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FABLE II.— (62.)

Le Berger et la Mer.

Du rapport d'un troupeau, dont il vivoit sans soins,
Se contenta long-temps un voisin d'Amphitrite.
Si sa fortune étoit petite,

Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien, qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il étoit jadis
Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage:
Celui qui s'étoit vu Coridon ou Tircis,

Fut Pierrot, et rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux:
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux,
Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité

Pour montrer, par expérience,

Qu'un sou, quand il est assuré,

Vaut mieux que cinq en espérance; Qu'il faut se contenter de sa condition; Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition Nous devons fermer les oreilles.

Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront. La mer promet monts et merveilles:

Fiez-vous-y; les vents et les voleurs viendront

GRECS. Es.-Cor., 49, II 49.

LATINS. P. Cand., 33; J. Posth., 49; T. Lucr., l. 11, v. 559: Subdola cùm ridet placidi pellacia ponti.

-liv. v, v. 1003 et 1004:

Nec poterat quemquam placidi pellacia ponti

Subdola pellicere in fraudem, ridentibus aquis.

FRANÇAIS. Guill. Tard., 13; Guill. Haud., 13; Bens., 152.

FABLE III.—(63.)

La Mouche et la Fourmi.

La mouche et la fourmi contestoient de leur prix.
O Jupiter! dit la première,
Faut-il que l'amour-propre aveugle les esprits
D'une si terrible manière,

Qu'un vil et rampant animal

A la fille de l'air ose se dire égal!

Je hante les palais, je m'assieds à ta table;
Si l'on t'immole un bœuf, j'en goûte devant toi :
Pendant que celle-ci, chétive et misérable,

Vit trois jours d'un fétu qu'elle a traîné chez soi,
Mais, ma mignonne, dites-moi,

Vous campez-vous jamais sur la tête d'un roi,
D'un empereur ou d'une belle?

Je le fais; et je baise un beau sein quand je veux:
Je me joue entre des cheveux;

Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle:
Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,

C'est un ajustement des mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête

De vos greniers! Avez-vous dit?
Lui répliqua la ménagère.

Vous hantez les palais : mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la première

De ce qu'on sert devant les dieux,

Croyez-vous qu'il en vaille mieux ?

Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
Sur la tête des rois et sur celle des ânes

Vous allez vous planter, je n'en disconviens pas;
Et je sais que d'un prompt trépas
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie :

J'en conviens il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu'il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi
Vous fassiez sonner vos mérites?

Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites?
Cessez donc de tenir un langage si vain :

N'ayez plus ces hautes pensées.

Les mouches de cour sont chassées;

Les mouchards sont pendus; et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,

Quand Phébus régnera sur un autre hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux :
Je n'irai, par monts ni par vaux,
M'exposer au vent, à la pluie;

Je vivrai sans mélancolie:

Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera.
Je vous enseignerai par-là

Ce

que c'est qu'une fausse ou véritable gloire. Adieu; je perds le temps, laissez-moi travailler; Ni mon grenier, ni mon armoire

Ne se remplit à babiller.

GRECS. Æsop., vers. Guillelmi canon. August., 30.

J.

LATINS. Phædr., 80; Rom., 37; Rom. Nil., 27; Galfr., 37; Morlin., 17.

FRANÇAIS. Mar. de France, 86; Ysop. I, 36; Vinc. de Beauv., 15; Mer des Hist., 15; Jul. Mach., 37; Guill. Haud., 141; G. Corr., 30; Est. Perr., 21; P. Despr., 34; M***, 30; Bens., 32; Le Noble, 63. ITALIENS. Acc.-Zucch., 37; Tupp., 37; Guicc., p. 100.

ESPAGNOLS. Ysopo, 37.

ALLLEMANDS. Minn.-Zing., 41; H. Steinh., 37.
HOLLANDAIS. Esopus, 86.

YSOPET I.

FABLE XXXVI.

De la Mouche et du Fremi.

La mouche où tant a d'atène
Tance au fremi par grant haine.
Elle se loe, l'autre desprise :

Oncques li tient plait en tel guise: (a)
Tu es reclus en ta teniere;

Moi, je vole comme legiere:

En ton creus te met et avales;

Je demeure en hautes sales.

2

Tu ne vis fors de grains sans plus;
Et moy j'ay viandes a refus,

Et, com je demander ose,

Chair et poisson et autre chose.
L'eau que tu bois et trouble et ort;
Je boy bon vin et cler et fort, 3 (b)
A hannap d'or tant comme plest.
Table de roy m'abeuvre et pest;
A toutes ses viandes touche,
Baise la royne en la bouche,
Quant je veulz ou nez ou on front.

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