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tion, d'étonner l'ame, de l'élever; il faut que les obftacles préfentés au héros foient d'une difficulté extraordinaire à furmonter, qu'ils demandent une force plus que naturelle ; & què cependant le héros en triomphe. Ainfi le dénouement de l'Epopée fera effentiellement le fuccès & la joie. C'est une grande vertu qu'on donne à admirer: fi elle échouoit, elle feroit plus digne de pitié que d'admiration. Auffi Achille dans l'Iliade triomphe-t-il d'Agamemnon & d'Hector. Ulyffe dans l'Odyffée triomphe de fes malheurs & de fes ennemis : Enée eft vainqueur de Turnus: enfin Satan dans le Paradis perdu de Milton triomphe du premier homme. Car c'eft lui qui eft le héros affurément. S'il ne l'étoit pas, & que ce fût Adam, le dénouement feroit tragique, & nullement épique & s'il étoit tragique, toutes les machines furnaturelles qui font employées dans ce Poëme feroient des roues inutiles; puifque le merveilleux n'a nul rapport à la pitié, & qu'il n'eft point fait pour l'exciter. C'est donc le Diable qu'on nous donne à admirer dans le Paradis perdu. L'objet eft fingulier; mais il faut en juger comme d'une idée de peintre, c'est-à-dire, par l'exécution

plutôt que par le fond même du fujet. D'ailleurs, s'il ne caufe point l'admiration, il caufe du moins l'étonnement.

S'il s'agit de faire naître la compaffion ou la terreur; il est évident le que dénouement doit être malheureux. On donnera tel nom qu'on voudra à une tragédie qui se termine par la joie. Elle fera héroïque, pleine de fituations touchantes; mais on n'y pleure pas les malheurs de ceux qu'on aimoit, ce n'eft plus une tragédie proprement dite: c'eft un genre voisin de la tragédie : c'eft, fi on le veut, un fujet épique mis en drame, ou un fujet bourgeois déguifé en tragédie.

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Je dis les malheurs de ceux qu'on aimoit. La punition de l'oppreffeur n'opere point le tragique. Mithridate tué ne me caufe point de pitié, non plus qu'Athalie, ni Aman, ni Pyrrhus. De même les fituations de Monime de Joad, d'Efther, d'Andromaque ne me caufent point de terreur. Ces fituations font très-touchantes elles ferrent le cœur, troublent l'ame jufqu'à un certain point; mais elles ne vont pas jufqu'au but. Si nous les prenons pour du tragique, c'est parce qu'on l'a donné pour tel, que nous fommes accoutu

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més à nous en tenir à quelque reffemblance; & qu'enfin, quand il s'agit de plaifir, nous ne croyons pas toujours néceffaire de calculer fcrupuleusement ce qu'on pourroit nous donner. Où font donc les dénouemens vraiment tragiques ? Phedre & Hyppolite, les Freres ennemis, Britannicus, @dipe, Polieucte, les Horaces. Le héros pour qui le spectateur s'intéreffe, tombe dans un malheur atroce, effrayant : on en eft pénétré: on fouffre autant que lui.

Ariftote se plaignoit de la molleffe des fpectateurs Athéniens, qui craignoient la douleur tragique. Pour leur épargner des larmes, les Poëtes prirent le parti de tirer du danger le héros aimé. Nous ne fommes pas moins timides fur cet article, que les Athéniens. Nous avons fi peur de la douleur, que nous en craignons même l'ombre & l'image, quand elle a un peu de corps. C'eft ce qui amollit, abâtardit le tragique parmi nous. On fent l'effet de cette altération, quand on compare l'impreffion que fait Polieucte avec celle d'Athalie. Elles font touchantes toutes deux. Mais dans l'une l'ame eft plongée, noyée dans une trifteffe délicieufe; dans l'autre, après quelques inquiétudes, quelques momens

d'alarmes, l'ame eft foulevée par une joie qui s'évapore & fe perd dans l'inftant.

La Comédie n'a point d'efforts de vertu à faire, mais feulement des efforts d'efprit , pour trouver quelque tour adroit qui faffe fortir la fottife du héros qui réjouit la scene. Si ce héros est malheureux; ce ne doit être qu'un malheur burlefque, comme celui de l'Avare, à qui on efcamote fa précieuse caffette afin de le forcer de céder fa maîtreffe à un amant qui la mérite mieux que lui, Si le malheur étoit grave, il y auroit de quoi s'attrifter: ce qui eft contre le but de la Comédie; il faut donc que fon dénouement foit le fuccès des Acteurs raifonnables, & la honte comique des Acteurs ridicules.

CHAPITRE VII.

L'action Épique fera merveilleufe.

N

Ous avons dit que l'Epopée étoit le récit d'une chofe merveilleufe. C'eft la différence propre de l'action épique, à en juger par Homere, par Virgile, & par quelques-uns des Modernes, à qui le choix de leur fujet a donné oc

cafion de fuivre en plein l'idée des Anciens dans cette partie. Nous ne parlons ici que des Epopées formées fur ce modele. La licence des Poëtes a droit de tout ofer, l'Ariofte en eft un exemple; mais quiconque veut fe faire des idées juftes & générales, ne doit s'attacher qu'à ce qu'il y a de plus parfait. Ce n'eft point par le fond de fon Poëme qu'Ariofte plaît, c'est par la touche du peintre.

Tout homme qui fera la moindre réflexion fur la maniere dont commence Faction de l'Enéïde, fentira aifément la grande différence qu'il doit y avoir entre l'action épique & l'action tragique. Il' voit les Dieux qui agiffent par-tout. Junon traverse les airs: le Maître des vents fouleve une tempête affreufe contre un mortel. En fuivant le Poëme jufqu'au. bout, il voit toujours les êtres furnaturels mêlés dans cette caufe. N'y paroiffent-ils que par hafard? N'y ont-ils qu'un rôle vague & indéterminé? N'y font-ils que pour y jetter un vain éclat? Enfin n'y a-t-il point de regles dans la raison, dans le bon fens, qui déterminent cequ'ils doivent y opérer ? Il n'est pas naturel de le croire.

Et cependant on le croiroit, à voir

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