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157

FABLES

PRÉCÉDÉES

D'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

ET ACCOMPAGNÉES

DE NOTES REVUES ET COMPLÉTÉES D'APRÈS L'ÉDITION
DE É. GERUZEZ

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Lib, Sch, cat. 1925

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NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE

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JEAN DE
DE LA FONTAINE

Jean de La Fontaine naquit à Château-Thierry1. Son père était maître particulier des eaux et forêts au duché de Château-Thierry, conseiller du roi. Sa mère était Françoise Pidoux, sœur de maître Valentin Pidoux, bailli de Coulommiers. Notre poète appartenait donc à ce qu'on appelle la bourgeoisie aisée. Au xvm siècle sa famille prétendit qu'il était d'origine noble. Ce fait avait été contesté en 1661, lorsqu'on fit la recherche des personnes qui avaient pris faussement le titre de gentilhomme : les traitants découvrirent que La Fontaine avait été qualifié d'écuyer dans deux contrats, t le firent condamner, pour usurpation de titre, à une amende de deux mille livres. Le poète s'empressa de renoncer à cette maudite « écurie », qui le ruinait. Mais ses descendants se persuadèrent volontiers qu'il avait décliné toute prétention nobiliaire par négligence et par paresse. Le caractère de La Fontaine autorise du reste cette hypothèse.

Les biographes ne nous apprennent rien de précis sur l'enfance de notre poète : on ignore même le lieu où il fit ses études. Fut-ce à Château-Thierry, ou à Reims, la « cité préférée » de La Fontaine? On ne peut répondre que par des conjectures. Ce qui est certain c'est qu'à l'âge de vingt ans La Fontaine entra dans la congrégation de l'Oratoire. On a supposé qu'il avait été poussé vers l'état ecclésiastique par une vocation soudaine et irréfléchie, que des lectures pieuses avaient momentanément éveillée dans son âme si prompte à l'enthousiasme. Mais que La Fontaine fût entré volon

1. Dans les premiers jours de juil- 2. C'est son expression. Ép. à M. le let 1621, il fut baptisé le 8.

duc de Bouillon.

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tairement ou sur l'ordre des siens au séminaire de Saint-Magloire1, il ne devait pas y faire un long séjour au bout d'un an il en sortait bien persuadé que sa vocation n'était pas là. Il avouait plus tard à Boileau qu'il s'y était « plus volontiers occupé à lire les poètes que Rodriguez 2 ».

D'après l'historien de l'Académie, d'Olivet, ce fut au sortir de l'Oratoire que l'audition d'une ode de Malherbe3 éveilla la vocation poétique de La Fontaine, vocation dont il ne s'était jamais douté jusqu'alors. Il paraît plus vraisemblable de supposer que cette ode révéla au jeune homme un genre qu'il ignorait encore et pour lequel il s'éprit d'enthousiasme : quant à son goût pour la poésie, il remontait, nous l'avons vu, à son séjour au séminaire de SaintMagloire, et il est fort probable que La Fontaine, comme son ami Maucroix, avait commencé de bonne heure à écrire des poésies légères. Il est du reste difficile de le suivre dans cette période de sa vie; il paraît mener la vie plate et monotone d'un oisif de province; il ne se fait guère connaître que par ses distractions, ses bizarreries et aussi ses aventures galantes, qui ont défrayé la verve de Tallemant des Réaux.

