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Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Eh bien! ajouta-t-il, la peau de l'animal?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille?
Car il s'approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre.

Il m'a dit qu'il ne faut jamais

Vendre la peau de l'Ours qu'on ne l'ait mis par terre1. »

XXI.

L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION?

De la peau du Lion l'Ane s'étant vêtu,
Etait craint partout à la ronde;
Et bien qu'animal sans vertus,
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur :

Martin fit alors son office.

Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin

Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France, Par qui cet apologue est rendu familier. Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance'.

1. La Fontaine n'a jamais amené plus plaisamment la moralité d'un apologue. Ce tour ingénieux lui est fourni par Philippe de Commines.

2. Esope, 141 Asinus pellem Leonis gestans; 262: Asinus et leonina pellis. 3. Sans courage, dans l'acception propre du mot virtus.

4. Martin-bâton, qui a déjà fait son office dans la fable v du livre IV.

5. Expression trainante. obscure et peu exacte. Le poète veut dire qu'il y a beaucoup de gens qui méritent

que cette fable leur soit appliquée, de sorte que, par ces fréquentes applications, elle devient famílière au public.

6. Un équipage cavalier, un équipage tel que l'ont les gens de guerre à cheval.

7. La vanité, qui se trompe ellemème ou veut tromper autrui, est le défaut le plus fréquemment attaqué par La Fontaine voyez la Mouche du coche, le Corbeau qui veut imiter l'Aigle, le Geai paré des plumes du Paon, le Mulet se vantant de sa généalogie, etc.

FIN DU LIVRE CINQUIÈME.

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Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui :

Le conte fait passer le précepte avec lui 2.

En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire3,
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison qu'égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue :
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu'aucuns l'en ont blàmé5;
Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D'une élégance laconique';

1. Ésope, 41, 131: Bubulcus

2. Le conte fait passer le précepte avec lui. Ce vers est le germe de la première fable de Florian, qui a pour titre la Fable et la Vérité. La Fable, après avoir proposé un pacte d'alliance à la Vérité, conclut ainsi :

Venez sous mon manteau, nous mar-
[cherons ensemble :

Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée;
A cause de moi, chez les fous,
Vous ne serez point maltraitée.
Servant, par ce moyen, chacun selon
[son goût,

Grâce à votre raison et grâce à ma
[folie,

Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.

3. Allusion au vers d'Horace :
Omne tulit punctum qui miscuit utile

dulci

4. Quelques-uns.

5. Phèdre nous apprend lui-même que ce reproche lui fut adressé : Hæc exsecutus sum propterea pluribus, Brevitate quoniam nimia quosdam of[fendimus.

6 Gabrias. (Note de La Fontaine.) Ce nom de Gabrias n'est que celui de Babrias corrompu, et les fables en quatrains que nous avons sous le nom de Gabrias sont celles de Babrias abrégées par Ignatius Magister au IX° siècle. Les vraies fables de Babrias ont été retrouvées, en 1840, dans un couvent du mont Athos. A l'exemple de Babrias, Benserade a mis en quatrains, parfois ingénieux, la plupart des fables de La Fontaine, mais il faut reconnaitre que ces « réductions » ne plaident pas en faveur de la brièveté dans l'apologue. 7. C'est-à-dire dont l'agrément consiste dans la concision.

Il renferme toujours son conte en quatre vers :
Bien ou mal1, je, le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable:
L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet3 quant à l'événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Esope le raconte :

Un Pâtre, à ses brebis trouvant quelque méconte,
Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
« Avant que partir de ces lieux,

Si tu fais, disait-il, ô monarque des Dieux,

Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,

Parmi vingt veaux je veux choisir

Le plus gras, et t'en faire offrande. »

A ces mots sort de l'antre un Lion grand et fort;
Le Pâtre se tapit, et dit, à demi mort :

«Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande!
Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
O monarque des Dieux, je t'ai promis un veau :
Je te promets un bœuf si tu fais qu'il s'écarte. >

C'est ainsi que l'a dit le principal auteur:
Passons à son imitateur7.

