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la fleur est sur les fruits; elle y donne un lustre qui s'efface aisément, et qui ne revient jamais.

* CCLXXV.

Le bon naturel, qui se vante d'être si sensible, est souvent étouffé par le moindre intérêt.

CCLXXVI.

L'absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.

CCLXXVII.

Les femmes croient souvent aimer, encore qu'elles n'aiment pas. L'occupation d'une intrigue, l'émotion d'esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la passion lorsqu'elles n'ont que de la coquetterie.

CCLXXVIII.

Ce qui fait que l'on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu'ils abandonnent presque toujours l'intérêt de leurs amis pour l'intérêt du succès de la négociation, qui devient le leur, par l'honneur d'avoir réussi à ce qu'ils avoient entrepris.

CCLXXIX.

Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c'est souvent moins par reconnoissance que par le désir de faire juger de notre mérite.

CCLXXX.

L'approbation que l'on donne à ceux qui entrent dans le monde, vient souvent de l'envie secrète que l'on porte à ceux qui y sont établis.

CCLXXXI.

L'orgueil qui nous inspire tant d'envie nous sert souvent aussi à la modérer.

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y a

CCLXXXII.

des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité, que ce seroit mal juger que de ne s'y pas laisser tromper.

CCLXXXIII.

Il n'y a pas quelquefois moins d'habileté à savoir profiter d'un bon conseil, qu'à se bien conseiller soi-même.

CCLXXXIV.

Il

y a

des méchants qui seroient moins dange reux, s'ils n'avoient aucune bonté.

IL

* CCLXXXV.

La magnanimité est assez définie par son nom; néanmoins on pourroit dire que c'est le bon sens de l'orgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges.

CCLXXXVI.

Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.

CCLXXXVII.

Ce n'est pas tant la fertilité de l'esprit qui nous fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire, que c'est le défaut de lumières qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à notre imagination, et qui nous empêche de discerner d'abord ce qui est le meilleur.

CCLXXXVIII.

les re

Il y a des affaires et des maladies que mèdes aigrissent en certains temps; et la grande habileté consiste à connoître quand il est dangereux d'en user. 1

Var. Il est des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent; et on peut dire que la grande habileté consiste à savoir connoître les temps où il est dangereux d'en faire. (1665 n° 316.)

CCLXXXIX.

La simplicité affectée est une imposture déli

cate.

Π

CCXC.

Il y a plus de défauts dans l'humeur que dans l'esprit.

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Le mérite des hommes a sa saison aussi-bien que les fruits.

CCXCII.

On peut dire de l'humeur des hommes comme de la plupart des bâtiments, qu'elle a diverses faces; les unes agréables, et les autres désagréables.

* CCXCIII.

La modération ne peut avoir le mérite de combattre l'ambition et de la soumettre; elles ne se trouvent jamais ensemble. La modération est la langueur et la paresse de l'âme, comme l'ambition en est l'activité et l'ardeur. '

1

Var. La modération dans la plupart des hommes n'a garde de combattre et de soumettre l'ambition, puisqu'elles ne se peuvent trouver ensemble; la modération n'étant d'ordinaire qu'une paresse, une langueur, et un manque de courage: de manière qu'on peut justement dire à leur égard, que la modération est une bassesse de l'âme, comme l'ambition en est l'élévation. (1665 n° 17.)

CCXCIV.

Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.

CCXCV.

Il s'en faut bien que nous ne connoissions toutes nos volontés. '

1

CCXCVI.

Il est difficile d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il ne l'est pas moins d'aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.

CCXCVII.

Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté. Elles roulent ensemble, et

1 Var. Comment peut-on répondre de ce qu'on voudra à l'avenir, puisque l'on ne sait pas précisément ce que l'on veut dans le temps présent? (1665 n° 74.)

Dans le temps où La Rochefoucauld écrivoit, et il y a peu d'années encore, lorsqu'après il s'en faut il n'y avoit point d'adverbe, ou qu'il y en avoit un autre que peu, on pouvoit indifféremment employer ou retrancher ne. Aujourd'hui la langue est fixée sur ce point, et toutes les fois que le verbe il s'en faut n'est accompagné ni d'une négation, ni de quelques mots qui aient un sens négatif, tels que peu, guère, presque, rien, etc., la proposition subordonnée s'emploie sans la négative ne. Tous les éditeurs se sont permis de corriger cette faute, qui se retrouve plusieurs fois dans l'ouvrage.

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