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nière de voir que le savant économiste américain développe dans son livre.

M. W. Roscher, Grundlagen, 1886, p. 583, déclare: « le concept du luxe est essentiellement relatif, » c'est-à-dire que la notion change avec les temps et les lieux. En tout cas, la civilisation a plus de besoins que l'état sauvage. D'un autre côté le luxe est plus simple chez des peuples avancés en culture que chez des nations barbares et surtout chez les peuples en décadence. Naturellement il est aussi plus élégant, il consiste parfois en une propreté excessive. M. Roscher aussi considère le luxe comme une stimulant, et en même temps comme un sorte de réserve pour les mauvais temps. C'est un service que rendent, par exemple, les bijoux. Un peuple qui vit de froment peut, en cas de mauvaise récolte, trouver un supplément dans le seigle ou dans d'autres grains qui seraient employés ordinairement à d'autres usages. Enfin M. R. fait ressortir cette vérité, que le luxe suppose la sécurité. On cache sa fortune quand la sécurité manque.

M. Lexis, dans le t. I du Handbuch de M. G. de Schönberg, p. 704 et s., traite du luxe, sans s'écarter sensiblement des opinions émises par M. Roscher. Il parle aussi (p. 708) d'un « luxe populaire légitime ». Nous ne savons s'il est correct d'appeler luxe une consommation à peu près générale. Si le nécessaire comporte déjà des jouissances nombreuses, si le standard of life est élevé, le luxe commence à un point supérieur et il doit être moins humiliant pour ceux qui ne peuvent pas y atteindre. La statistique donne des renseignements sur le mouvement des consommations populaires plus ou moins luxueuses. Les riches consomment autant de café, sucre, etc., qu'il leur plait, la quantité ne varie guère; les classes inférieures en consomment plus ou moins selon leur situation, par conséquent, la consommation par tête s'élève ou se réduit selon que ces classes sont plus ou moins en état de prospérité, et c'est ainsi que certaines consommations peuvent servir de baromètre pour la prospérité matérielle d'un pays.

RÉSUMÉ

CHAPITRE XXXVI

PROGRES RÉALISÉS PAR LA DOCTRINE, DEPUIS
ADAM SMITH

Quels sont les progrès réalisés par la science économique depuis Adam Smith? c'est la question que nous nous sommes posée en commençant le présent ouvrage, et que nous avons eu constamment en vue en rédigeant les chapitres qui précèdent; il s'agit maintenant de résumer les réponses que ces chapitres étaient destinés à développer.

Ce résumé est d'autant plus nécessaire, qu'à entendre certains publicistes, il n'est rien resté des doctrines professées par les premiers maîtres, tout a été réfuté, effacé, remplacé, tout ce qu'on enseigne aujourd'hui est nouveau. Mais dès qu'on veut prendre connaissance des prétendues nouveautés, on s'aperçoit que les anciennes propositions ont été très peu modifiées, on n'y a souvent changé que les accessoires, la physionomie, le vêtement. On s'est appliqué surtout à adoucir la raideur naturelle de la science qui montre avec trop de franchise les maux de la vie, et n'indique d'autres remèdes que des efforts qui sont presque des maux ou la culture de qualités et de vertus qui ne semblent pas à la portée de tout le monde. Autrefois, les adeptes de la science étaient une minorité d'élite; chacun

savait supporter les vérités désagréables que l'expérience mettait en évidence, et s'il ne s'arrangeait pas de manière à éviter le mal, il en connaissait du moins la vraie cause, et il savait au besoin la chercher dans ses propres défauts.

Aujourd'hui la science économique s'est vulgarisée, tout le monde croit en posséder les notions essentielles, mais on ne veut plus y comprendre ce que nous avons appelé les vérités désagréables. Pour pouvoir les répudier, on leur conteste leur qualité de vérité et leur qualité de nécessité. On prétend refaire la science de manière à anéantir les vérités désagréables, mais on se vante, car les petits progrès que l'humanité ne cesse de faire continuent et continueront toujours à être soumis aux lois économiques qui dérivent de la nature humaine. Cette domination des lois économiques est très souvent reconnue implicitement par ceux-là même qui venaient de les nier explicitement. On en trouve des exemples dans les chapitres précédents, aussi ne nous y arrêterons-nous pas. Nous préférons indiquer brièvement les groupes qui se posent en adversaires soit de la science économique en général, soit des doctrines qui diffèrent de celles qu'ils désirent faire prévaloir.