1. Bien ou mal. Les experts ont dit: mal. La Fontaine le pensait aussi : mais son respect pour les anciens ne lui permet pas d'exprimer un avis trop libre.

2 Voyons-le. Licence qui consiste à élider le devant la voyelle a. Nous en avons déjà montré un exemple dans la fable in du livre V:

Mettons-le en notre gibecière. 3. Projet, pour plan, idée.

4. A l'environ n'est plus usité; nous disons seulement aur environs :

On se cache, on tremble à l'envi

[ron.

(Liv. II, fab. IX.)

5. Avant que partir, n'est plus usité; on dirait maintenant : Avant de ou avant que de partir.

6. Qui a eu le mérite de l'invention.

7. Chamfort fait observer que cette fable et la suivante n'offrent pas exactement la même moralité. Le berger s'est trompé en croyant n'avoir affaire qu'à un loup. Le fanfaron s'est trompé sur sa propre valeur,

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Un fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race,
Qu'il soupçonnait dans le corps d'un Lion,
Vit un berger « Enseigne-moi, de grâce,
De mon voleur2, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison. >>
Le Berger dit : « C'est vers cette montagne,
En lui payant de tribut3 un mouton

Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît, et je suis en repos. »
Dans le moment qu'ils tenaient ces propos,
Le Lion sort, et vient d'un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d'esquiver;
«O Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver! »

La vraie épreuve du courage

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt 5:
Tel le cherchait, dit-il, quí, changeant de langage,
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

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Contre le mauvais temps. On entrait dans l'automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut, le soleil luit, et l'écharpe d'Iris1

Rend ceux qui sortent avertis 2

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire;
Les Latins les nommaient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s'était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte1.
« Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents; mais il n'a pas prévu

Que je saurai souffler de sorte

Qu'il n'est bouton qui tienne; il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.
L'ébattement pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l'avoir? - Eh bien, gageons nous deux,
Dit Phébus, sans tant de paroles,

A qui plus tôt aura dégarni les épaules

Du Cavalier que nous voyons.

Commencez je vous laisse obscurcir mes rayons. >>
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage5
Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle, tempête, et brise, en son passage,
Maint toit qui n'en peut mais 7, fait périr maint bateau,
Le tout au sujet d'un manteaus.

Le Cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans;

Cela le préserva. Le Vent perdit son temps:
Plus il se tourmentait, plus l'autre tenait ferme;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme
Qu'à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,

1. L'arc-en-ciel. Iris était la messagère de Junon.

2. Rend avertis, pour avertit, est long et lourd.

3. Allusion à l'expression Incertis mensibus. (VIRG., Geor., liv I, vers 115.)

4 Remarquez l'ellipse du verbe il avait, il portait, mais cette omission ne nuit pas à la clarté du sens et rend la description plus vive et plus frappante. Les romanciers modernes ont abusé de ce procédé.

5 A gage. par allusion à la gageure, que Borée espère gagner; il souffle. du reste, avec tant d'ardeur. qu'il peut paraitre payé pour cela. Dans ce sens, on emploie plutôt gage au pluriel

LA FONTAINE.

6. Il semble que dans ce vers La Fontaine ait voulu produire un effet d'harmonie imitative; mais on sait avec quelle discrétion il faut prêter aux poètes des intentions de ce genre

7. La Fontaine a déjà dit, dans la fable le Lion et le Moucheron. « bat l'air qui n'en peut mais ». Voyez p. 85, note 5.

8 Au sujet d'un manteau. « J'ai peur (dit un des voleurs du livre des destinées, dans le Cymbalum mundi, dial. 1) The foudrove et abisme tout ce pausi Jupiter trouve son livre perdu, vre monde qui n'en peut mais, pour la punition de notre forfait. » (BONAVENTURE DES PERIEKS.)

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