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En 1647 le père de La Fontaine jugea sans doute qu'il était temps de mettre un terme à cette vie d'insouciance et de désordre : il lui transmit sa charge et le maria. Il avait alors vingt-sept ans : sa femme, Marie Héricart, n'en avait pas quinze. C'était encore un enfant La Fontaine devait l'être jusqu'à sa mort. Il aurait dû inspirer à sa jeune femme des goûts sérieux, l'amour de l'ordre et de l'économie : il lui donna la passion des romans, et c'est à cela que semble s'être bornée son influence de précepteur. De telles leçons portèrent leurs fruits. Mademoiselle de La Fontaine sut bientôt, tout aussi bien que son mari, « manger le fonds avec le revenu ». Cependant quelques amis de sa femme crurent devoir soustraire sa fortune particulière à la dangereuse incurie du poète, et en 1659 fut prononcée « une séparation de biens ». Cela se fit sans violence, et cette procédure ne parait pas avoir altéré les rapports courtois des deux époux. D'Olivet semble définir exactement le genre de vie qu'ils menèrent désormais, quand il écrit : « M. de La Fontaine s'éloignait de sa femme le plus souvent et pour le plus long temps qu'il pouvait, mais sans aigreur et sans bruit. Quand il se voyait poussé à bout, il prenait doucement le parti de s'en venir seul à Paris, et il y passait des années entières, ne retournant chez lui que pour vendre quelque portion de son bien. » Il s'exposait alors à n'être pas reconnu des domestiques: ce dernier

1. Le 28 octobre 1641.

2. Le jésuite espagnol Alph. Rodriguez est l'auteur de la Pratique de la perfection chrétienne (1614).

3. Sur la mort d'Henri IV. Elle commence par ces vers:

Que direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures
De ces abominables jours?

4. On donnait alors le titre de demoiselles aux bourgeoises mariées

trait, garanti par Louis Racine1, prouve jusqu'à quel point il s'affranchissait du « devoir de la résidence ». Du reste La Fontaine semble avoir cru naïvement que le métier de poète était incompatible avec les vertus domestiques :

Rarement un auteur demeure à la maison,

dit-il dans une de ses plus aimables comédies 2.

Mari détestable, La Fontaine, si nous en croyons certaines anecdotes, aurait été mauvais père : il nous plaît de croire, pour l'honneur du poète, qu'on a exagéré à plaisir son indifférence à l'égard de son fils. Ce qui se conçoit plus difficilement, c'est l'indulgence avec laquelle on a jugé cette conduite. S'il est exact que La Fontaine rencontra son fils devenu grand et ne le reconnut pas, il n'y a pas là une distraction plaisante, dont on ait le droit de s'égayer. Ce qui est malheureusement certain, c'est que La Fontaine négligea toujours l'éducation de son fils. Peut-être croyait-il encore que les soucis du père de famille ne pouvaient s'allier avec « le commerce des Muses » : l'exemple de Corneille et de Racine aurait pu le guérir de ce préjugé. La Fontaine a avoué son antipathie pour le rôle de « père de famille » :

Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille,
Et je ne t'ai jamais envié cet honneur 3....

L'aveu est plein de naïveté mais suffit-il d'avouer ses fautes avec grâce pour en être absous?

La Fontaine semble avoir cru également que le poète ne devait avoir que du mépris pour les biens de fortune:

Stances, rondeaux et vers de toute guise,

Ce sont mes biens; les doctes nourrissons
N'amassent rien, si ce n'est des chansons,

dit-il dans une épître à Pellisson. Son incurie eut bien vite fait de dissiper sa petite fortune. Il eut, il est vrai, à se débattre contre des difficultés très sérieuses, après la mort de son père (avril 1658), qui laissait une succession embarrassée: mais s'il ne s'en tira pas plus avantageusement, la faute en est beaucoup plus à sa paresse qu'à son ignorance de la procédure. Il a prouvé maintes fois que la langue et les choses du Palais lui étaient très familières.

S'il faut en croire Furetière, le vocabulaire des forestiers lui eût été plus étranger. Il est vraisemblable en effet que La Fontaine exerça sa charge de maître des eaux et forêts plus en poète qu'en administrateur vigilant. La nature semble avoir servi de thème à

1. Mémoires sur la vie de Jean Racine.

2. Clymene. Publiée en 1671, cette

comédie fut composée avant la disgråce de Fouquet.

3. Liv. XI, fab. n.

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