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CHAPITRE XXIV

LES PRIX

Le prix est une valeur déterminée, une valeur exprimée en unités monétaires. Strictement parlant, le prix d'une chose est ce qu'on donne en échange, mais le troc n'existe pour ainsi dire pas dans la société civilisée; depuis l'antiquité, on échange habituellement les denrées, les marchandises, les objets de toutes sortes contre du numéraire -on les vend, de sorte que presque tous les économistes définissent le prix : « une valeur exprimée en numéraire »>, nous aimons mieux dire: en unités monétaires. Le mot valeur s'adresse plus particulièrement à la chose offerte ou demandée, c'est une appréciation préalable, un jugement qui peut se fonder sur de solides raisons, comme sur un sentiment, un caprice même, mais qui reste dans vague; il se borne presque à constater que l'objet est susceptible d'être échangé. Le prix est la condition sous laquelle l'échange s'est effectué; on peut sans doute en évaluer le montant à l'avance, et avoir de bonnes raisons pour croire que le chiffre indiqué sera bien le prix... Mais la somme énoncée n'est devenue réellement le prix que parce que l'acheteur, ratifiant ainsi l'évaluation, l'a payé. C'est lui qui a le dernier mot dans toute transaction. Le mot valeur peut s'employer avant l'opération, quand l'échange est consommé, le mot prix est seul correct. Il importe de bien distinguer ces deux mots que les économistes eux

le

mêmes ont une tendance à confondre (au préjudice de leur exposé), car la science a besoin de précision. D'ailleurs, la distinction sur laquelle nous insistons étant conforme au langage usuel, elle ne peut que contribuer à écarter les malentendus.

Ainsi, le prix est la somme d'argent qu'un objet a coûté, ou qu'il coûtera certainement si on l'achète (en ajoutant le futur, nous tenons compte des « prix fixes », des tarifs, des taxes officielles). Il n'y a pas lieu d'accabler le prix d'épithètes variées, comme prix courant, prix du marché, prix réel, qui ne contribuent en rien à la clarté, et nous trouvons inexactes les expressions prix de revient, prix normal, prix nécessaire, pour frais de production, parce que les frais dépensés sont un fait et le prix n'est (avant la vente) qu'une probabilité. Disons donc prix tout court, et appliquons le mot seulement à la valeur en numéraire d'objets matériels, de choses; nous avons d'autres mots pour désigner le prix de services, tel que salaire, et dans des acceptions spéciales: honoraires, traitements, gages et autres; c'est plutôt au figuré qu'on parle ici du « prix du travail », mais dans la science il faut éviter les figures et les métaphores, elles nuisent à la précision, surtout dans les définitions.

Le prix étant une détermination de la valeur, il en devient, par ce fait, la mesure. Cette mesure, qui emploie l'unité monétaire comme moyen, n'est pas absolue, car le pouvoir d'achat de cette unité varie avec le temps; d'ailleurs, un objet peut avoir eu plusieurs prix en un jour; elle est cependant très suffisante pour les transactions habituelles, pour le commerce en gros et au détail, elle permet de comparer les valeurs et de les additionner, car l'unité monétaire leur donne un dénominateur commun. On peut vous demander: Cette bague vaut-elle ce cheval? Si vous trouvez que la bague vaut 500 francs et le cheval

juste le même nombre de francs, vous répondrez: Faites l'échange si vous en avez envie, les deux valeurs sont égales (Nous y revenons plus loin) (1).

Nous avons vu que la valeur, par son point de départ, est subjective. Robinson, étant seul dans son ile, a pu apprécier si la flèche qui atteint le lièvre ou l'hameçon avec lequel il prend le poisson a plus de valeur pour lui; mais le prix est objectif; pour qu'il y ait prix, il faut le concours d'au moins deux hommes, une combinaison de causes émanant, les unes de l'acheteur, les autres du vendeur, et dont le résultat aboutit à une expression numérique. Toutefois, les causes ne se groupent pas toujours de la même façon, tous les prix ne sont pas soumis exactement aux mèmes causes; il y a donc plusieurs sortes de prix que nous devons examiner séparément, savoir:

1o Les prix de concurrence. Ce sont les prix nombreux, ceux qui sont tout particulièrement du domaine de l'économie politique;

2o Les prix de monopole, soit de monopoles légaux, soit de monopoles naturels ;

3o Les prix fixés par l'autorité comme mesure politique ou comme mesure de police.

