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Ces ornemens confiftent, 1°. Dans les images, les descriptions, les portraits des lieux, des perfonnes, des attitudes. Les images fe trouvent quelquefois dans un feul mot :

Un mort s'en alloit triftement

La Dame au nez pointu. La Fontaine.

Quand elles font plus étendues on les nomme defcriptions. On décrit les mœurs : Un vieux Renard, mais des plus fins,

Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins, Sentant fon renard d'une lieue, La Fontaine.

On décrit le corps ::

Un Héron au long bec emmanché d'un long cou,
Un jour fur fes longs pieds alloit je ne fais où. La Font.
Son front nouveau tondu, fymbole de candeur,
Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur, Defpr.
On décrit les lieux :

Le Lapin à l'aurore alloit faire fa cour
Parmi le thim & la rofée. La Font.

2o. Dans les penfées. On appelle ici penfées, celles qui ont quelque chofe de remarquable, & qui les tire du rang ordinaire. Tantôt c'eft la folidité :

Dieu prodigue fes biens

A ceux qui font vœu d'être fiens. La Font.

Et ailleurs, en parlant d'un Philosophe :

Il connoît l'univers & ne fe connoît pas.
Le Sage eft ménager du tems & des paroles.

Tantôt la fingularité :

Car

Un Lievre en fon gîte fongeoit, que faire en un gîte, à moins que l'on ne fon ge La Fontaine.

Tantôt la finesse :

Au fond d'un temple eût été fon image,
Avec fes traits, fon fouris, fes appas,

Son art de plaire & de n'y penfer pas. La Font.

3°. Dans les allufions; lorfqu'on rapporte quelques traits qui figurent férieufement, ou en grotefque avec ce qu'on raconte. Ainfi les Canards en parlant à la Tortue lui difent::

Voyez-vous ce large chemin ?

Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique,
Vous verrez maintes républiques,

Maint royaume, maint peuple. Et vous profiterez Des différentes mœurs que vous remarquerez: Ulyffe en fit autant. On ne s'attendoit guere A voir Ulyffe en cette affaire. La Font. 4°. Dans les tours, qui doivent être vifs, piquans :

Un bloc de marbre étoit fi beau,
Qn'un Statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon cifeau ?
Sera-t-il Dieu, table on cuvette?
Il fera Dieu : même je veux
Qu'il ait en fa main un tonnerre.
Tremblez, humains, faites des vœux,

Voilà le maître de la terre. La Font.

5°. Dans les expreffions, qui font tan

tôt hardies: Ne coupez point ces arbres, difoit le Philofophe Scythe :

Ils iront affez tôt border le noir rivage.

Tantôt riches:

Le moindre vent qui d'aventure
Fait-rider la face de l'eau.

Tantôt brillantes, comme quand La Fon taine appelle l'arc-en-ciel, l'écharpe d'Iris. Tantôt fortes :

Un renard qui cajole un corbeau fur sa voix.

Telles font à-peu-près les qualités des récits faits principalement pour plaire, du nombre defquels font tous les récits poëtiques, & par conféquent les fables.

L'Apologue eft le récit d'une action. Une action eft une entreprise faite avec deffein & choix. Un édifice tombe toutà-coup, c'eft un événement, un fait. Un homme fe laiffe tomber par inadvertance, c'est un acte; il fait effort pour fe relever; c'est une action. Ce qu'on appelle un fait ne fuppofe point de vie, de puiffance active dans le fujet. L'acte fuppofe une puiffance active, qui s'exerce ; mais fans choix & fans liberté. L'action fuppofe, outre le mouvement & la vie, du choix & une fin : & elle ne convient qu'à l'homme ufant de fa raison.

L'action de la fable doit être une, jufte, naturelle, & avoir une certaine étendue.

Une, c'eft-à-dire, que toutes fes parties aboutiffent à un même point: dans l'Apologue c'eft la morale. Jufte, c'est-àdire, fignifier directement & avec précifion, ce qu'on fe propofe d'enseigner. Naturelle, c'est-à-dire, fondée fur la nature, ou du moins fur l'opinion reçue.. La raifon eft, que notre efprit ne veut être ni embarraffé, ni égaré, ni trompé. La fable des deux Pigeons péche contre l'unité; celle de la Géniffe en fociété avec le Lion, contre la nature; celle des Moineaux de M. de la Motte, contre la jufteffe. Enfin elle doit avoir une certaine étendue, c'est-à-dire, qu'on doit y diftinguer aisément un commencement,

milieu & une fin; le commencement préfente une entreprise; le milieu contient l'effort pour achever cette entreprise, c'eft le noeud; enfin elle fe termine; c'est le dénouement.

L'action de l'Apologue eft allégorique, c'est-à-dire, qu'elle couvre une maxime, ou une vérité. Tous les Apologues font. des miroirs, où nous voyons la juftice ou l'injuftice de notre conduite dans celle des animaux. Le loup & l'agneau font deux perfonnes, dont l'un repréfente l'homme puiffant & injufte; l'autre l'homme innocent & foible. Celui-ci, après d'injuftes traitemens eft enfin la

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victime du premier. On reconnoît les hommes dans l'action des animaux.

La vérité qui réfulte du récit allégorique de l'Apologue, fe nomme moralité. Elle doit être claire, courte & intéreffante; il n'y faut point de métaphysique point de périodes, point de vérités trop triviales, comme feroit celle-ci : Qu'il faut ménager fa fanté.

Phedre & La Fontaine placent indifféremment la moralité, tantôt avant, tantôt après le récit, felon que le goût l'exige, ou le permet. L'avantage est à peu-près égal pour l'efprit du lecteur, qui n'eft pas moins exercé, foit qu'on la place auparavant ou après. Dans le premier cas, on a le plaifir de combiner chaque trait du récit avec la vérité. Dans le fecond cas, on a le plaifir de la fufpenfion : on devine ce qu'on veut nous apprendre, & on a la fatisfaction de fe rencontrer avec l'auteur, ou le mérite de lui céder, fi on n'a point réussi.

On diftingue trois fortes de fables; les raisonnables, dont les personnages ont l'ufage de la raison, comme la Vieille & tes deux Servantes; les morales, dont les perfonnages ont par emprunt les mœurs des hommes, fans en avoir l'ame, qui en eft le principe, comme le Loup & l'Agneau, les mixtes, où un perfonnage raisonnable

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