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Lui penfa devoir fon falut.

Un Dauphin le prit pour un homme,
Et fur fon dos le fit affeoir

Si gravement, qu'on cût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le Dauphin Palloit mettre à bord,
Quand, par hafard, il lui demande :
Êtes-vous d'Athenes la grande?
Oui, dit l'autre, on m'y connoît fort.
S'il vous y furvient quelque affaire,
Employez moi, car mes parens
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien coufin eft Juge Maire.
Le Dauphin dit, bien grand - merci :
Et le Pirée a part auffi

A l'honneur de votre préfence!
Vous le voyez fouvent, je penfe?
Tous les jours il eft mon ami,
C'eft une vieille connoiffance.
Notre magot prit pour ce coup

Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup,

Qui prendroient Vaugirard pour Rome,
Et qui caquetans au plus dru,
Parlent de tout, & n'ont rien vu.

Le Dauphin rit, tourne la tête;
Et le magot confidéré,

Il s'apperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête.
Il l'y replonge, & va trouver
Quelque homme afin de le fauver.

CERTAIN

FABLE VIII.

L'Homme & l'Idole de bois.

Payen chez lui gardoit un Dieu de bois, De ces Dieux qui font fourds, bien qu'ayant des oreilles.

Le Payen cependant s'en promettoit merveilles.
Il lui coûtoit autant que trois.

Ce n'étoit que vœux & qu'offrandes
Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes.
Jamais Idole, quel qu'il fût,
N'avoit eu cuifine fi graffe,

Sans que pour tout ce culte à fon hôte il échût
Succeffion, tréfor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus, fi pour un fou d'orage en quelque endroit
S'amaffoit d'une ou d'autre forte,

L'homme en avoit sa part, & la bourse en fouffroit.
La pitance du Dieu n'en étoit pas moins forte.
A la fin fe fâchant de n'en obtenir rien,

Ii vous prend un lévier, met en pieces l'Idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien
M'as-tu valu, dit-il, feulement une obole?
Va, fors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu reffembles aux naturels
Malheureux, groffiers & ftupides:

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On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te rempliffois, plus mes mains étoient vuides:
J'ai bien fait de changer de ton.

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Le Geai paré des plumes du Paon.

UN Paon-muoit: un Geai prit fon plumage:
Puis après fe l'accommoda:

Puis parmi d'autres Paons tout fier fe panada,
Croyant être un beau perfonnage.

Quelqu' un le reconnut: il fe vit bafoué,
Berné, fifflé, moqué, joué,

Et par Meffieurs les Paons, plumé d'étrange forte:
Même vers ses pareils s'étant réfugié

Il fut par eux mis à la porte.

Il est affez de Geais à deux pieds comme lui,
Qui fe parent fouvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, & ne veux leur caufer nul ennui:
Ce ne font pas - là mes affaires.

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Le Chameau & les Bâtons flottans.

Le premier qui vit un Chameau,
S'enfuit à cet objet nouveau.

Le fecond s'approcha: le troisieme ofa faire
Un licou pour le Dromadaire.
L'accoutumance (1) ainfi nous rend tout familier.
Ce qui nous paroiffoit terrible & fingulier,
S'apprivoife avec notre vue,

Quand ce vient à la continue.

Et, puifque nous voici tombés fur ce fujet,
On avoit mis des gens au guet,
Qui voyant fur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire,
Que c'étoit un puiffant navire.
Quelques momens après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, & puis balot,
Enfin bâtons flottans fur l'onde.

J'en fais beaucoup de par le monde,
A qui ceci conviendroit bien :

De loin c'eft quelque chofe, & de près ce n'est rien.

TE

FABLE X I.

La Grenouille & le Rat,

EL, comme dit Merlin, cuide engeigner (2) autrui,
Qui fouvent s'engeigne foi-même.

J'ai regret que ce mot foit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours femblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au deffein que j'ai pris,
Un Rat plein d'embonpoint, gras & des mieux nourris,
Et qui ne connoiffoit l'Avent ni le Carême,

(1) Accoutumance: habitude. Ce mot vieillit.

(2) Cuide engeigner: croit tromper. Déja vieux du temps de la Fontaine,

Sur

Sur le bord d'un marais égayoit fes efprits.
Une Grenouille approche, & lui dit en fa langue :
Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Meffire Rat promit soudain :

11 n'étoit pas befoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiofité, le plaifir du voyage,

Cen: raretés à voir le long du marécage:
Un jour il conteroit à fes petits enfans
Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitans,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.

Un point fans plus tenoit le galant empêché.
Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un très-bon remede :
Le Rat fut à fon pied par la patte attaché.
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commere
S'efforce de tirer fon hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée,
Prétend qu'elle en fera gorge chaude (1) & curée :
(C'étoit, à fon avis, un excellent morceau)
Déja dans fon efprit la galante le croque.
Il attefte les Dieux : la perfide s'en moque.
Il réfifte: elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan qui, dans l'air planoit, faifoit la ronde,
Voit d'en haut le pauvret fe débattant fur l'onde.
Il fond deffus, l'enleve, & par même moyen
La Grenouille & le lien.

Tout en fut, tant & fi bien

Que de cette double proie

L'oifeau fe donne au cœur joie,

Ayant, de cette façon,

A fouper chair & poiffon.

(1) Gorge ohande : c'est-à-peu près en Fauconnerie ce que curée eft en Venerie. Proverbialement, faire une gorge chaude de quelque chofe, fignifie, s'en réjouir, s'en moquer. On ne décidera point dans quel fens la Fontaine emploie ici ce terme: il paroît cependant que c'est dans le fecond.

I. Partie.

E

U

La rufe la mieux ourdie

Peut nuire à fon inventeur;
Et fouvent la perfidie

Retourne fur fon auteur.

FABLE X I I.

Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre.

NE Fable avoit cours parmi l'Antiquité;

Et la raifon ne m'en eft pas connue.

Que le Lecteur en tire une moralité :
Voici la Fable toute nue.

La renommée ayant dit en cent lieux
Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre
Ne voulant rien laiffer de libre fous les Cieux,
Commandoit que fans plus attendre,

Tout peuple à fes pieds s'allât rendre,
Quadrupedes, humains, éléphans, vermissaux,
Les Républiques des oiseaux,
La Déeffe aux cent bouches,
Ayant mis par tout la terreur

dis-je,

En publiant l'Edit du nouvel Empereur,
Les Animaux & toute efpece lige

De fon feul appétit, crurent que cette fois
Il falloit fubir d'autres loix.

On s'affemble au défert. Tous quittent leur taniere:
Après divers avis, on réfout, on conclut
D'envoyer hommage & tribut.

Pour l'hommage & pour la maniere, Le Singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit que l'on vouloit qu'il fût dit.

Ce

Le feul tribut les tint en peine.
Car que donner? il falloit de l'argent.
On en prit d'un Prince obligeant,
Qui, poffédant dans fon domaine
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut queftion de porter ce tribut,
Le Mulet & l'Ane s'offrirent,

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