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Pour moi, qui fais comment doivent agir les Rois,
Je les affranchis du fupplice.

Et la Cour d'admirer. Les Courtifans ravis
Élevent de tels faits par eux fi mal fuivis.
Bien peu, même des Rois, prendroient un tel modele,
Et le Veneur l'échappa belle,
Coupable feulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du Maître.
Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois ? étoit-ce un fi grand mal ?
Pilpay fait, près du Gange, arriver l'aventure.
Là nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur fang épancher:
Le Roi même feroit fcrupule d'y toucher.
Savons-nous, difent-ils, fi cet oifeau de proie
N'étoit point au fiége de Troie?

Peut-être y tient-il lieu d'un Prince ou d'un Héros
Des plus hupés & des plus hauts.

Ce qu'il fut autrefois, il pourra l'être encore.
Nous croyons, après Pithagore,

Qu'avec les animaux de forme nous changeons,
Tantot Milans, tantôt Pigeons,
Tantôt humains, puis volatilles
Ayant dans les airs leurs familles.

Comme l'on conte en deux façons
L'accident du Chaffeur, voici l'autre maniere
Un certain Fauconnier ayant pris, ce dit on,
A la chaffe un Milan, (ce qui n'arrive guere)
En voulut au Roi faire un don,

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Comme de chose fingulière.

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Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans
C'eft le non plus ultrà de la Fauconnerie.
Ce Chaffeur perce donc un gros de Courtisans,
Plein de zele, échauffé, s'il le fut de fa vie,
Par ce parangon (1) des préfens

(1) Parangon: autrefois, modele. Ce mot fignifioit auffi, patron, comparaison.

Il croyoit fa fortune faite :
Quand l'animal porte - fonnette
Sauvage encore & tout groffier,
Avec fes ongles tout d'acier

Prend le nez du Chaffeur, hape le pauvre Sire.
Lui de crier, chacun de rire,

Monarque & Courtisans. Qui n'eût ri? quant à moi
Je n'en cuffe quitté ma part pour un empire.
Qu'un Pape rie, en bonne foi

Je n'ofe l'affurer; mais je tiendrois un Roi
Bien malheureux s'il n'ofoit rire :

C'est le plaifir des Dieux. Malgré fon noir fouci,
Jupiter & le Peuple immottel rit auffi.

Il en fit des éclats, à ce que dit l'hiftoire

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Quand Vulcain, clopinant, vint lui donner à boire,
Que le Peuple immortel se montrât fage ou non
J'ai changé mon fujet avec jufte raison ;

Car, puifqu'il s'agit de morale,

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Que nous eût du Chaffeur l'aventure fatale Enfeigné de nouveau ? L'on a vu de tout temps Plus de fots Fauconniers, que de Rois indulgens. FABLE X II I.

Le Renard, les Mouches, & le Hérifon. Aux traces de fon fang, un vieux hôte des bois,

Renard fin, fubtil & matois,

Bleffé par des chaffeurs, & tombé dans la fange, Autrefois attira ce parasite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.

Il accufoit les Dieux, & trouvoit fort étrange
Que le Sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux Mouches manger.

Quoi fe jetter fur moi, fur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les Renards font-ils un fi bon mers 3
Et que me fert ma queue? elt ce un poids inutile:
Va, le Ciel te confonde, animal importun,

Que ne vis tu fur le commun!
Un Hériffon du voifinage,

Dans mes vers nouveau perfonnage,
Voulut le délivrer de l'importunité
Du peuple plein d'avidité.

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voifin Renard, dit-il, & terminer tes peines.
Garde t'en bien, dit l'autre ami, ne le fais pas;
Laiffe les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux font fouls: une troupe nouvelle
Viendroit fondre fur moi, plus âpre & plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici - bas :
Ceux-ci font Courtifans, ceux - là font Magistrats.
Ariftote appliquoit cet Apologue aux hommes.
Les exemples en font communs,

Sur -tout au pays où nous fommes.

