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Affiftés du Cheval, ainsi que du Chameau.
Tous quatre en chemin ils fe mirent
Avec le Singe, Ambaffadeur nouveau.
La caravane enfin rencontre en un paffage
Monfieur le Lion. Cela ne leur plut point.

Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, & nous voici compagnons de voyage.
J'allois offrir mon fait à part,

Mais bien qu'il foit léger, tout fardeau m'embarraffe.
Obligez moi de me faire la grâce
Que d'en porter chacun un quart.
Ce ne vous fera pas une charge trop grande;
Et j'en ferai plus libre, & bien plus en état,
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l'on en vienne au combat,
Econduire un Lion rarement fe pratique.
Le voilà donc admis, foulagé, bien reçu;
Et, malgré le héros de Jupiter iffu,

Faisant chere & vivant fur la bourse publique.
Ils arriverent dans un pré

Tout bordé de ruiffeaux, de fleurs tout diapré (1),
Où maint mouton cherchoit la vie,
Séjour du frais, véritable patrie

Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens
Il fe plaignit d'être malade.
Continuez votre ambaffade,
Dit-il, je fens un feu qui me brûle au-dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe falutaire.
ne perdez point de temps:
Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir affaire :
On débale; & d'abord le Lion s'écria

Pour vous,

D'un ton qui témoignoit fa joie :
Que de filles, ô Dieux, mes pieces de monnoie
Ont produites! voyez la plupart font déja
Auffi grandes que leurs meres.

(1) Diapré: varié de plufieurs couleurs. N'eft plus en usage que dans le Blafon.

Le croît (2) m'en appartient. Il prit tout là-deffus,
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura gueres..
Le Singe & les fommiers confus,

Sans ofer répliquer, en chemin fe remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils fe plaignirent,
Et n'en eurent point de raifon.

Qu'eût- il fait ? c'eût été Lion contre Lion:
Et le proverbe dit: Corfaires à Corfaires,
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas

leurs affaires.

FABL E X III.

Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf. De tout temps les chevaux ne font nés pour les hommes. Lorfque le genre humain de gland fe contentoit, Ane, cheval & mule aux forêts habitoit :

Et l'on ne voyoit point, comme au fiecle où nous fommes, Tant de felles & tant de bâts,

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Tant de harnois pour les combats,'
Tant de chaifes, tant de carroffes,
Comme auffi ne voyoit - on pas
Tant de feftins & tant de noces.
Or, un Cheval cut alors différend
Avec un Cerf plein de vîteffe,
Et ne pouvant l'attraper en courant
Il eut recours à l'homme, implora fon adreffe.
L'homme lui mit un frein, lui fauta fur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le Cerf ne fût pris, & n'y laiffat la vie.
Et cela fait, le Cheval remercie

L'homme fon bienfaiteur, difant: Je fuis à vous:
Adieu, je m'en retourne en mon féjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme, il fait meilleur chez nous:
Je vois trop quel eft votre ufage.

Demeurez donc, vous ferez bien traité,

(1) Croit: augmentation. On ne fe fert ordinairement de ce mot, qu'en parlant du bétail,

Et jufqu'au ventre en la litiere.
Hélas! que fett la bonne chere
Quand on n'a pas la liberté ?

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Le Cheval s'apperçut qu'il avoit fait folie:
Mais il n'étoit plus temps : déja son écurie
Étoit prête & toute bâtie.

Il y mourut en traînant fon lien,
Sage s'il eût remis une légere offenfe.

Quel que foit le plaifir que caufe la vengeance,
C'est l'acheter trop cher, que l'acheter d'un bien.
Sans qui les autres ne font rien.

ES

FA BLE X I V.

Le Renard & le Bufte.

Les Grands, pour la plupart, font mafques de théâtre;
Leur apparence impofe au vulgaire idolâtre.

L'âne n'en fait juger que par ce qu'il en voit,
Le Renard, au contraire, à fond les examine:
Les tourne de tous fens ; & quand il s'apperçoit
Que leur fait n'eft que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un Buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un Bufte creux & plus grand que nature.
Le Renard, en louant l'effort de la fculpture :
Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.

Combien de grands Seigneurs font beftes en ce point.

FABLE X V.

Le Loup, la Chevre & le Chevreau.

LA Bique (1) allant remplir fa traînante mamelle,

Et paître l'herbe nouvelle,

Ferma fa porte au loquet,

Non fans dire à fon Biquet, (2):

Gardez-vous, fur votre vie,

(1) Bique, (2) Biquet: chevre, chevreau. Seulement ufités

dans quelques provinces.

D'ouvrir que l'on ne vous die
Pour enfeigne & mot du guet,
Foin du Loup & de fa race.
Comme elle difoit ces mots,
Le Loup de fortune (1) paffe:
Il les recueille à propos,
Et les garde en fa mémoire.

La Bique, comme on peut croire,
N'avoit pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partir, il contrefait son ton;
Et d'une voix papelarde (2)

Il demande qu'on ouvre, en difant; foin du Loup,
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le Biquet foupçonneux, par la fente regarde.
Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,
S'écria-t-il d'abord. (Parte blanche eft un point
Chez les Loups, comme on fait, rarement en ufage).
Celui-ci fort furpris d'entendre ce langage,
Comme il étoit venu, s'en retourna chez foi.
Où feroit le Biquet s'il eût ajouté foi
Au mot du guet que de fortune
Notre Loup avoit entendu ?

Deux fûretés valent mieux qu'une ;.
Et le trop e cela ne fut jamais perdu.

FABLE

'

X V I.

Le Loup la Mere & l'Enfant,
CE Loup me remet en mémoire

Un de fes compagnons qui fut encore mieux pris,
Il y périt : voici l'hiftoire.

Un villageois avoit à l'écart fon logis:
Meffer Loup attendoit chape-chute (3) à la

Il avoit vu fortir gibier de toute forte,

(1) De fortune: par hafaid.

porte.

(2) Papelard: eft pris ici adjectivement; ce qui n'eft guere d'ufage.

(3) Chape-chute: aventure quelconque.

Veaux de lait, agneaux & brebis,

Régimens de dindons, enfin bonne provende (1).
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.

Il entend un enfant crier.

La mere auffi-tôt le gourmande,

Le menace, s'il ne fe tait,

De le donner au Loup. L'animal fe tient prêt,
Remerciant les Dieux d'une telle aventure;

Quand la mere appaifant fa chere géniture (2),
Lui dit Ne craignez point: s'il vient, nous le tuerons.
Qu'eft ceci? s'écria le mangeur de moutons.

:

Dire d'un, puis d'un autre ? eft-ce ainfi que l'on traite Les gens faits comme moi? me prend-on pour un fot? Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette.

Comme il difoit ces mots, on fort de la maison :
Un chien de cour l'arrête: épieux & fourches fieres
L'ajuftent de toutes manieres.

Que veniez-vous chercher en ce lieu, lui dit-on ?
Auffi-tôt il conta l'affaire.

Merci de moi, lui dit la mere,

Tu mangeras mon fils? l'ai-je fait à deffein
Qu'il affouviffe un jour ta faim?
On affomme la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit & la tête :
Le Seigneur du village à fa porte les mit,
Et ce dicton Picard à l'entour fut écrit :

Biaux chires Leups n'écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.

FABLE

SOCRAT

X VI I.

Parole de Socrate.

OCRATE un jour faifant bâtir,

Chacun cenfuroit fon ouvrage.

7

(1) Provende provifion de vivres.

(2) Géniture: enfant. Ce terme eft vieux, & n'est plus employé que dans le ftyle burlefque.

E

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