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CHAPITRE XXIII

LES BANQUES ET INSTITUTIONS DE CRÉDIT (1)

Les Institutions de crédit font le commerce du crédit, elles en achètent et en vendent. Il en est qui font tous les genres d'opérations qui se rattachent à ce commerce, mais la plupart se spécialisent et se consacrent de préférence à l'une ou l'autre des catégories d'affaires dans lesquelles le temps intervient comme élément caractéristique (v. la définition du crédit, p. 381). On a l'habitude de diviser le crédit en réel (foncier, sur gage, etc.) et personnel, division qui laisse à désirer parce qu'elle néglige les nuances; or c'est avec le crédit personnel qu'on classe les affaires de banque.

Avant la banque, il y eut le banquier, avant le banquier, le capitaliste. Ces deux derniers diffèrent entre eux sur un point important: le capitaliste ne travaille (ou à peu près) qu'avec ses propres fonds, le banquier emploie surtout les fonds d'autrui. Il s'ensuit que le capitaliste est toujours créancier, le banquier à la fois créancier et débiteur, car il emprunte pour prêter. L'industrie des uns et des autres remonte à l'antiquité grecque et romaine, il y

(1) Nous avons classé le chapitre Crédit après le chapitre Capital, parce que le crédit fait le plus scuvent passer le capital entre les mains qui sauront l'utiliser. De même nous rangeons le chapitre Banques après le chapitre Monnaies, parce que le billet de banque, les virements, chèques se substituent souvent aux espèces et rendent le service de la monnaie, ils en sont pour ainsi dire le complément.

avait à Milet, Éphèse, Corinthe, Athènes des trapézites Тpanelit, à Rome et ailleurs des argentarii et mensarii, les mots Tρan et mensa signifient table; le banc, dont on fait dériver banque, était primitivement une simple planche posée sur des supports et figurant un comptoir, une table. On a contesté cette étymologie, comme on le verra plus loin, mais peu importe; nous avons seulement voulu rappeler que l'industrie remonte très haut, qu'elle florissait déjà au temps de Thémistocle et qu'elle est arrivée jusqu'à nous, à travers les siècles, sans solution de continuité.

La grande variété des monnaies due à la multiplicité des petits États qui florissaient au cinquième siècle avant notre ère en Asie Mineure, en Grèce et les contrées adjacentes, a fait naître l'industrie des changeurs. Les premiers se sont assis derrière une petite table sur le marché avec quelques sébiles contenant des monnaies, ce sont les humbles ancêtres des fières banques d'Angleterre, de France et autres pays. Quand les petits changeurs furent devenus grands, ils eurent de solides voûtes bien cadenassées pour conserver leur trésor. Avec la fortune vint la confiance, et souvent on leur donna à garder des sommes d'argent. On rétribua d'abord ce service, puis les gardiens, loin de se faire rémunérer, payèrent eux-mêmes des intérêts aux propriétaires pour être autorisés à utiliser les dépôts, ils se déclaraient néanmoins prêts à le rembourser sur demande. On ne tarda pas à émettre des mandats de payement sous la forme de chèques ou de lettres de change (pour nous servir des termes modernes) et le procédé des virements de compte, ainsi que d'autres opérations qui nous semblent nées d'hier, était également familier aux banquiers de l'antique Grèce. Il y eut peut-être des essais d'associations de capitaux pour entreprendre des affaires de banque, mais ce n'est qu'à partir du moyen âge que nous voyons se

former ces grands établissements de crédit auxquels nous réservons le nom de Banques (1).

Si le crédit est presque aussi vieux que les monnaies, s'il a eu vingt-deux ou vingt-quatre siècles pour se dévevelopper, il n'est pas étonnant qu'il soit aujourd'hui plus répandu que jamais, que ses opérations soient plus variées et ses procédés plus parfaits. On a fait de longues énumérations des unes et des autres; en les résumant, il nous sera plus facile d'en donner une vue d'ensemble et d'expliquer les différents mécanismes qu'on met en mouvement:

1. Il y a d'abord les établissements qui ne s'occupent que du crédit réel, crédit très mal dénommé, si la confiance est son essence, car la confiance en est presque absente. Le crédit, dit réel, est un prêt sur gage, que le gage soit un immeuble (crédit foncier, crédit hypothécaire) ou qu'il consiste en marchandises, bijoux, métaux précieux, effets publics, c'est le même principe. Les établissements qui prêtent sur gage immobilier font généralement bande à part, soit qu'ils aient à leur tête une société d'actionnaires prêteurs (ou garantissant les prêts), soit qu'ils consistent en une association d'emprunteur comme en Prusse. Les prêts immobiliers sont cependant des opérations de crédit, car l'élément caractéristique y est, savoir : l'intervalle de temps qui sépare la création de la dette de son extinction.