Ces groupes sont surtout les socialistes et les partisans d'une école allemande qui s'est donné le nom de « politique sociale » et que ses adversaires, depuis 1872, nomment socialistes de la chaire.

Pour les socialistes il faut distinguer. Les premiers étaient des hommes qui se proposaient de redresser tous les torts et de rendre heureuse l'humanité tout entière. C'étaient des hommes de bonne foi, des utopistes purs, des rêveurs qui croyaient pouvoir changer le caractère des hommes en modifiant l'organisation extérieure de la société. Ils se trompaient, car cette organisation est l'effet et non la cause de la nature humaine. Quoi qu'il en soit,

des politiciens ne tardèrent pas à s'emparer de cette veine et de l'exploiter à leur point de vue, pour ne pas dire à leur profit. Nous pensons surtout à Lassalle et à Karl Marx qui, après quelques autres, se posèrent en avocats des ouvriers manuels, espérant se faire ainsi une clientèle assez nombreuse pour acquérir de la puissance. Nous ne soutiendrons pas que, pour ces agitateurs, les doctrines socialistes fussent de purs instruments, ils y croyaient sans doute plus ou moins, mais il est certain aussi que dans leurs assertions ils n'y ont pas toujours regardé de bien près, et que.... agitateurs, ils ont voulu agiter. Ils se sont d'ailleurs passionnés; or la passion rend aveugle et permet à la bonne foi de s'altérer, ou de prendre des illusions pour des réalités.

Les socialistes proprement dits n'auraient pour nous, au point de vue de la présente étude, qu'un intérêt secondaire; ce sont des adversaires prononcés et dont le parti pris saute aux yeux; ils se bornent à nier, ou attaquent violemment avec accompagnement d'injures, ils travaillent d'ailleurs à renverser l'organisation sociale et économique actuelle, sans avoir rien de sérieux à mettre à la place. En présence de pareils adversaires, les hommes réfléchis, impartiaux, expérimentés, restent froids, ils ne sont pas influencés par les assertions gonflées de haine qu'on déclame devant eux. Avec de pareils moyens on ne gagne que des esprits prédisposés, sur lesquels d'ailleurs les vrais arguments n'ont pas de prise. Le plus grand nombre de socialistes le sont par tempérament, ou par position, ou parce qu'ils ont souffert (certains hommes se plaignent des autres même quand ils ont mérité leur sort), ou parce qu'ils ont confiance dans les assertions et les promesses quelquefois extravagantes des meneurs-agitateurs, les démagogues modernes. Encore une fois, pour des esprits ainsi prévenus ou aigris, le langage de la raison ne porte pas. On n'en

combat pas moins ces adversaires, mais plutôt par acquit de conscience, par amour de la vérité, que dans l'espoir de réussir.

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Ce qui caractérisait les deux agitateurs éminents que nous avons nommés plus haut, c'est qu'ils étaient des savants très distingués et qu'ils surent très habilement s'appuyer sur les maîtres mêmes de l'économie politique. Ils empruntèrent à Ad. Smith et à Ricardo quelques propositions isolées - littéralement vraies, mais rendues fausses par leur isolement et en tirèrent les conséquences dont ils avaient besoin. Leurs erreurs ont été amplement réfutées depuis, mais aux premiers moments leurs déductions d'apparence scientifique exercèrent une grande influence sur les jeunes professeurs et privat docenten des universités allemandes, car avec des formes de déduction logique, encadrées dans des phrases humanitaires promettant de guérir les maux sociaux, il n'est pas difficile d'attirer l'attention et même les sympathies d'une jeunesse généreuse. Ces jeunes professeurs devinrent ainsi, pour l'économie politique qui a sa source principale dans la Richesse des Nations d'Ad. Smith, des adversaires d'autant plus sérieux qu'ils prétendaient rester économistes, et qu'ils se posaient en réformateurs. Ils s'appliquèrent même plus tard à réfuter partiellement Lassalle et Marx, ne voulant pas aller aussi loin qu'eux. Leur but était d'ailleurs louable, ils reprochaient à l'ancienne école, c'est-à-dire à la seule existante, de se complaire dans les théories et de ne rien faire pour la pratique, de laisser les malheureux dans la misère, sans rien tenter pour les en tirer, et cela par amour du « laissez-faire » et par répugnance contre l'intervention du gouvernement. Ils fondèrent une société d'application dite de la « Social-Politik» (de l'économie sociale appliquée) se proposant de rechercher les moyens de faire cesser les maux dont on se plaignait. Tous les ans

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