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tions spontanées. L'histoire de la Philosophie ne peut être détachée entièrement ni de celle de la religion qui lui pose les problèmes fondamentaux, ni surtout de celle des sciences qui, à chaque grande époque, lui donnent des éléments nouveaux de solution. C'est donc en interrogeant l'histoire des sciences que nous essaierons de compléter les renseignements précieux, mais insuffisants, que nous devons aux historiens philosophes. Cette entreprise, qui demanderait à être confiée à des mains plus habiles, a une importance philosophique très-grande. Faute d'avoir en effet suffisamment étudié les circonstances qui déterminent la production des faits, le déterminisme des phénomènes, comme s'exprime avec justesse M. Claude-Bernard, on ne voit dans l'histoire que des miracles et des coups de théâtre, au lieu d'y apercevoir, ce qui s'y trouve en effet, une gradation naturelle, un enchaînement logique de faits provoqués les uns par les autres, et soumis à cette grande loi de la continuité que la science moderne a confirmée après l'avoir empruntée à Leibnitz, et qui gouverne le monde des esprits comme celui des corps. Sans les grands travaux scientifiques du xvi® siècle, sans les admirables découvertes de la fin de ce siècle et du

commencement du xvi, Descartes n'aurait été qu'un Télesio ou un Campanella, un Ramus ou un Vanini; s'il ne s'était assimilé toute la science de son temps, il n'aurait été qu'un Bacon, c'est-àdire un Rhétoricien parmi les Philosophes (1). Enfant de son siècle, il en a reçu un héritage de connaissances positives, sans lequel nulle philosophie nouvelle n'était possible, sans lequel l'esprit humain aurait continué à tourner dans le même cercle d'idées.

La Renaissance est bien nommée. Elle est comme une vie nouvelle pour l'intelligence humaine, comme un printemps nouveau, avec sa floraison brillante. Mais après l'hiver et la longue léthargie du moyen-âge, il faut plus d'un siècle à l'esprit humain pour recouvrer ses forces, et pour rapprendre tout ce qu'il savait quinze ou vingt siècles auparavant. Après l'arrivée des savants byzantins et la découverte de tant de manuscrits qui font sortir de la tombe la civilisation antique, il a besoin de plus de cent années pour remonter au niveau où il se trouvait avec les Aristote, les Pla

(1) V. Libri, Hist. des sc. math. en Ital., dernier vol., passim. Bouillier, Hist. de la phil. cart., I, p. 25 sqq. Bordas-Demoulin, ouvr. cit., I, 17-19. Cf. OEuv. phil. de Bacon, éd. Bouillet.

ton, les Galien, les Archimède, les Euclide et les Apollonius.

En présence de tant de richesses, la première impression est une sorte d'éblouissement, et on admire avant même de bien comprendre. Cependant on se met à l'œuvre avec ardeur, on interroge avec avidité ces géomètres, ces observateurs et ces philosophes dont on découvre chaque jour quelque ouvrage nouveau. Le xve et le xvIe siècles sont remplis de traductions, de commentaires et de restitutions des ouvrages des savants et des philosophes de l'antiquité (1). L'imprimerie sert de véhicule aux œuvres anciennes et aux commentaires nouveaux, et, une seconde fois, dans l'Europe attentive et ravie, et devant un auditoire plus nombreux, Pythagore et les Ioniens, Platon et Aristote, Epicure et Zénon, Archimède, Euclide, Hipparque, Apollonius reprennent leurs sublimes entretiens ou leurs admirables leçons, et répandent dans les esprits le trésor des connaissances positives lentement amassées, et le trésor non moins précieux des grandes théories philoso

(1) V. Montucla, Hist. des sc. math., liv. III. (J'ai sous les yeux l'éd. en 4 vol. Paris, an VII). Libri, Hist. des sc. math. en Ital. V. aussi Tenneman, Manuel, 2e vol., p. 1-72.

phiques et métaphysiques, germes de connaissances nouvelles et instruments de découvertes plus hautes.

Avant que ces découvertes nouvelles soient faites et aient transformé la science en s'accumulant, quelques esprits impatients, peu satisfaits des systèmes anciens, cherchent à se frayer des voies nouvelles en métaphysique et à réformer la Philosophie, sans bien se rendre compte des conditions de cette réforme. Télesio et Campanella veulent en vain devancer l'œuvre du temps.

Les conquêtes positives se firent lentement et obscurément d'abord, puis avec une rapidité merveilleuse et un éclat éblouissant. A l'époque où Descartes commença à méditer par lui-même (1619), leur nombre et leur importance étaient tels, qu'une philosophie nouvelle était non-seulement possible, mais nécessaire pour donner des. fondements plus larges et plus solides à l'édifice agrandi des sciences, et permettre de l'élever plus haut.

Le premier des savants illustres de la fin du xve siècle et du commencement du xvre est Léonard de Vinci (1), le grand artiste à qui nous de

{1) V. Libri, ouvr. cit.

vons Lisa Gioconda, la Cène, et tant d'autres chefs-d'œuvre. Il fut aussi grand dans la science que dans l'art; et il eut, par ses exemples, ses conversations et ses écrits, une grande influence sur la direction scientifique de ses contemporains. C'est grâce à lui surtout que les sciences à la fin du xve siècle secouèrent le joug de l'autorité pour s'adresser à l'observation de la Nature (1). Il disait un siècle avant Bacon et avec plus d'autorité que lui : « L'expérience est seule in»terprète de la nature, il faut donc la consul» ter toujours, et la varier de mille façons, jus» qu'à ce que qu'on en ait tiré les lois universel» les; et elle seule peut nous donner de telles » lois (2). » Il communiqua cet esprit à de nombreux disciples qui le répandirent autour d'eux. On peut dire que Vinci est le père de la science. expérimentale chez les modernes. Il ne se borne pas, comme Bacon, à des exhortations banales qui sentent l'homme ignorant de ce dont il parle, il donne des conseils précis et prêche d'exemple ; il fait avancer la physique générale, l'optique,

(1) V. Mamiani della Rovere, del rinnovamento della filosofia antica Italiana, p. 48.

(2) Ibid.

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