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X I.

SENS ABSTRAIT, SENS CONCRET.

CE mot abstrait vient du latín abstractus, participe d'abstráhere, qui veut dire tirer, áracher, séparer de.

Tout corps est réèlement étendu en longueur, largeur et profondeur, mais souvent on pense à la longueur sans faire atention à la largeur ni à la profondeur, c'est ce qu'on apèle faire abstraction de la largeur et de la profondeur ; c'est considérer la longueur dans un sens abstrait : c'est ainsi qu'en géométrie on considère le point, la ligne, le cercle, sans avoir égard ni à un tel point, ni à une telle ligne, ni à un tel cercle physique.

Ainsi, en général, le sens abstrait est celui par lequel on s'ocupe d'une idée, sans faire atention aux autres idées qui ont un raport naturel et nécessaire avec cette idée.

1o. On peut considérer le corps en général sans penser à la figure ni à toutes les autres propriétés particulières du corps physique : c'est considérer le corps dans un sens abstrait, c'est considérer la chose sans le mode, come parlent les philosophes, res absque modo.

2o. On peut, au contraire, considérer les propriétés des objets sans faire atention à aucun sujet particulier auquel elles soient atachées, modus absque re. C'est ainsi qu'on parle de la blancheur, du mouvement, du repos, sans faire

faire aucune atention particulière à quelque objet blanc, ni à quelque corps qui soit en mouyement ou en repos.

L'idée dont on s'ocupe par abstraction, est tirée, pour ainsi dire, des autres idées qui ont raport à celle-là, elle en est come séparée, et c'est pour cela qu'on l'apèle idée abstraite.

L'abstraction est donc une sorte de séparation qui se fait par la pensée. Souvent on considère un tout par parties, c'est une espèce d'abstraction, c'est ainsi qu'en anatomie on fait des démonstrations particulières de la tête, ensuite de la poitrine, etc., mais c'est plutôt diviser qu'abstraire; on apèle plus particulièrement faire abstraction, lorsque l'on considère quelque propriété des objets sans faire atention ni à l'objet, ni aux autres propriétés, ou lorsque l'on considère l'objet sans les propriétés.

Le sens concret, au contraire, c'est lorsque l'on considère le sujet uni au mode, ou le mode uni au sujet ; c'est lorsque l'on regarde un sujet tel qu'il est, et que l'on pense que ce sujet et sa qualité ne font ensemble qu'une même chose, et forment un être particulier; par exemple : ce papier blanc, cette table quarrée, cette boîte ronde; blanc, quarrée, ronde, sont dits alors dans un sens concret.

Ce mot concret vient du latin concrétus participe de concréscere, croître ensemble, s'épaissir, se coaguler, être composé de; en éfet, dans le sens concret, les adjectifs ne forment qu'un tout avec leurs sujets, on ne les sépare point l'un de l'autre par la pensée.

Le concret renferme donc toujours deux idées, celle du sujet et celle de la propriété. Tome III.

Q

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Tous les substantifs qui sont pris adjectivement, sont alors des termes concrets; ainsi quand on dit Petrus est homo; homo est alors un terme concret, Petrus est habens humanitátem.

Observez qu'il y a de la diférence entre faire abstraction et se servir d'un terme abstrait. On peut se servir de mots qui expriment des objets réels, et faire abstraction, come quand on examine quelque partie d'un tout, sans avoir égard aux autres parties: on peut, au contraire, se servir de termes abstraits, sans faire abstraction, come quand on dit que la fortune est aveugle.

Des termes abstraits.

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Dans le langage ordinaire, abstrait se prend pour subtil, métaphysique ces idées sont abstraites, c'est-à-dire, qu'elles demandent de la méditation, qu'elles ne sont pas aisées à comprendre, qu'elles ne tombent point sous

les sens.

On dit aussi d'un home qu'il est abstrait quand il ne s'ocupe que de ce qu'il a dans l'esprit, sans se prêter à ce qu'on lui dit. Mais ce que j'entens ici par termes abstraits, ce sont les mots qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination.

Que les homes pensent au soleil, ou qu'ils n'y pensent point, le soleil existe ; ainsi le mot de soleil n'est point un terme abstrait.

Mais beauté, laideur, etc. sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent et que nous trouvons beaux; il y en a d'autres,

au contraire, qui nous afectent d'une manière désagréable, et que nous apelons laids; mais il n'y a aucun être réel qui soit la beauté ou la laideur. Il y a des homes, mais l'humanité n'est point, c'est-à-dire, qu'il n'y a point un être qui soit l'humanité.

Les abstractions ou idées abstraites supòsent les impressions particulières des objets, et la méditation, c'est-à-dire, les réfléxions que nous fesons naturèlement sur ces impressions. C'est à l'ocasion de ces impressions que nous considérons ensuite séparément, et indépendament des objets, les diférentes afections qu'elles ont fait naître dans notre esprit, c'est ce que nous apelons les propriétés des objets : je ne considérerois pas le mouvement en lui-même, si je n'avois jamais vu de corps en mouvement. Nous somes acoutumés à doner des noms particuliers aux objets réels et sensibles; nous en donons aussi par imitation aux idées abstraites, come si elles représentoient des êtres réels ; nous n'avons point de moyen plus facile pour nous comuniquer nos pensées.

Ce qui a sur-tout doné lieu aux idées abstraites, c'est l'uniformité des impressions qui ont été excitées dans notre cerveau par des objets diférens, et pourtant semblables en un certain point: les homes ont inventé des mots particuliers pour exprimer cette ressemblance, cette uniformité d'impression dont ils se sont formé une idée abstraite. Les mots qui expriment ces idées nous servent à abréger le discours et à nous faire entendre avec plus de facilité; par exemple, nous avons vu plusieurs

objets blancs, ensuite pour exprimer l'impression uniforme que ces diférens objets nous ont causée, et pour marquer le point dans lequel ils se ressemblent, nous nous servons du mot de blancheur.

Nous somes acoutumés dès notre enfance à voir des corps qui passent successivement d'une place à une autre; ensuite, pour exprimer cette propriété et la réduire à une sorte d'idée générale, nous nous servons du terme de mouvement. Ce que je veux dire s'entendra mieux par cet exemple.

Les noms que l'on done aux tropes ou figures dont nous avons parlé, ne représentent point des êtres réels; il n'y a point d'être, point de substance, qui soit une métaphore, ni une métonymie ; ce sont les diférentes expressions métaphoriques, et les autres façons de parler figurées qui ont doné lieu aux maîtres de l'art d'inventer le terme de métaphore, et les autres noms des figures par là ils réduisent à une espèce, à une classe particulière les expressions qui ont un tour pareil selon lequel elles se ressemblent, et c'est sous ce raport de ressemblance qu'elles sont comprises dans chaque sorte particulière de figure, c'est-à-dire, dans la même manière d'exprimer les pensées : toutes. les expressions métaphoriques sont comprises sous la métaphore, elles s'y raportent; l'idée de métaphore est donc une idée abstraite qui ne représente aucune expression métaphorique en particulier, mais seulement cette sorte d'idée générale que les homes se sont faite pour réduire à une classe à part les expressions figurées

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