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étude se passent fort bien de ces recherches: mais vous nous annoncez des principes; or, après cette annonce, on est étonné que vous ne vouliez tirer vos principes que de la seule langue françoise; comme si cette langue ne devoit son origine qu'à elle-même.

L'homme, disent nos beaux esprits, est un animal imitatif; ou, comme dit la Fontaine, nous sommes une race moutonnière; les enfans ne parlent que parce qu'ils ont entendu parler leurs pères et les autres hommes avec lesquels ils ont vécu. Mille circonstances, mille combinaisons particulières, apportent ensuite au langage des pères des différences, qui, ajoutées successivement les unes aux autres, forment enfin une langue qui a son caractère propre, mais qui ne sauroit perdre en tout les marques de son origine : c'est un enfant, qui a toujours un certain air de femelle ; c'est un provincial, qui ne peut se défaire entièrement des manières et de l'accent de sa province. Ainsi, les vrais principes d'une langue doivent se tirer, disent nos philosophes, et de ce qu'une langue a conservé des langues plus anciennes dont elle vient, et de ce qu'elle a de propre. Sans la connoissance de ces deux points, il peut bien y avoir un bon usage, une bonne routine; mais il ne sauroit y avoir de vrais principes de grammaire. Ainsi, à ce que ces messieurs prétendent, pour connoître les principes de notre langue puisque vous voulez des principes, il faut quelque chose de plus que l'usage actuel de la langue; et si vous ne voulez pas remonter jusqu'aux langues que nos pères ont parlé, et même jusqu'à celles des peuples avec lesquels ils ont été en relation, ou par le commerce, ou

par les guerres, ou de quelqu'autre manière, changez le titre de votre livre.

On vous blâme aussi beaucoup, Monsieur, de l'indifférence que vous marquez pour l'étymologie, pour l'ellipse et pour les autres figures de grammaire, dont vous ne parlez point, et sans lesquelles nos maîtres prétendent qu'il n'est pas possible de rendre raison d'un grand nombre de façons de parler.

Au reste, Monsieur, toutes ces critiques, quelles qu'elles soient, ne m'ont pas empêchée de goûter une infinité de réflexions judicieuses répandues dans votre grammaire. Aussi en ai-je fait relier bien proprement les deux tomes, que j'ai mis à côté de votre excellent traité des synonymes. Quand la première édition de cet ouvrage utile parut, je n'étois pas encore au monde; mais dans la suite, lorsque je fus devenue un peu raisonnable, un homme de mérite, qui s'intéressoit à mon éducation, me le fit lire plusieurs fois, pour me former le goût, disoit-il, et je lui ai souvent entendu dire que ce petit traité étoit un des ouvrages qui avoit le plus contribué à donner de la justesse et de la précision à nos auteurs. Ainsi, j'ose me flatter, Monsieur, qu'étant remplie, dès mon enfance, d'une véritable estime pour vous, vous interprêterez favorablement la liberté que j'ai prise de vous proposer mes doutes, avec la confiance et la docilité d'une petite écolière qui a grande envie d'être instruite. C'est avec ces sentimens que j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très-humble et très- obéissante servante, etc., etc.

A Paris, ce 3 mai 1747.

INVERSION.

INVERSION.

Tome III.

Y

INVERSION.

SPURIUS Carvulius étoit devenu boiteux d'une blessure qu'il avoit reçue dans un combat. Il se faisoit une sorte de honte de paroître en public en cet état. Que ne vous montrez-vous, mon fils, lui dit sa mère ; à chaque pas que vous ferez, vous vous ressouviendrez de votre valeur.

Voici comme Cicéron fait parler cette femme respectable :

Quin prodis, mi Spuri? ut quotiescumque gradum facies, toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem. Cic. de Orat. II. LXI.

Bornons-nous à la dernière proposition toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.

Je veux expliquer cette proposition à un jeune homme, et suivre la méthode de M. Pluche et de M. Chompré (1).

Premièrement. Le premier pas que j'ai à faire, selon M. Pluche, c'est de rapporter nettement, en langue vulgaire, ce qui est le sujet de la traduction.

Soit. Je viens de faire ce premier pas.

Le second, c'est de lire et de rendre fidellement, en notre langue, le latin dont on a

(1) Page 154.

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