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les dieux difpofent des cœurs des hommes, & réglent leurs démarches. Sans l'opération de ces agens furnaturels, la chofe qui fe paffe ne feroit qu'une aventure ordinaire, qu'une matiere digne de l'hiftoire & non de l'Epopée.

Enée bien reçu à Carthage envoie auffitôt le fidelle Achate vers Afcagne fon fils , pour le faire venir & le préfenter à la Reine. Là, le Poëte place le reffort qui produit l'amour de Didon pour Enée. Il falloit que ce fût un dieu qui fit naître cet amour, fans quoi ce n'eût été qu'une paffion de roman. Cupidon prend donc la figure d'Afcagne, & arrivant ainfi déguifé, il fouffle fon poifon dans le cœur de la Reine. C'est le troisieme tableau.

Voilà le feu allumé par une cause furnaturelle: c'en eft affez fultera de cette premiere

vraiment épique.

tout ce qui réimpulsion sera

- Car, quoique les dieux foient fuppofés faire tout dans l'action de l'Epopée ; cependant les Poëtes ne les font point entrer dans tous les détails; & il y en a deux raifons: La premiere, que les Poëtes feroient embarraffés de ces acteurs furnaturels, qui fouvent éclipseroient les autres acteurs furcharge

roient la scene, & ne pourroient y être ramenés tant de fois avec affez de vraifemblance & de variété. La feconde raifon, qui couvre à merveille le foible du Poëte, c'eft qu'il y a plus de dignité à ne charger les dieux que de la premiere impulfion; laquelle portant avec certitude la caufe feconde au but qui lui eft marqué, montre la puiffance fuprême de l'être qui agit. Les hommes foibles & bornés, qui ne prennent leur réfolution qu'avec inquiétude, qui ont toujours à fe défier des moyens qu'ils emploient font obligés de redoubler leurs foins quand la chofe fe fait. Mais un dieu quand il s'eft une fois acquitté de fa fonction de cause premiere, a vu d'avance l'effet produit. Il fe repose fur les caufes fubalternes, & leur laiffe à parcourir les petits détails néceffaires à l'exécution, Didon eft frappée par le trait de Cupidon: le dieu difparoît : la princeffe eft abandonnée à elle-même & aux circonftances où elle fe trouve : toutes les facultés de fon ame ne manqueront pas de fe remuer pour percer les obftacles, & arriver au deftin qui l'attend. Junon a la promeffe d'Eole: c'eft affez Eole commande aux vents, & la reine des dieux fera fervie

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Par cet arrangement les dieux font les grands acteurs de l'Epopée, & ne paroiffent que de loin à loin : les hommes en font les acteurs fubalternes, & en occupent prefque toujours la scene: cela eft jufte; puifque le fpectacle eft fait pour les hommes.

Virgile a fuivi ce plan autant qu'il l'a pu: & s'il y a manqué de tems en tems, il paroît que ce n'a été que par crainte ou de fe répéter lui-même, ou de n'être pas affez intéreffant. Homere a été plus heureux. Il l'a fuivi exactement, fur-tout dans fon Iliade, qui eft le traité le plus étendu que nous ayons de la théologie payenne.

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Enfin cette maniere eft la plus raifonnable qu'il y ait d'employer le merveilleux. On n'en voit même de raisonnable que celle-là. Car après tout dès qu'on fait agir les dieux, ils font ou agens fupérieurs, ou agens inférieurs, ou caufes premieres, ou caufes fecondes: il n'y a point de milieu. Or de ces deux efpeces de rôles il ne peut y en avoir qu'une qui leur convienne..

CHAPITRE VIII.

Le Merveilleux eft l'effence de l'Epopée..

eft-il effentiel que le Poëme

Mépique foit merveilleux de cette

forte ?

Qu'est-ce qu'on entend par Poëme épique? Eft-ce tout Poëme en forme de récit? Si cela eft, la forme feule du récit conftitue fa nature. La conjuration de Cinna, le martyre de Polieucte, toutes les hiftoires, tous les fujets dramatiques mis en récit, feront autant de Poëmes épiques. Lucain, ni quelques autres, ne mériteront plus le reproche qu'on leur fait d'être hiftoriens en vers. Il ne s'agit point ici de difputer des mots. Si on veut qu'il y ait des Epopées de cette derniere efpece, il faut convenir au moins qu'elles font d'une autre ef pece que celles d'Homere & de Virgile, & qu'il leur faut une autre définition &

un autre nom.

Eft-ce l'unité d'action ? Mais cette qualité eft commune à toute action de Poëme c'eft une loi à laquelle tous les arts de goût fe font foumis, pour les raifons que nous avons dites ailleurs,

:

C'eft peut-être la grandeur même & l'étendue de l'action. Mais qu'un homme foit grand ou petit, il n'en eft ni plus ni moins un homme.

Eft-ce parce qu'elle eft héroïque ? Toute Tragédie l'eft de même que l'Epopée.

Que refte-t-il donc pour caractériser l'effence de ce Poëme? L'intervention de la divinité: Per ambages Deorumque minifteria, fabulofumque fententiarum tormentum præcipitandus eft liber Spiritus. C'est-à-dire, qu'on développera dans ce genre de Poéfie tous les refforts fecrets de la puiffance divine agissant sur les hommes, tous les nœuds invisibles, toutes les routes obfcures les circuits, par où arrivent les deftins, ambages. On fera mouvoir les divinités. On les intéreffera dans l'action qui fe fait par les hommes: elles agiront en eux', avec eux par eux , pour eux, Deorum minifteria. Enfin le génie du Poëte affranchi de la vérité, liber spiritus, fe précipitera, s'élancera dans l'ef pace immenfe de la fiction, y prendra fes machines, fes forces mouvantes, tormentum fabulofum, pour opérer l'effet qu'il fe propose.

Pétrone ne s'en tient pas au précepte

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