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où il est tombé, c'eft le commencement le Hériffon s'offre de le délivrer de fes maux; c'eft le milieu: le Renard n'accepte point fon offre, & en dit la raison; c'eft la fin. Si on ôtoit la premiere partie, le récit n'auroit point de tête : fi on ôtoit la fin, il demeureroit fufpendu. Il faut partir, marcher, arriver: ou ce qui eft la même chofe entreprendre, agir achever l'entreprise. Quand Horace dit : Parturient montes, nascetur ridiculus mus: & Boileau après lui, La montagne en travail enfante une fouris; ce n'est pas le récit d'une action, c'eft la citation d'un fait; mais qu'on dife comme La Fon

taine :

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Une Montagne en mal d'enfant

Jettoit une clameur fi haute,

Voilà un récit qui commence : que doit produire ce travail, cette clameur ? Les peuples étonnés accourent de toutes parts, on attend un grand événement, voilà le milieu :

Que chacun au bruit accourant,

Crut qu'elle accoucheroit fans faute
D'une cité plus groffe que Paris.

La fin fuit:

Elle accoucha d'une fouris.

L'allégorie eft vifible. Le Renard repréfente le peuple foulé par fes magif

trats, qui font eux-mêmes représentés par les mouches. Le Hériffon représente les accufateurs des magiftrats. Le Renard eft malheureux, mais il eft fage dans fon malheur. Le Hériffon eft choifi pour repréfenter les accufateurs, plutôt que tout autre animal, parce qu'étant hériffé de pointes, il pouvoir bleffer en voulant guérir: caractere affez ordinaire aux accufateurs en pareil cas, qui veulent changer de maître fouvent pour régner à leur tour, & peut-être avec plus de dureté.

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CHAPITRE V.

FABLES DE PHEDRE.

E caractere des fables d'Efope eft, comme on vient de le voir, la fimplicité nuë: c'est un Philosophe austere qui ne veut que force & vérité. Phedre, affranchi d'Augufte, crut que ce genre étoit fufceptible de graces & d'embelliffemens. Quand on lit l'Auteur Grec, on oublie fa perfonne pour ne s'occuper que de ce qu'il enfeigne; mais quand on lit le Latin, on penfe encore qu'il étoit homme d'efprit; qu'il étoit délicat, gracieux. poli, & qu'il fongeoit à l'être. Il ne fe contente pas de raconter, il peint, & fouvent d'un feul trait. Ses expreffions

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font choifies, fes pensées mesurées, fes vers foignés. Qui eût penfé qu'un ouvrage fi parfait eût pu être déja oublié, à Rome même, dès le tems de Sénéque, c'est-àdire, cinquante ans tout au plus après la mort de l'Auteur? II demeura dans cet oubli jufqu'au XVI fiecle, où François Pithou lui redonna la lumiere, & le tira de la bibliotheque de Saint Remi de Reims. Auffitôt qu'il reparut, tous ceux qui avoient le vrai goût de l'antiquité, reconnurent le fiecle d'Augufte; & lui rendirent avec ufure, les honneurs dont il avoit privé pendant fi long-tems.

Sa fable du Loup & de l'Agneau est une des plus célebres de l'antiquité. Quoiqu'on l'ait lue mille fois, nous la représenterons encore fans crainte de déplaire au lecteur.

Le Loup & l'Agneau.

» Le Loup & l'Agneau preffés par la >> foif, étoient venus boire à un même >> ruiffeau. Le Loup étoit au-deffus, & >> l'Agneau beaucoup plus bas. Alors l'af» faffin, pouffé par fon injufte avidité, >> chercha querelle: Pourquoi, troubles>> tu cette eau, dit-il, tandis que je bois ? >> L'Agneau tremblant lui répondit : >> Comment puis-je faire ce dont vous vous plaignez ? L'eau coule de vous à

>> moi. Le Loup repouffé par la force de » la vérité, replique: Il y a fix mois que » tu médis de moi. Hélas, dit l'Agneau, » je n'étois feulement pas né. C'est donc » ton pere, j'en jure par Hercule. Et » auffitôt il se jette fur lui, & le dé>> chire.

Tout eft clair & bien marqué dans cette fable: le lieu de la fcene, c'eft le bord d'un ruiffeau: les deux acteurs, c'eft le Loup & l'Agneau : leurs caracteres, la violence & l'innocence: l'action, c'eft le démêlé de l'un avec l'autre le noeud, qui tient le lecteur en fufpens, eft de favoir comment fe terminera la querelle le dénouement, c'est la mort de l'innocent, d'où fort la morale: Que

Lupus & Agnus.

Ad rivum eundem Lupus & Agnus venerant
Siti compulfi : superior stabat Lupus,
Longèque inferior Agnus: tunc fauce improbâ
Latro incitatus, jurgii caufam intulit :
Cur, inquit, turbulentam fecifti mihi
Iftam bibenti ? Laniger contrà timens,

Qui poffum, quæfo, facere quod quæritis, Lupe?
A te decurrit ad meos hauftus liquor:
Repulfus ille veritatis viribus,

Ante hos fex menfes malè, ait, dixifti mihi.
Refpondit Agnus: Equidem natus non eram.
Pater Hercule tuus, inquit, maledixit mihi.
Atque ita correptum lacerat injuftâ nece.

le plus foible eft fouvent opprimé par le plus fort.

C'étoit la foif qui les avoit conduits au même ruiffeau. Ils pouvoient s'y rencontrer par hafard, mais il eft mieux de leur donner à tous deux un motif. Le récit en a plus de vraisemblance.

Le Loup étoit au-deffus, & l'Agneau beaucoup plus bas. C'eft de cette fituation. respective que dépend une partie du caractere de l'action: fi on eût mis l'agneau où on met le loup, la plainte de celui-ci auroit pu être juste.

Cette eau, tandis que je bois. Cette défigne l'eau qui paffe devant le loup, & rend l'accufation plus fenfiblement injufte tandis que je bois eft plein d'orgueil, qu'on imagine le ton dont cela étoit prononcé.

L'Agneau tremblant lui répondit: Le latin emploie le mot laniger, l'animal portant laine, qui femble caractériser la douceur de l'agneau, de même que latro l'affaffin, que le Poëte emploie deux vers plus haut, caractérise le mauvais deffein & la noirceur du loup. Ces mots tirés ainfi de la circonftance, ont deux mérites le premier, de faire un portrait ; le fecond d'épargner les redites du noma propre.

Comment pourrois-je faire ce dont vous

vous

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