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fice ne comprend ni le salaire que gagne le petit entrepreneur en travaillant de ses mains, ni la prime d'assurance. Cette dernière est un capital qu'on met de côté à titre de réserve pour remplacer au besoin le capital perdu.

M. Hermann pense que le montant des bénéfices dépend assez de la grandeur des capitaux mis en mouvement. Cela est vrai, mais le mot «< montant »> ne veut rien dire ici; il va sans dire qu'en disposant d'un million on fait de bien autres affaires qu'en ne disposant que de 1000 francs; mais c'est du taux des bénéfices qu'il aurait dû parler, et le taux semble dépendre bien plus de la capacité de l'entrepreneur que de la grandeur du capital (bien que cette grandeur y soit pour quelque chose). Hermann ajoute et peut-être aussi du genre d'affaires. Il dit encore (p. 538, 2° note) que l'entrepreneur ne peut pas s'attribuer un traitement, il ne peut jouir que d'avances sur les bénéfices qui sont sa rémunération spécifique (nous sommes heureux de nous rencontrer avec lui sur ce point). Un peu plus loin (p. 542) l'auteur résume ainsi sa doctrine.

1° Chaque capital exige, pour sa fécondation, un plan, des soins, de la surveillance et en général une activité intellectuelle.

2o Le bénéfice net obtenu d'un capital n'est donc pas une simple rémunération du prêt, c'est plutôt le résultat de son actif emploi.

3° Celui qui offre de prêter un capital, ne peut demander en échange que des intérêts; l'emprunteur qui s'en sert dans ses entreprises prend le reste (c'est son bénéfice).

4o La grandeur relative de ces deux parts (les intérêts et le bénéfice) dépend de l'offre et de la demande.

5° Si le profit total s'élève ou baisse d'une manière permanente, les intérêts hausseront ou baisseront en même temps; les oscillations passagèrent ne sont ressenties que par l'entre

preneur.

6° Certains bénéfices d'entrepreneur peuvent se maintenir, faute de concurrence, au-dessus du taux moyen; certains bénéfices peuvent rentrer si sûrement et avec tant de régularité, qu'ils acquièrent la vale ur d'un capital.

7° Les améliorations, les inventions et notamment les réductions de frais de production profitent d'abord aux entrepreneurs et ensuite aux consommateurs. On commence par in

demniser les entrepreneurs, mais finalement la concurrence s'en mêlant tous les progrès vont grossir la productivité du capital national. »

Les idées de Hermann, ne sont pas bien éloignées de celles de Turgot qui dit (Réflexions, § 86):. « L'argent employé dans l'industrie ou dans le commerce doit rapporter un profit plus considérable que le revenu du même capital employé en terres ou l'intérêt du même argent prêté; car ces emplois exigent, outre le capital avancé, beaucoup de soins et de travail; s'ils n'étaient pas lucratifs, il vaudrait bien mieux se procurer un revenu égal dont on pourrait jouir sans rien faire. » (Turgot est donc l'un des précurseurs de J.-B. Say, mais sans diminuer le mérite de ce dernier).

M. Roscher considère l'entrepreneur comme un ageut spécial de production, et parle de bénéfices, mais il ne voit dans la rémunération de cet agent qu'un salaire supérieur aux autres. C'est donc toujours un salalre et dans ce cas, il n'y a pas lieu de l'isoler. Mais M. Roscher a dû sentir que son explication laissait à désirer, car voilà comment il s'exprime à un autre endroit (p. 573, § 195): « Le salaire de l'entrepreneur obéit à peu près aux mêmes lois que le salaire en général. Mais il ne se distingue des autres branches de revenu que par ce point qu'il ne peut pas être convenu d'avance, car il consiste dans l'excédent que l'entreprise produit au delà des rentes du sol, des intérêts et des bas salaires convenus ou établis selon la coutume. » On ne peut guère appeler salaire un revenu aussi aléatoire. L'entrepreneur est un homme qui lutte contre les chances et sa récompense est un gain et jamais un salaire. Le salaire est fixe et prévu, le gain variable et incertain.

