Page images
PDF
EPUB

dant les seules bonnes entreprises, les seules qui ont des chances de succès.) En se faisant prêter les capitaux sans intérêts par l'État? L'expérience a été faite en 1848, mais les 3 millions distribués de la sorte n'ont pas porté bonheur (doux reproche) aux sociétés qui les avaient reçus. L'argent donné, surtout quand il est donné par l'État, se gaspille le mieux du monde.....>> (Et celui prêté par la commune? Voy. la note de la page précédente.)

«<3° Enfin le dernier écueil, c'est qu'elles tendent à reconstituer les formes mêmes qu'elles se proposaient d'éliminer (c'est l'auteur qui souligne), à savoir, l'organisation patronale avec le salariat, tant il est malaisé de modifier un état social! (M. Gide est ici d'une injustice criante, ce n'est pas la société, mais pas du tout c'est la nature humaine qui est en jeu. Ce fait prouve que le salariat n'est pas, comme le dit M. Gide, contre nature.) Du jour, en effet, où ces associations ont réussi, la plupart se ferment et, refusant tout nouvel associé, engagent des ouvriers salariés, en sorte qu'elles deviennent tout simplement des sociétés de petits patrons... » C'est la nature humaine!

M. Gide entre, comme on le pense bien, dans des développements optimistes; les autres économistes français sont bienveillants pour la coopération, mais sans lui attribuer une grande influence. Chez les Anglais et les Américains les opinions sont partagées. M. Fr. Walker a raison d'insister sur ce point, que la coopération n'est pas une union entre le capital et le travail, mais entre l'entrepreneur et l'ouvrier, ce que nous avons d'ailleurs dit dans notre définition. Les ouvriers associés peuvent très bien avoir emprunté leur capital (voy. la note précéd.). M. Walker, dans Political economy, p. 357, dit qu'en s'associant, les ouvriers ont un double but se débarrasser d'un maître et se partager ses bénéfices. Il ajoute que les économistes attribuent à la coopération encore trois autres avantages: 1° la coopération ferait cesser les grèves; 2° les ouvriers travailleront avec plus d'ardeur et plus de soins, sans rien gâcher; 3° la sobriété se trouverait encouragée. Le moraliste ajouterait que la coopération agirait favorablement sur la moralité de l'ouvrier.

M. Walker passe ensuite aux difficultés que la coopération doit vaincre. Il distingue entre les sociétés de consommation

qui semblent réussir et les sociétés de production dont la plupart ont sombré en France, en Angleterre, aux États-Unis et ailleurs (p. 360, the most discouraging, if not of the most disastrous character). L'auteur cite M. Harrison «< a distinguished labor champion » qui parle dans le même sens. Quelles sont donc les causes de ces insuccès? Il n'y en a qu'une : c'est que ces sociétés n'ont pas le directeur qu'il leur faut. Sans un directeur qui joue le rôle d'un entrepreneur, ils ne peuvent pas réussir, et M. Walker a d'autant plus raison d'insister, qu'il est convaincu que les bénéfices de l'entrepreneur ne sont pas pris sur les salaires des ouvriers. Un grand nombre d'auteurs, dans différents pays, s'expriment de la même façon; les socialistes sont également contre la coopération, parce que celle-ci reconnaît la propriété individuelle.

Comme nous aurons à parler ailleurs plus amplement de la participation, nous nous bornons à résumer ici un passage de The conflicts of capital and labour, par George Howell, p. 474 et suiv.

« L'industrial partnership », termes qui ont, comme on le verra, une signification plus large que notre « participation aux bénéfices », cette partnership serait peut-être le meilleur moyen, dit-il, d'approfondir certains rapports entre les profits et les salaires, et d'essayer d'arriver défalcation faite de ce qui est dû au capital à rendre plus égal ce qu'on paye (à l'entrepreneur) pour la direction et la surveillance des travaux d'une part, et pour le travail de l'autre. Pour que la répartition se fasse équitablement, et que chacun ait sa part légitime, il est nécessaire d'évaluer exactement la valeur de l'usine et des machines, d'établir le montant des capitaux circulants et le prix des matières premières. On aura aussi à indiquer les traitements des employés et les salaires des ouvriers, de manière qu'on puisse minutieusement (with precision) calculer les frais de production. On inscrira soigneusement (carefully) toutes les recettes et les dépenses, on les balancera, et le profit serait divisé « dans les proportions convenues en commençant l'en

(1) C'est une erreur de croire que l'entrepreneur est payé pour la direction et la surveillance des travaux, il est surtout payé pour avoir organisé l'entreprise et pour s'exposer à des risques. S'il a bien calculé les chances, s'il a tout prévu et possède l'intelligence et les vertus nécessaires pour bien diriger, sa récompense sera belle. Si l'affaire va mal, il n'a aucun gain, uniquement des pertes.

treprise», M. Howell a raison de dire : voilà la vraie participation. Il sait cependant qu'on en a essayé une autre, celle qui consiste à faire purement et simplement un cadeau à la fin de l'année. Mais il ne fait pas grand cas de ce moyen trop vanté et qui ne résiste à aucune des difficultés qui se présentent dans la vie industrielle. Hélas! la passion ne tient pas compte de l'expérience.

SECTION V

INTERVENTION DE L'ÉTAT DANS LES RAPPORTS ENTRE PATRONS ET OUVRIERS.