Après les avoir examinés, nous étudierons trois points dont l'influence s'étend plus ou moins sur chacune des trois sortes de prix. Ce sont :

a. Les frais de production;

b. La variabilité de la valeur des métaux précieux;

c. La spéculation.

Cette double division des matières nous permettra d'embrasser l'ensemble des faits qui intéressent la théorie des prix :

1o Les prix de concurrence sont ceux du commerce ordi

(1) Disons tout de suite que l'un peut préférer le cheval, l'autre la bague, il y a la valeur subjective à côté de la valeur objective.

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naire, et en général ceux de toutes les transactions que les institutions humaines ou la nature des choses ne soumettent pas à des lois ou à des conditions particulières.

Deux personnes étant nécessaires pour qu'un prix s'établisse, il importe peu lequel des deux fait la première offre. On donne le nom de vendeur à celui qui détient la denrée, la marchandise, l'objet à échanger, et acheteur, à celui qui possède le numéraire qui sera le prix de l'objet vendu, mais tous les deux peuvent être considérés comme offrant ou comme demandant. Un magasin est une offre permanente de marchandise et une demande permanente d'argent; de même, le client qui entre dans un magasin demande une marchandise et offre de l'argent. Il s'élève donc demande contre demande, offre contre offre, et chacun désire arriver à ses fins aux moindres frais possibles, donner le moins d'argent ou de marchandises, obtenir le plus d'argent ou de marchandises. Qui l'emportera ? Évidemment le plus fort. Or, dans un échange, c'est la demande la moins urgente, ou la plus facile à satisfaire (à cause de l'abondance des moyens) qui est la plus puissante, car elle peut attendre plus longtemps que la demande opposée, et on s'empresse davantage autour d'elle. Celle qui est obligée de céder le plus tôt est la plus faible.

Pour la plus grande clarté de notre analyse, nous maintiendrons entre les deux demandes la distinction en acheteur et vendeur.

L'acheteur demandera un objet: 1° qu'il considère comme utile (nécessaire, agréable), et il le désirera d'autant plus ardemment qu'il aura à satisfaire un besoin plus urgent; cependant, 2° s'il est raisonnable et honnête, il n'offrira pas de prix supérieur à celui que comporte l'état de ses ressources; 3° s'il y a plusieurs vendeurs, il s'adressera à celui dont les prix, à qualité égale, sont les moins élevés; 4° si le prix dépasse ses ressources, l'acheteur se conten

tera d'une marchandise moins bonne, ou de succédanés (1). Le vendeur, sans posséder de monopole, peut être en situation de marquer ses marchandises d'un prix fixe. L'usage en a peut-être commencé pour les marchandises de luxe, il était presque inévitable dans les grands magasins, c'était aussi un privilège que s'attribuaient les magasins connus, à grande réputation. Le prix devient plus tard une affaire d'amour-propre. Le vendeur à prix fixe établit ce que lui coûte la marchandise, et ajoute un tant pour cent pour les frais et les bénéfices. Le prix fixe est un progrès, car il supprime le barbare marchandage et en même temps la tendance à surfaire. Le vendeur sait que les prix élevés n'attirent pas les clients et modère ses exigences.

Les vendeurs qui ne peuvent pas fixer le prix à eux seuls, doivent le débattre; souvent il varie alors suivant l'acheteur: 1° souvent on demande plus aux riches qu'à ceux qui ne le paraissent pas être; 2° ou à ceux dont on connaît l'urgence des besoins; 3° la rareté ou l'abondance relative est considérée en troisième lieu, et 4° les frais de production en dernier. Les frais de production, ou le prix coûtant, n'entrent en considération que si le produit est très abondant ou peu désiré; comme la production n'a lieu qu'en vue de la vente, dès que celle-ci cesse d'ètre avantageuse, qu'on ne rentre pas dans ses frais avec bénéfice, on cesse la production.

L'acheteur ne s'occupe des frais de production que dans les cas où il pourrait à la rigueur produire lui-mème l'objet qu'il marchande; dans tout autre cas ce point lui est indifférent, il ne songe qu'à acheter aux meilleures conditions possibles. Il en résulte (à cause de la concurrence) que, sur

(1) La chicorée remplacera le café. On sait du reste que les choses qui coûtent peu d'argent, ne sont pas pour cela à bon marché : il faut rapprocher le prix de la qualité.

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