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DES DIFERENS SENS

Dans lesquels on peut prendre un mème mot dans une mème langue.

PREMIÈRE PARTIE.

Des Tropes en général.

ARTICLE PREMIE R.

Idées générales des figures.

AVANT que de parler des Tropes en particulier, je dois dire un mot des figures en général; puisque les Tropes ne sont qu'une espèce de figures.

On dit comunément que les figures sont des manières de parler éloignées de celles qui sont naturèles et ordinaires: que ce sont de certains tours et de certaines façons de s'exprimer, qui s'éloignent en quelque chose

de la manière comune et simple de parler : ce qui ne veut dire autre chose, sinon que les figures sont des manières de parler éloignees de celles qui ne sont pas figurées, et qu'en un mot les figures sont des figures, et ne sont pas ce qui n'est pas figures.

D'ailleurs, bien loin que les figures soient des manières de parler éloignées de celles qui sont naturèles et ordinaires, il n'y a rien de si naturel, de si ordinaire et de si comun que les F. de la figures dans le langage des homes. M. de Chaire et du Bretteville après avoir dit que les figures ne 11. ch. 1. sont autre chose que de certains tours d'ex

Barreau. L.

pression et de pensée dont on ne se sert point comunément, ajoute « qu'il n'y a rien de si » aisé et de si naturel. J'ai pris souvent plaisir, » dit-il, à entendre des paysans s'entretenir » avec des figures de discours si variées, si » vives, si éloignées du vulgaire, que j'avois » honte d'avoir si long-tems étudié l'éloquence, » voyant en eux une certaine rhétorique de >> nature beaucoup plus persuasive et plus éloquente que toutes nos rhétoriques artifi»cièles ».

En éfet, je suis persuadé qu'il se fait plus de figures un jour de marché à la halle, qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées académiques. Ainsi, bien loin que les figures s'éloignent du langage ordinaire des homes, ce seroit, au contraire, les façons de parler sans figures qui s'en éloigneroient, s'il étoit possible de faire un discours où il n'y eût que des expressions non figurées. Ce sont encore les façons de parler recherchées, les figures déplacées et tirées de loin, qui s'écartent de la

manière

manière comune et simple de parler; come les parures afectées s'éloignent de la manière de s'habiller, qui est en usage parmi les honêtes gens.

per

Les apôtres étoient persécutés, et ils soufroient patienment les persécutions. Qu'y a-t-il de plus naturel et de moins éloigné du langage ordinaire, que la peinture que fait S. Paul de cette situation et de cette conduite des apôtres (1)? « On nous maudit, et nous bénissons: » on nous persécute, et nous soufrons la >> sécution: on prononce des blasphemes » contre nous, et nous répondons par des prières». Quoiqu'il y ait dans ces paroles de la simplicité, de la naïveté, et qu'elles ne s'éloignent en rien du langage ordinaire, cependant elles contiènent une fort belle figure qu'on apèle antithèse, c'est-à-dire, oposition: maudir est oposé à benir, persécuter à soufrir, blasphemes à prières.

Il n'y a rien de plus comun que d'adresser la parole à ceux à qui l'on parle, et de leur faire des reproches quand on n'est pas content de leur conduite (2). O nation incrédule et méchante! s'écrie Jesus-Christ, jusques à quand serai-je avec vous! jusques à quand aurai-je à vous soufrir! C'est une figure très-simple qu'on apèle apostrophe.

(1) Maledícimur, et benedicimus: persecutiónem pátimur, et sustinémus: blasphemámur, et obsecrámus. 1. Cor. c. 4. v. 12.

(2) O generátio incrédula et pervérsa, quo usque ero vobiscum! Quo usque pátiar vos. Matt. c. 17. v. 16.

Tome III.

B

de Turène. Exerde.

Crais. fu- M. Flêchier au comencement de son oraison neb. de M. funèbre de M. de Turène, voulant doner une idée générale des exploits de son héros, dit «< conduites d'armées, siéges de places, prises >> de villes, passages de rivières, attaques har» dies, retraites honorables, campemens bien >>ordoués, combats soutenus, batailles » gnées, énemis vaincus par la force, dissipés » par l'adresse, lassés par une sage et noble » patience où peut-on trouver tant et de si » puissans exemples, que dans les actions d'un » home, etc. » ?

ga

Il me semble qu'il n'y a rien dans ces paroles qui s'éloigne du langage militaire le plus simple; c'est la cependant une figure qu'on apèle congeries, amas, assemblage. M. Flêchier la termine en cet exemple, par une autre figure qu'on apèle interrogation, qui est encore une façon de parler fort triviale dans le langage ordinaire.

Dans l'Andriène de Térence Simon se Andr. act. croyant trompé par son fils, lui dit: Quid ais F. Sc.3.v 3. omnium... Que dis-tu le plus... vous voyez que la proposition n'est point entière, mais le sens fait voir que ce père vouloit dire à son fils: Que dis-tu le plus méchant de tous les homes? Ces façons de parler dans lesquelles il est évident qu'il faut supléer des mots, pour achever d'exprimer une pensée que la vivacité de la passion se contente de faire entendre, sont fort ordinaires dans le langage des homes. On apèle cette figure Ellipse, c'est-à-dire, omission.

Il y a, à la vérité, quelques figures qui ne. sont usitées que dans le style sublime: telle est prosopopée, qui consiste à faire parler un mort, une persone absente ou même les

la

choses inanimées. « Ce tombeau s'ouvriroit, ces

Oraison funèbre de

» ossemens se rejoindroient pour me dire : M. de Mon» Pourquoi viens-tu mentir pour moi, qui ne tausier. » mentis jamais pour persone? Laisse-moi » reposer dans le sein de la vérité, et ne viens >> pas troubler ma paix, par la flaterie que j'ai » haïe ». C'est ainsi que M. Flêchier prévient ses auditeurs, et les assure par cette prosopopée, que la flaterie n'aura point de part dans l'éloge qu'il va faire de M. le duc de Montausier.

Hors un petit nombre de figures semblables, réservées pour le style élevé, les autres se trouvent tous les jours dans le style le plus simple, et dans le langage le plus comun.

Qu'est-ce donc que les figures? Ce mot se prend ici lui-même dans un sens figuré. C'est une métaphore. Figure dans le sens propre, est la forme extérieure d'un corps. Tous les corps sont étendus; mais outre cette propriété générale d'être étendus, ils ont encore chacun leur figure et leur forme particulière, qui fait que chaque corps paroît à nos yeux diférent d'un autre corps: il en est de même des expres→ sions figurées; elles font d'abord conoître ce qu'on pense; elles ont d'abord cette propriété générale qui convient à toutes les phrases et à tous les assemblages de mots, et qui consiste à signifier quelque chose, en vertu de la construc tion grammaticale; mais de plus les expressions figurées ont encore une modification particulière qui leur est propre, et c'est en vertu de cette modification particulière, que l'on fait une espèce à part de chaque sorte de figure.

L'anthithèse, par exemple, est distinguée des autres manières de parler, en ce que dans

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