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par deux endroits: on lui dreffe une embufcade. Mais comme les Latins font vaincus dans la plaine, l'embuscade abandonne fon poste, & Enée arrive le foir fous les murs de la ville.

XII. Liv. Les Latins étant abattus & confternés, Turnus fe réfout à fe battre feul à feul contre Enée. On fait un traité, violé auffi-tôt par les Latins, qui tirent fur Enée & le bleffent. Vénus le guérit fur le champ, & ce héros revole au combat, appellant à haute voix Turnus, qui l'évite. Mais Enée marchant à la ville, commence à brûler les paliffades, la reine défefpérée s'étrangle. Enfin Turnus combat; &, malgré la protection de fa foeur Juturne, il tombe fous les coups d'Enée.

CHAPITRE

XXIV.

Quelques Obfervations fur Homere & fur Virgile.

Es Grecs & les Latins n'ont rien de

Lplus beau ni de plus parfait en leurs

langues, que les poéfies d'Homere & de Virgile. C'eft la fource, le modele & la regle du bon goût : nous l'avons déja dit en parlant d'Homere, & le goût eft

le légiflateur fouverain dans la littératu re. Ainfi il n'y a point d'homme de lettres qui ne doive favoir, & favoir bien, les ouvrages de ces deux poëtes.

Ils ont tous deux dans l'expreffion quelque chofe de divin. On ne peut dire mieux, avec plus de force, d'énergie, de nobleffe, d'harmonie, de précision, ce qu'ils difent l'un & l'autre. Et plutôt que de les comparer dans cette partie il faut prendre la penfée du petit Cyrus, & dire: Mon grand pere eft le plus beau des Medes, & mon pere le plus beau des Perfes.

Il n'en eft pas de même de la fable des deux poëmes. Ils font très-fufceptibles de comparaison en ce point. Voyons fans prévention, en quoi l'un furpalle l'autre. Il s'agit ici, non de critiquer mais de fe faire des idées juftes, autant que cela fe peut. Et avant que d'aller plus loin, je déclare que perfonne n'est plus charmé que moi de la lecture de Virgile; que fes vers, fes tours, fes tableaux me font un plaifir au-deffus de toute expreffion, & cela d'un bout à l'autre. Ce que je vais dire doit donc être regardé comme la penfée de quel qu'un qui obferve, & non de quelqu'un qui médit.

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I. Obfervation. Homere a une fupériorité de génie qui le met en cette parthe fort au-deffus du poëte latin. Outre qu'il a trouvé en lui-même affez d'idées pour remplir deux poëmes très-longs ; il a eu le fecret de tirer le plus long des deux, du fujet le plus mince & le plus étroit qui fut jamais. C'est la brouillerie de deux princes pour une esclave. Virgile; a befoin pour remplir fa carriere de faire fon héros voyageur, amant, légiflateur& guerrier: il lui fait faire de longs récits de chofes paffées; il le fait defcen-dre aux enfers qu'eût-il eu à dire s'il n'eût tiré fa matiere que d'une feule circonstance de la guerre contre Turnus? Homere tire tout de la querelle d'Agamemnon, directement: c'eft le feul germe qui produit tout. Rien d'étranger, point de récits en vers, point de grands tableaux hors d'oeuvre l'ouvrage eft tout d'une feule nature & d'une feule piece.

II. Obfervation. Virgile emploie le merveilleux, comme Homere; mais il ne fait point, comme lui, l'allier partout, le concilier avec les agens naturels. Junon fait obftacle au héros Troyen; mais la force furnaturelle qu'on lui oppofe, eft-elle bien fuffifante pour le faire

réuffir malgré l'obstacle ? Vénus ne fait que pleurer devant Jupiter, & celui-ci ne fait que lui montrer les deftins. Ce dieu, le plus puiffant des dieux, est chez le poëte latin un dieu fans vigueur, fans action, une espece d'automate. Il ne confidere, ni le jufte, ni l'injufte :

Tros Rutulufve fuat nullo difcrimine habebo. Chez Homere il voit, il agit, il récompense, il punit: il eft maître fouverain & tout-puiffant. Il veut que Troie périffe; parce que Laomédon étoit un parjure, & Paris un raviffeur. Il veut qu'Achille foit vengé, parce qu'Agamemnon lui a fait une infulte. Le miniftere des dieux eft froid dans Virgile: il eft plein de feu & de force dans Homere.

III. Obfervation. Il ne doit fe faire rien d'important dans un poëme épique fans l'intervention des divinités. C'est Virgile lui-même qui nous l'apprend, en tâchant de les faire intervenir par-tout. Pourquoi donc la premiere tempête eftelle un effet de la colere de Junon; & que la feconde, au cinquieme Livre, eft un effet du hafard? Eft-ce que les traits & les couleurs du peintre étoient: épuisés pour le merveilleux ? Pourquoi Enée eft-il abandonné à lui-même dans

tous fes combats? Que n'a-t-il un dien pour le guider, le fortifier ? La plupart de fes deffeins ne devroient-ils pas lui être infpirés? C'eft une beauté épique dans les endroits où cela fe fait : ce fera donc défaut de génie, impuissance de l'artiste, dans ceux où cela ne fe fait point.

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IV. Obfervation. Il y a tant d'incidens qui n'ont nul rapport à l'établissement d'Enée, que l'efprit du lecteur eft néceffairement peu intéreffé à la lecture de ce poëme, qui paroît plus touchant dans fes parties que dans la totalité. Dans Homere un morceau appelle l'aule lecteur veut aller en avant. Mais chez Virgile, il y a tel repos, où le lecteur refteroit fans peine, à Carthage, par exemple, après la mort de Didon. On fe foucie affez peu de fuivre Enée en Italie. On n'a vu en lui qu'un héros amoureux, errant depuis fept ans de mer en mer. A peine peut-on croire qu'il faffe de belles chofes,, quand il s'agira de fe faire un état.

V. Obfervation. Il y a dans le caractere d'Enée plufieurs traits qui refroidiffent le cœur pour lui. Par quel hafard s'eft-il fauvé de Troie, tandis que les autres Troyens y ont péri? Il a été bienheu

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