L'intervention de l'État, il serait plus correct de dire l'intervention du gouvernement, peut s'opérer de différentes façons. Le gouvernement étant chargé de la police, et l'on sait combien le sens de ce mot est large, il peut avoir mainte occasion d'intervenir très légitimement, très utilement dans les matières qui sont du domaine économique. Ainsi, en vertu de ses pouvoirs de police, il tient la main à ce que les ateliers soient rendus salubres, à ce que des précautions soient prises contre les accidents, à ce que l'organisation des manufactures ne facilite pas l'immoralité dans les rapports entre les deux sexes.

C'est encore en vertu des mêmes pouvoirs que les divers gouvernements ont promulgué des lois sur le travail des femmes et des enfants dans les manufactures, et ont institué des Inspecteurs de fabriques pour veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs. Si, au début, quelques économistes se sont opposés à ces créations, c'est qu'ils ignoraient l'étendue des abus, mais surtout, c'est qu'ils craignaient que, le premier pas franchi, on ne sût plus s'arrêter; car il n'y a que le premier pas qui coûte, et c'est la mission spéciale des économistes de mettre un frein aux abus de l'esprit autoritaire (1). Il peut leur arriver, en pareil cas,

(1) Au fond, ce sont les parents qui ont abusé de leurs pouvoirs sur les enfants, et la police doit l'empêcher.

d'abonder un peu dans leur propre sens, celui de la liberté; quand on veut redresser un arc, il faut le courber un moment dans l'autre sens, les deux tendances opposées se neutralisent et l'on arrête entre les deux extrêmes.

Après les affaires de pure police viennent les questions où les solutions sont plus délicates, et où l'économiste a un devoir strict de défendre la liberté. De cet ordre est, par exemple, la fixation de la durée de la journée de travail. Cette journée était autrefois excessive, mais elle s'est sensiblement raccourcie, tout en restant encore assez longue. Dans quelques pays le législateur a cru devoir fixer un maximum, en n'accordant aux ouvriers adultes que onze heures ou douze heures par jour et pas davantage. Cette mesure laissait à désirer, puisque les lois qui la prescrivaient, prévoyant qu'elle aurait beaucoup d'inconvénients, indiquaient elles-mêmes les autorités qui pourraient donner la permission de ne pas obéir à la loi, car il fallait éviter à l'industrie les trop grosses pertes et aux consommateurs des souffrances inutiles. Peut-être voulait-on aussi adoucir ce qu'avait de dur cet empiètement sur les droits d'un homme libre, qui consistait à lui interdire de travailler au delà d'une certaine heure.

Limiter les heures de travail, c'est influer directement ou indirectement, selon les cas, sur les salaires. Sans doute, jusqu'à présent, la limitation de la journée de travail, comme elle est restée assez longue, n'a pratiquement fait aucun mal, le plus souvent la journée réelle n'atteint pas la journée légale; la limitation ne peut gêner que dans certains cas déterminés. Mais on a le droit de craindre que la mesure ne soit considérée comme un précédent, et que, les intérêts électoraux aidant, on ne se mette à raccourcir la journée en vue d'intérêts particuliers plutôt que de la justice. Soit dit en passant, on a quelquefois parlé d'ouvrir des négociations internationales pour faire égaliser la journée

dans les différents pays et pour convenir d'autres mesures protectrices des ouvriers. La Suisse l'a essayé deux fois, mais sans succès. Malgré la brochure écrite avec talent sur la matière par M. G. Adler (1), nous ne croyons pas que ces efforts aient des chances pour aboutir; mais si un traité pouvait intervenir, c'est le pays qui a la plus courte journée qui servirait de modèle, et dans ce cas les pays dont les ouvriers sont les plus lents, les moins habiles (et les moins bien nourris) pâtiraient (2). Et nous supposons que les divers États tiendront ou pourront tenir leurs conventions dans l'ardente lutte des concurrences internationales.

En dehors des matières économiques que la police peut revendiquer, il en est à laquelle elle ne doit pas toucher. Telle est la question des salaires. Il y eut un temps, sans doute, où l'autorité ne se gênait pas de fixer les prix et les salaires; mais c'était au temps du servage, au temps où les rois s'imaginaient que personne n'avait le droit d'exercer un métier sans leur permission, au temps aussi où l'on brûlait les hérétiques et noyait les sorcières, où l'on commettait des horreurs sans nombre. Cette époque-là ne peut pas nous servir de modèle. On dira qu'il est resté des vestiges de cette époque ennemie des lumières, on citera, par exemple, la prétention de taxer le pain. Hàtons-nous de faire remarquer que la taxe du pain est considérée comme une mesure de police plutôt que comme une mesure économique. La police, objectera-t-on, n'a pas tous les droits qu'elle s'attribue; c'est ainsi que la police de Pierre er de Russie faisait couper à ses sujets incomplètement civilisés les cheveux et les pans des pardessus qui dépassaient une certaine longueur (afin de les mettre au niveau de la civili

(1) Die Frage des internationalen Arbeiterschutzes, Munich et Leipzig, G. Hirth, 1888.

(2) Sur la valeur inégale du travail des ouvriers, voy. Work and Wages, par Th. Brassey, Londres, Bell and Daldy, 1877; Young, Labor in Europe, etc., page 368, et d'autres ouvrages.

« PreviousContinue »