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mais au contraire, que de comparaisons haineuses, que de projets d'envie et d'ambition s'allument dans leurs cœurs et enflamment leurs passions. C'est de là que sort cette nuée d'hommes toujours disposés aux troubles, au service de tout pouvoir qui s'élève, et qui obstruent les avenues de tous les lieux dans lesquels il siége. Il n'en faut pas douter, si on a vu tant de personnes poursuivre avec acharnement les classes qui leur étoient supérieures, les distinctions auxquelles elles-mêmes n'avoient pu atteindre, les propriétés auxquelles elles n'avoient pas eu de part, c'est à ce principe qu'il faut le rapporter. La convoitise a pris le masque du patriotisme, et l'on est devenu sophiste, spoliateur, féroce même, pour rétablir l'équilibre entre sa fortune et les talens que l'on se supposoit à soimême.

Il résulte du tableau de ces différentes causes, qu'il existe en Europe un désordre social fort grand. Il va toujours en croissant; il ne peut manquer d'avoir des suites funestes pour la

société.

La situation des Européens est donc loin d'être bonne : l'on peut dire qu'à les considérer en masse, ils sont trèsmalheureux. On aperçoit chez eux plus de lumières que de bonheur. Il n'en faut pas conclure avec quelques personnes, que ce sont les lumières qui leur ont fait perdre le bonheur; mais au contraire, que c'est parce qu'on les gouverne contre leurs lumières qu'ils sont malheureux. Ainsi, la multiplication des soldats, des impôts, des gênes de toute espèce, ne sont pas des actes suivant les lumières, mais contre les lumières; c'est en vertu des lumières que s'élèvent tant de ré

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clamations contre ces actes, et si ces lumières, objet de tant de cris aveugles et inconsidérés, n'ont pu parvenir à arrêter le cours de ces désordres, c'est parce qu'elles rencontrent partout l'opposition des intérêts, des passions, des préjugés, qui, armés du pouvoir, sont occupés sans relâche à détourner ou à détruire les effets salutaires que ces mêmes lumières ne pourroient manquer de produire, si elles présidoient seules au gouvernement des hommes.

CHAPITRE XXIX.

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Des Ecrivains politiques dans leurs rapports avec le maintien de la paix.

ON a fait la guerre pendant vingt ans, en parlant toujours de la paix; c'étoit à qui persuaderoit que c'étoit lui qui vouloit la paix, et son adversaire qui vouloit la guerre, tout en feignant de désirer la paix. Ce n'est même qu'en rapprochant sans cesse la perspective de la paix qu'on a amené les peuples à supporter la guerre. Faire la guerre pour conquérir la paix, tel a été le langage universel. Enfin, cette paix, si ardem

ment désirée, si long-temps attendue,

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est arrivée; mais pour que le monde en jouisse, il faut qu'on en bannisse le ton et le langage qui ont envenimé les actions et ulcéré les coeurs de tout le monde. On a trop réussi à diviser les hommes, à leur montrer des ennemis dans ce qui ne forme qu'une même famille; les usages des souverains de l'Orient à leur avénement au trône, à l'égard de leurs malheureux frères, ont été adoptés par la politique et par un trop grand nombre de ceux qui s'en occupent. Dans le besoin de se surmonter, on a eu l'air de penser qu'on ne se haïroit jamais assez, qu'on ne s'insulteroit jamais assez, qu'on ne se provoqueroit jamais assez, qu'on ne se prêteroit jamais assez de noirceurs et de perfidies. A force d'être répété, ce langage est devenu universel. Il y a des nations dont on ne sait parler qu'avec

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