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ensuite à donner son consentement à votre mariage. Il faudroit, pour bien faire, que le refus vînt de luimême, et tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre personne.

Tu as raison.

CLÉANTE.

FROSINE.

Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudroit; mais le diantre est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez. Si nous avions quelque femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise ou de vicomtesse, que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j'aurois assez d'adresse pour faire accroire à votre père que ce seroit une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant; qu'elle seroit éperdument amoureuse de lui, et souhaiteroit de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par contrat de mariage et je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition. Car enfin il vous aime fort, je le sais; mais il aime un peu plus l'argent: et quand, ébloui de ce leurre, il auroit une fois consenti à ce qui vous touche, il importeroit peu ensuite qu'il se désabusât,

en venant à vouloir voir clair aux affaires de notre

marquise.

CLÉANTE.

Tout cela est fort bien pensé.

FROSIN E.

Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une

de mes amies, qui sera notre fait.

CLEANTE.

Sois assurée, Frosine, de ma reconnoissance, si tu viens à bout de la chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre mère; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage. Faites- y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il vous sera possible. Servezvous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu'elle a pour vous : déployez sans réserve les graces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche: et n'oubliez rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes, à qui je suis persuadé qu'on ne sauroit rien refuser.

MARIANE.

J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose.

SCÈNE II.

HARPAGON, CLÉANTE, MARIANE, ÉLISE,

FROSINE.

HARPAGON, à part, sans être aperçu. Ouais! mon fils baise la main de sa prétendue bellemère, et sa prétendue belle-mère ne s'en défend pas fort ! Y auroit-il quelque mystère là-dessous ?

Voilà mon père.

ÉLISE.

HARPAGON.

Le carrosse est tout prêt; vous pouvez partir quand il vous plaira.

CLÉANTE.

Puisque vous n'y allez pas, mon père, je m'en vais les conduire.

HARPAGON.

Non, demeurez. Elles iront toutes seules, et j'ai esoin de vous.

SCÈNE III.

HARPAGON, CLEANTE.

HARPAGON.

Or-çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette personne ?

CLEANTE.

Ce qui m'en semble?

HARPAGON.

Oui, de son air, de sa taille, de sa beauté, de son

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A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je l'avois crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter;

car, belle-mère pour belle-mère, j'aime autant cellelà qu'une autre.

HARPAGON.

Tu lui disois tantôt pourtant...

CLÉANTE.

Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom; mais c'étoit pour vous plaire.

HARPAGON.

Si bien donc que tu n'aurois pas d'inclination pour elle?

CLEANTE.

Moi? point du tout.

HARPAGON.

J'en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m'étoit venue dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge, et j'ai songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune personne. Cette considération m'en faisoit quitter le dessein; et comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l'aurois donnée, sans l'aversion que tu témoignes.

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