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ACTE II.

Le Théatre représente l'appartement de Rofine. La croifée dans le fond du Theatre eft fermée par une jaloufie grillée.

SCENE PREMIERE.

ROSINE feule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier fur la table & fe met à écrire.

MARCELINE

ARCELINE eft malade; tous les gens font occupés ; & perfonne ne me voit écrire. Je ne fçais fi ces murs ont des yeux & des oreilles, ou fi mon Argus a un génie mal-faifant qui l'inftruit à point nommé; mais je ne puis dire un mot, ni faire un pás, dont il ne devine fur le champ l'intentionAh Lindor! (Elle cachete la lettre). Fermons tou. jours ma lettre, quoique j'ignore quand & comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jaloufie parler long-temps au Barbier Figaro. C'eft un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié ; fi je pouvois l'entretenir un moment.

***

*****

1

SCENE II.

ROSINE, FIGAR O.

ROSINE, furprise.

AH! Monfieur Figaro, que je fuis aise de vous

voir !

FIGAR O.

Votre fanté, Madame?

ROSIN E.

Pas trop bonne, Monfieur Figaro. L'ennui me

tue.

FIGAR O.

Je le crois; il n'engraiffe que les fots.

ROSIN E.

Avec qui parliez-vous donc là-bas fi vivement? je n'entendois pas: mais

FIGAR O.

Avec un jeune Bachelier de mes parents, de la plus grande efpérance; plein d'efprit, de fentiments, de talents, & d'une figure fort revenante. ROSIN E.

Oh, tout-à-fait bien, je vous affure! I fe nomme ?

FIGAR O.

Lindor. Il n'a rien. Mais s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvoit y trouver quelque bonne place.

ROSIN E.

Il en trouvera, Monfieur Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez, n'eft pas fait pour refter inconnu.

FIGAR O.

Fort bien. (haut) Mais il a un grand défaut, qui nuira toujours à fon avancement.

ROSIN E.

Un défaut, Monfieur Figaro! Un défaut en êtes-vous bien sûr ?

FIGAR O.

11 eft amoureux.

ROSIN E.

Il eft amoureux! & vous appellez cela un défaut?

FIGAR O.

A la vérité, ce n'en eft un que relativement à fa mauvaise fortune.

ROSIN E.

Ah! que le fort eft injufte! Et nomme-t'il la perfonne qu'il aime? Je fuis d'une curiofité

FIGAR O.

Vous êtes la derniere, Madame, à qui je voudrois faire une confidence de cette nature.

ROSINE, vivement.

Pourquoi, Monfieur Figaro? je fuis difcrete; ce jeune homme vous appartient; il m'intéreffe infi niment.-Dites donc.

FIGARO, la regardant finement.

Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte & fraîche, agaçant l'appé

tit, pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rozée, & des mains! de joues! des dents ! des yeux!

Qui refte en cette Ville?

ROSIN E.

FIGAR O.

En ce quartier.

ROSINE.

Dans cette rue peut-être ?

FIGAR O.

ROSIN E.

pour Monfieur

A deux pas de moi.

Ah! que c'eft charmant

votre parent. Et cette perfonne eft?

FIGAR O.

Je ne l'ai pas nommée ?

ROSINE, vivement.

C'est la feule chofe que vous ayez oubliée, Monfieur Figaro. Dites donc, dites donc vîte; fi l'on rentroit je ne pourrois plus fçavoir

FIGAR O.

Vous le voulez abfolument, Madame? Eh bien! cette perfonne eft-la Pupille de votre Tuteur. ROSIN E.

La Pupille?

FIGAR O.

Du Docteur Bartholo: oui, Madame.

ROSINE, avec émotion.

Ah, Monfieur Figaro!je ne vous crois pas, je vous affure.

C

FIGAR O.

Et c'eft ce qu'il brûle de venir vous perfuader lui-même.

ROSIN E.

Vous me faites trembler, Monfieur Figaro.

FIGAR O.

Fi donc, trembler! mauvais calcul, Madame; quand on céde à la peur du mal, on reffent déja le mal de la peur. D'ailleurs, je viens de vous débarraffer de tous vos furveillants, jufqu'à demain. ROSIN E.

S'il m'aime, il doit me le prouver, en reftant abfolument tranquille.

FIGAR O.

Eh, Madame! Amour & repos peuvent-ils habiter en même cœur ? La pauvre jeuneffe eft fi malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix; amour fans repos, ou repos fans amour.

ROSINE, baiffant les yeux.

Repos fans amour-paroît

FIGAR O.

Ah! bien languiffant. Il femble, en effet, qu'amour fans repos, fe préfente de meilleure grace & pour moi, fi j'étois femme

ROSINE, avec embarras.

Il eft certain qu'une jeune perfonne ne peut empêcher un honnête-honyne de l'eftimer. Mais s'il alloit faire quelque imprudence, Monfieur, Figaro, il nous perdroit.

FIGARO, à part.

Il nous perdroit. (haut) Si vous le lui défendiez expreffément par une petite lettre-Une lettre a bien du pouvoir.

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