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notre corps, comme la Divinité par rapport au grand monde; c'est la source du génie; plus on fortifie cette lumière intérieure, mieux nous pouvons agir, connoître et inventer : c'est le Dieu qui nous éclaire.

Est Deus in nobis, agitante calescimus illo.

que

Il faut bien l'homme, dont les facultés vitales sont trop dissipées, se trouve foible devant celui qui les recueille avec force en lui-même, et qui agit de toute son ame. Un tel homme s'honorant à ses propres yeux, s'estime plus rapproché de la Divinité, et participe, en quelque manière, à sa grandeur. Comment deviendra sublime l'esprit, si le cœur manque de magnanimité? Quel sera l'essor d'un naturel sordide, auquel la soif des richesses et l'avare égoïsme ont fait contracter un rétrécissement habituel? Quelle chaleur dilatera ce cœur resserré sur lui-même, par un amour-propre effréné, et pourra rendre sensible aux charmes de la vertu celui qui ne l'est qu'au gain?

Ad hæc animos ærugo et cura peculi Cum semel imbuerit, speramus carmina fingi Posse linenda cedro, et lævi servanda cupresso?

HORAT.

Le génie ne peut

habiter que

dans les ames

expansives qui se débordent dans la nature. Ainsi, la chaleur morale rend généreux, aimant, grand, parce qu'elle épanouit le sentiment; mais la froideur de la crainte engendre l'avarice, la haine, le resserrement moral, défauts directement opposés à la grandeur de l'entendement.

De même qu'un roi trouve au-dessous de sa dignité de modiques richesses ou de minces honneurs, et n'aspire qu'à des choses d'une éclatante renommée, ainsi une ame noble s'élève au-dessus des jouissances du corps. Sans cette indépendance, elle ne peut atteindre à une élévation sublime. Les plaisirs et la fortune attachant trop l'homme à son corps, rendent ses actions timides et ses pensées basses. Qui ne possède rien, ne craint rien, qui peut rejeter tout, se met au-dessus de tout, et quiconque méprise sa vie est supérieur à quiconque aime la sienne. Celui-là qui ne s'appuieroit sur aucune chose du monde, prendroit l'ascendant sur tout le monde. L'ame dégagée de la terre, se lève plus librement vers les cieux; elle acquiert ce qu'elle ôte au corps, elle se relève à proportion qu'elle le rabaisse.

Car nous reconnoîtrons qu'on n'attache tant de prix aux biens extérieurs, aux richesses, au faste, aux grandeurs, &c. que par un dé

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faut de vitalité intérieure, par une secrète défiance de sa propre vigueur, par une véritable impuissance; que la dissipation de l'ame audehors, causant un vide au - dedans, cette absence des plaisirs intérieurs fait qu'on se rabat vers les voluptés des sens. C'est accuser, sa foiblesse et son infériorité que montrer de: la vanité et de l'envie; c'est lorsqu'on se voit plus petit, qu'on veut se hausser par l'orgueil, ou rabaisser à son niveau un plus grand que soi. Toute passion est une dissipation du fluide nerveux qui affoiblit. Nous voyons les personnes d'un caractère foible comme les esprits légers, rechercher passionnément ce qui brille aux regards, parce qu'elles manquent de force interne du cœur ; et la peur de mourir ou de souffrir les fait descendre à d'indignes bassesses. Mais le génie ne peut prendre un essor sublime sans être libre. Il est né pour régner; il est le ministre des loix de la nature.

L'Europe nourrit des ames plus hardies et des esprits plus élevés que l'Asie, où la crainte du despotisme comprimant les cœurs, les force à chercher une compensation dans les plaisirs des sens. D'ailleurs l'affluence des biens amollit les hommes, les soumet à la servitude, tandis que l'industrie s'éveille par besoin, lorsque la nature fait peu pour eux.

le

On peut dire qu'où il y a moins de matière, là se trouve plus d'esprit. Mais cette liberté ne consiste pas tant à vivre hors de la puissance des hommes, qu'à se soustraire aux craintes de la vie, aux attachemens qui asservissent le cœur, et à tout ce qui dégrade le sentiment de notre noblesse originelle (1).

(1) Longin, Traité du sublime, chap. 7.

SECTION PREMIÈRE.

Des facultés intellectuelles.

CHAPITRE PREMIER.

De la faculté de penser et de l'aptitude pour apprendre. En quoi elles consistent.

La seule chose qui distingue véritablement l'homme de l'homme, est la qualité de son ame, puisque la fortune et le hasard disposent à leur gré du reste. Si le corps favorise ou contrarie avec beaucoup d'empire les opérations de l'esprit, si toutes nos bonnes qualités ne doivent pas être attribuées à notre seul mérite, ni tous nos défauts imputés à nos vices; enfin, si les dispositions morales suivent même la pente du tempérament; cependant, nous avons toujours le moyen d'être libres par la volonté et par la pensée, et de réparer les imperfections de notre nature.

On peut comparer l'ame au musicien et le corps à l'instrument dont elle tend, dispose et

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