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CHAPITRE XXII.

Ody fée d'Homere.

'ODYSSÉE a pour fujet

L sér a

comme

nous venons de le dire, le retour d'Ulyffe en Ithaque, petite ifle, dont il étoit roi. Ce héros n'avoit pas l'avantage d'être demi-dieu par fa naiffance, comme Achille, qui étoit fils de Thétis; mais il en avoit le mérite, c'eft-à-dire, qu'il avoit en lui une force d'ame plus qu'humaine, & une prudence infinie; & la protection de Minerve, jointe à ces grandes qualités, le rendoit aussi admirable qu'Achille même.

Dans l'Iliade on ne voit que des combats c'eft la force qui triomphe. Dans l'Odyffée ce font des malheurs, des dangers, dont l'homme fe tire par la prudence & par la patience. Dans l'Iliade, c'eft Jupiter même, le dieu dont l'attribut eft la puiflance, qui domine & qui agit en maître. Dans l'Odyffée c'eft la déeffe de la raifon & de la fageffe, qui conduit l'homme, & qui le fauve.

L'Iliade eft plus faite pour émouvoir, étonner, remuer les paffions. L'Odyffée a plus de quoi inftruire par ses ré

cits allégoriques, fes peintures, fes maximes. Auffi Achille n'étoit-il qu'un guerrier Ulyffe étoit un fage, & un fage qui luttoit contre les malheurs de l'humanité.

L'Odyffée s'ouvre par un confeil des dieux où le retour d'Ulyffe eft ordonné. Minerve agit de fon côté pour le jeune Télémaque, elle veut le rendre digne de paroître à côté de fon pere, quand il fera rétabli. Mercure va annoncer à Calypfo la volonté des dieux, & lui ordonner de laiffer partir Ulyffe. Ce héros part feul, traverse les mers, & par une tempête que la colere de Neptune a excitée, il eft jetté dans l'ifle des Phéaciens. Il y refte jufqu'à ce qu'on lui accorde un vaiffeau, qui le transporte à Ithaque il y arrive; & par le fecours de Minerve, il vient à bout de faire périr tous ceux qui avoient abufé de fon abfence, & commis des défordres dans fa maifon & dans fon royaume.

Voilà la fable de l'Odyffée, à quel ques récits près que le Poëte a inférés comme des épisodes, c'eft à-dire, comme des morceaux qui peuvent être déta chés fans que le poëme change de nature. C'eft la même Théologie dans l'un & dans l'autre Poëme : c'eft le même ar

rangement de caufes céleftes avec les causes terreftres. La divinité regle tout, préfide à tout. Sans cela ce ne feroit point un Poëme épique.

Difons un mot de l'hiftoire même des Poëfies d'Homere.

Selon Elien elles fe chantoient autrefois par morceaux détachés, auxquels on donnoit des titres particuliers: comme, le Combat des vaiffeaux, la Patroclée, la Grotte de Calypfo. On les appelloit rapfodies, & ceux qui les chantoient rapfodiftes. Ce fut Pififtrate, roi d'Athenes, qui raffembla ces morceaux, qui les arrangea dans leur ordre naturel, & qui en compofa les deux corps de poëfie que nous avons fous le nom d'Iliade & d'Odyffée. On en fit enfuite plufieurs éditions fameufes. Ariftote en fit une pour Alexandre le Grand, qui la mit dans une précieufe caffette, qu'il avoit trouvée parmi les dépouilles de Darius, & qu'on nomma l'édition de la caffette. Enfin Ariftarque, que Ptolomée Philométor avoit fait gouverneur de fon fils Evergetes, en fit une fi correcte & fi exacte, que fon nom eft devenu celui de la faine critique. On dit un Ariftarque, pour dire un bon juge en matiere de goût. C'eft fon édition qu'on prétend que nous avons aujourd'hui. CHAP.

CHAPITRE XXIII.

ENO

Analyfe de l'Enéïde.

N lifant Homere, nous nous figurons ce Poëte dans fon fiecle,comme une lumiere unique au milieu des ténebres, feul avec la feule nature, fans confeils, fans livres, fans fociétés de Savans abandonné à fon feul génie, ou inftruit uniquement par les Mufes, tant il eft fimple, vrai & naïf.

En ouvrant Virgile, nous fentons au contraire, que nous entrons dans un monde éclairé, que nous fommes chez une Nation où régnent la magnificence & le goût, où tous les arts, la Sculpture, la Peinture, l'Architecture, ont des chefs-d'œuvres, où les talens font réunis avec les lumieres.

Il y avoit dans le fiecle d'Auguste une infinité de gens de Lettres, de Philofophes, qui connoiffoient la Nature & les Arts, qui avoient lu les auteurs anciens & les modernes, qui les avoient comparés, qui en avoient difcuté, & qui en difcutoient tous les jours, les beautés, & de vive voix & par écrit. Virgile devoit profiter de ces avantages. Et on Tome II.

Q

fent en lifant, qu'il en a réellement profité. On y remarque le foin d'un auteur qui connoît des regles, & qui craint de les bleffer; qui polit & repolit fans fin, & qui appréhende la cenfure des connoilleurs. Toujours riche, toujours correct, toujours élégant : fes tableaux ont un coloris auffi brillant que jufte. En artiste instruit, il aimoit mieux fe tenir fur les bords, que de s'expofer à l'orage. Homere plein de fécurité, fe laiffe aller à fon génie. Il peint toujours en grand, au rifque de paffer quelquefois les bornes de l'art: la nature feule le guide: il la voit fans nuage: il la fuit, la choifit, l'embellit, & lui conferve fa vie, dans le portrait poëtique qu'il en fait faire.

Le premier pas que devoit faire Virgile, entreprenant un poëme épique, étoit de choisir un fujet qui pût en porter l'édifice, un fujet voifin des tems fabuleux, prefque fabuleux lui-même, & dont on n'eût que des idées vagues, demi-formées, & capables par-là de fe prêter aux fictions épiques. En fecond lieu, il falloit qu'il y eût un rapport intéreffant entre ce fujet & le peuple pour qui on entreprenoit de le traiter. Or ces deux points fe réunif

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