Plus telles gens font pleins, moins ils font importuns.

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Tour eft myftere dans l'Amour; Ses fleches, fon carquois, fon flambeau, fon enfance. Ce n'eft pas l'ouvrage d'un jour,

Que d'épuifer cette fcience.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but eft feulement de dite à ma maniere
Comment l'aveugle que voici

(C'est un Dieu) comment, dis-je, il perdit la lumiere:
Quelle fuite eut ce mal qui peut-être eft un bien.
J'en fais juge un amant, & ne décide rien.

La Folie & l'Amour jouoient un jour enfemble.
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.
Une difpute vint; l'Amour veut qu'on affemble
Là-deffus le Confeil des Dieux.

L'autre n'eut pas la patience.

Elle lui donne un coup fi furieux,
Qu'il en perd la clarté des Cieux.
Vénus en demande vengeance.

Femme & mere il fuffit pour juger de fes cris:
Lés Dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, & Néméfis,

Et les Juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle repréfenta l'énormité du cas.

Son fils, fans un bâton, ne pouvoit faire un pas.
Nulle peine n'étoit pour ce crime affez grande.
Le dommage devoit être auffi réparé.
Quand on eut bien confidéré

L'intérêt du public, celui de la patric,

Le réfultat enfin de la fuprême Cour
Fut de condamner la Folie

A fervir de guide à l'Amour.

FABLE X V.

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue & le Rat.

A MADAME DE LA SABLIERE.

Je vous gardois un Temple dans mes vers:
Il n'eût fini. qu'avecque l'Univers.
Déja ma main en fondoit la durée
Sur ce bel art qu'ont les Dieux inventé ;
Et fur le nom de la Divinité

Que dans ce Temple on auroit adorée.
Sur le portail j'aurois ces mots écrits:
PALAIS SACRÉ DE LA DÉESSE IRIS;
Non celle-là qu'a Junon à fes gages;
Car Junon même & le Maître des Dieux
Servitoient l'autre, & feroient glorieux
Du feul honneur de porter les Meffages.
L'Apothéofe à la voûte eût paru.
Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu
Plaçant Iris fous un dais de lumiere.
Les murs auroient amplement contenu

Toute

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Toute la vie, agréable matiere, Mais peu féconde en ces événemens Qui des Etats font les renversemens. Au fond du Temple eût été fon image, Avec fes traits, fon fouris, fes appas, Son art de plaire & de n'y penser pas, Ses agrémens à qui tout rend hommage. J'aurois fait voir à fes pieds des mortels, Et des héros, des demi - Dieux encore, Même des Dieux : ce que le monde adore Vient quelquefois parfumer fes autels. J'euffe en fes yeux fait briller de fon âme Tous les tréfors, quoiqu'imparfaitement: Car ce cœur vif & tendre infiniment, Pout fes amis, & non point autrement; Car cet efprit qui, né du firmament, A beauté d'homme avec grâce de femme Ne fe peut pas comme on veut exprimer. O vous Iris, qui favez tout charmer, Qui favez plaire à un degré fuprême, Vous que l'on aime à l'égal de foi-même, (Ceci foit dit fans nul foupçon d'amour, Car c'eft un mot banni de votre Cour, Laiffons le donc) agréez que ma Muse Acheve un jour cette ébauche confuse. J'en ai placé l'idée & le projet, Pour plus de grâce, au-devant d'un sujes Où l'amitié donne de telles marques, Et d'un tel prix, que leur fimple récit Peut quelque temps amufer votre efprit. Non que ceci fe paffe entre Monarques : que chez vous nous voyons eftimer N'est pas un Roi qui ne fait point aimer; C'est un mortel qui fait mettre fa vie Pour fon ami. J'en vois peu de fi bons. Quatre animaux, vivans de compagnie Vont aux humains en donner des leçons. II. Partie.

Ce

K

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