Ce qui différencie les prêts sur gages immobiliers des prêts sur gages mobiliers, c'est la durée de la dette. Les prêts sur gages mobiliers, marchandises, lingots, effets sont généralement fait pour des mois, les prêts sur gages immobiliers pour des années. Aussi les premiers sont-ils généralement réservés aux banques proprement dites, qui

(1) Mentionnons ici une belle étude de M. L. Delisle, de l'Acad. des Insc. et B.-L. Mémoires sur les opérations financières des Templiers (Mém. de l'Ac. des I. et B.-L. 1889).

font plus particulièrement du crédit personnel, lequel est toujours à court terme (maximum usuel trois mois). Aussi serions-nous disposé à remplacer la division du crédit en réel et personnel, par cette autre : 1° crédit à long terme; 2o crédit à court terme, division d'autant plus exacte que le temps est l'élément caractéristique du crédit. Nous soumettons cette proposition à nos successeurs, en attendant nous ajouterons quelques courtes explications sur les crédits à long terme, c'est-à-dire les prêts hypothécaires ou sur immeubles. Nous avons distingué les sociétés de prêteurs des associations d'emprunteurs, mais les uns et les autres s'adressent au public, les premiers offrent des <«< obligations », les autres des «< lettres de gage » (obligations hypothécaires), c'est presque la même chose, elles sont, les unes et les autres, vendues à la bourse, soit par la société, soit par l'emprunteur. Le remboursement a lieu par voie d'amortissement, c'est-à-dire par de petits payements successifs joints aux intérêts. Tant que ces payements sont régulièrement faits, le créancier ne peut pas exiger le remboursement intégral de ce qui lui reste encore dû (1). Le débiteur peut toujours se libérer par des payements anticipés. Ces deux points sont fondamentaux. D'un autre côté, le créancier qui voudrait rentrer dans ses fonds, le pourrait aisément, il n'aurait qu'à vendre ses actions et ses obligations. Nous n'avons pas besoin de faire ressortir la supériorité de cette organisation, dont les premières essais furent faits en Prusse sous Frédéric II, sur l'hypothèque ordinaire, consentie par un débiteur au capitaliste qui lui prête une somme d'argent.

2. Les banques de dépôt et de virement, qui étaient autrefois si importantes, n'ont plus qu'un intérêt historique. On y déposait des lingots ou du numéraire, pour être dis

(1) C'est l'avantage propre aux sociétés. Les prêts consentis par des particuliers ne sont pas insensiblement amortis.

pensé de les garder chez soi, sans être empêché dans ses affaires quand on avait un payement à faire, on donnait un mandat sur la banque, et généralement un simple virement éteignait la dette. La plupart de ces banques ont été fondées par suite du mauvais état des monnaies. La banque les recevait pour leur valeur en lingot pur, et en créditait le déposant, en adoptant pour unité de valeur un certain poids en argent. A Hambourg, il y avait le marc banco qui n'a jamais été frappé; c'était une « monnaie de compte ». Les banques de dépôt et de virement qui ont joui du plus grand renom étaient celles de Venise (xn° siècle), Amsterdam (1609), Hambourg (1619), Nuremberg (1621), Gènes (1407) et quelques autres. Leurs statuts n'étaient cependant pas identiques, mais les différences n'étaient pas fondamentales. Aujourd'hui toutes les banques acceptent des dépôts et font des virements.

3. C'est la banque d'escompte (et de dépôt) qui est la vraie banque moderne, car l'escompte est le grand véhicule du crédit, c'est en tout cas le plus important de ses procédés, celui dont se servent le commerce et l'industrie. L'emploi en étant presque universel, il ne peut être que très simple. Un fabricant vend ses produits à un marchand et reçoit de ce dernier une promesse de payer, à lui ou à un autre (billet à ordre), dans le délai de trois mois. Si le fabricant ne veut pas attendre trois mois et qu'il ne trouve pas un autre industriel qui accepte le billet en payement (la date ou la somme peuvent ne pas convenir), le fabricant s'adresse au banquier ou à la banque pour le faire escompter. C'est comme s'il disait: que me donnezVous aujourd'hui pour les 100 francs que vous encaisse rez dans trois mois? On répondra peut-être : 99 francs, l'escompte étant à 4 p. 100 (l'an), et le fabricant endosse le billet pour le passer au banquier. Celui-ci, ayant une plus grande clientèle, étant plus connu, peut, en l'endos

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