaturées par ces fiers conquérants. Les Arabes, en effet, soumis par les Romains, sans de grands efforts, à un joug d'autant moins insupportable qu'ils étoient les maîtres de l'alléger autant qu'ils le vouloient, étoient un peuple nomade, d'une ignorance extrême; ils ne connoissoient que par des traditions orales l'histoire de leurs ancêtres : celle des peuples voisins et du peuple-roi lui-même leur étoit encore bien moins connue. Mahomet, pour se les assujettir, leur promet l'empire du monde, leur en fait conquérir une partie et leur crée une généalogie qui flatte leur orgueil : non content d'adapter

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