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dexme
of arms

Cet hymen m'est fatal, je le crains, et souhaite :
Je n'ose en espérer qu'une joie imparfaite1.
Ma gloire et mon amour ont pour moi tant d'appas,
Que je meurs s'il s'achève ou ne s'achève pas.
LÉONOR.

Madame, après cela je n'ai rien à vous dire,
Sinon que de vos maux avec vous je soupire:
Je vous blåmois tantôt, je vous plains à présent;
Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant
Votre vertu combat et son charme et sa force,
En repousse l'assaut, en rejette l'amorce,
Elle rendra le calme à vos esprits flottants.
Espérez donc tout d'elle, et du secours du temps;
Espérez tout du ciel : il a trop de justice
Pour laisser la vertu dans un si long supplice.

L'INFANTE.

Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.

LE PAGE.

Par vos commandements Chimène vous vient voir.
L'INFANTE, à Léonor.

Allez l'entretenir en cette galerie.

LÉONOR.

Voulez-vous demeurer dedans la rêverie with

L'INFANTE.

Non, je veux seulement, malgré mon déplaisir,
Remettre mon visage un peu plus à loisir.
Je vous suis.

125

130

wishment

135

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Juste ciel, d'où j'attends mon remède, Mets enfin quelque borne au mal qui me possède : Assure mon repos, assure mon honneur.

Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur :
Cet hyménée à trois également importe;

145

Rends son effet plus prompt, ou mon âme plus forte.

D'un lien conjugal joindre ces deux amants,

C'est briser tous mes fers, et finir mes tourments.
Mais je tarde un peu trop: allons trouver Chimène,
Et par son entretien soulager notre peine.

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1. Var. Je ne m'en promets rien qu'une joie imparfaite. Ma gloire et mon amour ont tous deux tant d'appas, Que je meurs s'il s'achève et ne s'achève pas. (1637-56). 2. Var. Pour souffrir la vertu si longtemps au supplice. (1637-56)

SCÈNE III1

LE COMTE, DON DIÈGUE

LE COMTE.

Enfin vous l'emportez, et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n'étoit dû qu'à moi :
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.
DON DIÈGUE.

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille
Montre à tous qu'il est juste, et fait connoître assez
Qu'il sait récompenser les services passés.

LE COMTE.

155

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu'ils savent mal payer les services présents.

DON DIÈGUE.

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Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite
La faveur l'a pu faire autant que le mérite;
Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n'examiner rien quand un roi l'a voulu.

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A l'honneur qu'il m'a fait ajoutez-en un autre3; 165 Joignons d'un sacré nœud ma maison à la vôtre :

1. « Aujourd'hui, dit Voltaire, dans son Commentaire sur Corneille, publié en 1764, quand les comédiens représentent cette pièce, ils commencent par cette scène. Il parait qu'ils ont trèsgrand tort; car peut-on s'intéresser à la querelle du Comte et de don Diègue, si on n'est pas instruit des amours de leurs enfants? L'affront que Gormas fait à don Diegue est un coup de théâtre, quand on espère qu'ils vont conclure le mariage de Chimène avec Rodrigue. Ce n'est point jouer le Cid, c'est insulter son que de le tronquer ainsi. On ne devrait pas permettre aux comédiens d'altérer ainsi les ouvrages qu'ils représentent. >> Sur les mutilations et les changements qu'on s'est permis dans le texte et dans la représentation du Cid, voyez ci-dessus, p. 12, note 2; et au tome I du Corneille de M. Marty-Laveaux, p. 49-52, la fin de la Notice sur le Cid.

auteur,

2. Var. Vous choisissant peut-être on eût pu mieux choisir; Mais le Roi m'a trouvé plus propre à son desir. (1657-56) 3. Var. A l'honneur qu'on m'a fait ajoutez-en un autre. (1660 et 63/

Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils1; Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'amis: Qw Faites-nous cette grace, et l'acceptez pour gendre.

LE COMTE.

A des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre;
Et le nouvel éclat de votre dignité

Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.
Exercez-la, Monsieur, et gouvernez le Prince :
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous sa loi,
Remplir les bons d'amour, et les méchants d'effroi.
Joignez à ces vertus celles d'un capitaine :
Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille.
Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l'effet.
DON DIÈGUE.

de Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie,
Il lira seulement l'histoire de ma vie.

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175

180

185

Là, dans un long tissu de belles actions,

Il verra comme il faut dompter des nations, Ste
Attaquer une place, ordonner une armée 5,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.

190

LE COMTE.

Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir 6;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Et qu'a fait après tout ce grand nombre d'années,
Que ne puisse égaler une de mes journées?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd'hui,

Et ce bras du Royaume est le plus ferme appui. Spot
Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille in
Mon nom sert de rempart à toute la Castille.

195

1. Var. Rodrigue aime Chimène, et ce digne sujet
De ses affections est le plus cher objet :
Consentez-y, Monsieur, et l'acceptez pour gendre.
LE COMTE. A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre.

(1657-56) 56)

2. Var. Lui doit bien mettre au cœur une autre vanité. (1657

3. Var. Instruisez-le d'exemple, et vous ressouvenez

Qu'il faut faire à ses yeux ce que vous enseignez. (1637-56) 4. Var. Là, dans un long tissu des belles actions. (1659 et 44 in-4°) 5. Var. Attaquer une place et ranger une armée. (1660-64) 6. Var. Les exemples vivants ont bien plus de pouvoir. (1637-56

Sans moi, vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois1.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire.
Le Prince à mes côtés feroit dans les combats
L'essai de son courage à l'ombre de mon bras:
Il apprendroit à vaincre en me regardant faire;
Et pour répondre en hâte à son grand caractère,
Il verroit...

DON DIÈGUE.

Je le sais, vous servez bien le Roi :
Je vous ai vu combattre et commander sous moi.
Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place;
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence

Un monarque entre nous met quelque différence 2.

LE COMTE.

Ce que je méritois, vous l'avez emporté. Car

DON DIÈGUE.

Qui l'a gagné sur vous l'avoit mieux mérité

LE COMTE.

Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.

DON DIÈGUE.

En être refusé n'en est pas un bon signe.

LE COMTE.

Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan.
DON DIÈGUE.

L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

LE COMTE.

Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge3.

1. Var. Et si vous ne m'aviez, vous n'auriez plus de rois. Chaque jour, chaque instant entasse pour ma gloire Laurier dessus laurier, victoire sur victoire.

Le Prince, pour essai de générosité,

Gagneroit des combats marchant à mon côté;

Loin des froides leçons qu'à mon bras on préfère,

[I apprendroit à vaincre en me regardant faire.]

DON DIEG. Vous me parlez en vain de ce que je connoi:

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[Je vous ai vu combattre et commander sous moi.] (1637-56)
Au vers 3 de cette variante, les éditions de 1648-56, portent :

Lauriers dessus lauriers, au pluriel.

2. Var. Un monar que entre nous met de la différence. (1637-56) 3. Var. Parlons-en mieux, le Roi fait l'honneur à votre age.

(1644 in-4)

DON DIEGUE.

Le Roi, quand il en fait, le mesure au courage1.

LE COMTE.

Et par là cet honneur n'étoit dû qu'à mon bras,

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Ton impudence,

Téméraire vieillard, aura sa récompense.

(Il lui donne un soufflet*.)

DON DIÈGUE, mettant l'épée à la main.

Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front.

LE COMTE.

Et que penses-tu faire avec tant de foiblessc?

DON DIÈGUE.

O Dieu! ma force usée en ce besoin me laisse 3!
LE COMTE.

Ton épée est à moi; mais tu serois trop vain,
Si ce honteux trophée avoit chargé ma main,
Adieu fais lire au Prince, en dépit de l'envie,
Pour son instruction, l'histoire de ta vie :

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1. Var. Le Roi quand il en fait, les mesure au courage. (1648-56) 2. On ne donnerait pas aujourd'hui un soufflet sur la joue d'un héros, dit Voltaire. Les acteurs mêmes sont très-embarrassés à donner ce soufflet, ils font le semblant. Cela n'est plus même souffert dans la comédie, et c'est le seul exemple qu'on en ait sur le théâtre tragique. Il est à croire que c'est une des raisons qui firent intituler le Cid tragi-comédie. Presque toutes les pièces de Scudéry et de Boisrobert avaient été des tragi-comédies. On avait cru longtemps en France qu'on ne pouvait supporter le tragique continu sans mélange d'aucune familiarité. Le mot de tragicomédie est très-ancien Plaute l'emploie pour désigner son Amphitryon, parce que si l'aventure de Sosie est comique, Amphitryon est très-sérieusement affligé. »- On a fait remarquer avec raison que, dans le prologue d'Amphitryon (vers 59 et 63), Plaute désigne la pièce par le nom de tragicocomœdia, non pour la raison que doune icì Voltaire, mais parce qu'on voit figurer ensemble dans ce drame, d'une part, des dieux et des rois, personnages de la tragédie, et de l'autre des esclaves, personnages de la

comédie.

3. Var. O Dieul ma force usée à ce besoin me laisse. (1637-56)

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