Dans le Handbuch de Schoenberg, c'est M. Mithoff qui parle de l'entrepreneur. Le bénéfice est pour lui aussi la différence entre le résultat de la production (le prix de vente) et les frais. Cette différence est un tout qu'on ne sépare pas dans ses éléments, bien qu'on le sache l'effet combiné du capital et du travail. L'auteur n'a pas tort en fait, mais seulement dans une certaine mesure, car il oublie le principal facteur, l'activité de l'entrepreneur. Le revenu de ce dernier n'est jamais convenu ou fixé d'avance, il dépend du succès de l'affaire. L'auteur dit, p. 671: « Le produit de l'activité de l'entrepreneur peut être considéré comme un salaire, bien que la définition du salaire :

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<< la rémunération d'un travail fourni à autrui » ne s'applique pas aux services que l'entrepreneur rend. » Dans ce cas n'employez pas le mot salaire, vous faites donc sciemment une faute! M. Mithoff trouve qu'on doit parler du revenu de l'entrepreneur plutôt que de ses bénéfices, le bénéfice étant une abstraction, tandis que le revenu étant la chose réelle. Il donne ainsi à entendre que chaque entrepreneur perçoit, en dehors de son bénéfice, des intérêts et des salaires, qu'il faut défalquer du revenu total pour avoir le bénéfice net. Mais l'auteur oublie qu'il s'agit uniquement d'isoler le bénéfice, et rien que le bénéfice, que c'est uniquement pour cette raison qu'il a pris la plume, qu'on a parlé travail et capital à satiété, tandis que le bénéfice reste encore dans un vague crépuscule, dont il paraît qu'on n'aime pas le faire sortir. Si M. Mithoff l'y laisse, c'est qu'il n'a pas une idée claire de la chose, ou hésite à exprimer une idée nette, tranchée. Il admet, p. 671, que le gain de l'entrepreneur ne peut pas être un salaire, puisqu'il n'est pas ausbedungen (arrêté, fixé d'avance par une convention), il trouve même que par d'autres raisons encore; «<parce que la définition du salaire ne s'applique pas au service rendu (persönliche Leistung) par l'entrepreneur, et bien qu'il ne devienne pas ouvrier (nicht zum Arbeiter), on peut tout de même parler de son salaire, als Arbeitslohn aufgefasst, considéré

comme rémunération de son travail, car «< il est impossible d'admettre que l'entrepreneur ait été oisif pendant tout le temps. » Il s'est occupé de l'entreprise, il a dirigé, inspecté, ordonné, même spéculé, donc il a travaillé... donc il reçoit un salaire. N'est-ce pas admirable? En somme, quand on lit le travail de M. Mithoff, on trouve qu'il connaît les bons arguments, mais qu'il n'ose pas s'en servir, ce serait contraire au courant qui émane des universités. Je suis d'avis que c'est juste le moment de tenir ferme et de dire: e pur si muove! quand l'erreur est soutenue par une puissance quelconque.

En Italie la question ne paraît pas avoir été beaucoup étudiée, cependant nous pouvons citer M. le prof. G. Todde (Note sulla economia politica, 1887) qui définit bien l'entrepreneur et le distingue du capitaliste. Voici sa définition du profit (p. 153): e profito diventa il lucro della speculazione, conglobato al salario devuto all' opera personale di chi la intraprenda.

C'est le seul économiste qui, si nous ne nous trompons, ait vu

dans la spéculation la source des gains de l'entrepreneur, mais il n'est pas entré dans assez de développements pour que nous puissions juger s'il a vu les choses complètement comme

nous.

CHAPITRE XXXI

LES IMPOTS. LA PART DE L'ÉTAT.

§ 1er.

Principes généraux.

Dans les chapitres précédents nous avons vu que les produits de l'industrie humaine se répartissent entre les facteurs de la production sous la forme de salaire, intérêt, rente et bénéfice; mais l'État aussi entre dans le partage, il a un droit à faire valoir, dont la légitimité est reconnue par les producteurs, quelquefois, il est vrai, d'assez mauvaise grâce. La part de l'État s'appelle l'impôt (1).

L'État a droit à l'impôt parce qu'il accomplit une haute mission, celle d'assurer aux habitants du pays la sécurité, la justice et d'autres biens collectifs de première importance qu'ils ne peuvent pas se procurer individuellement. Ces biens ne s'obtiennent pas sans une organisation politique, administrative, civile, fort coûteuse, à l'entretien de laquelle il est du devoir de tous les citoyens de contribuer. C'est ce qui a fait donner aux impôts le nom de contributions (publiques).

Le payement des impôts (ou le versement des contributions) est donc un simple devoir civique. Tout homme qui profite des avantages d'une organisation politique appelée État oit contribuer à en couvrir les dépenses. C'est une

() Nous croyons devoir faire remarquer que nous n'avons pas à épuiser la question financière, nous examinons seulement les impôts au point de vue économique.

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