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CHAPITRE XXVI.

Double état de l'Europe.

APRÈS avoir traité en détail de tous les états de l'Europe, ne seroit-ce pas laisser le tableau incomplet que de ne pas faire remarquer une singularité qui se montre au milieu d'elle pour la première fois depuis la création du monde? Presque tout y existe à double: on diroit qu'il y a deux Europe, politiquement, civilement et religieuse

ment.

A l'ouverture du Congrès, cette double existence se faisoit remarquer plus encore qu'elle ne le fait aujour

d'hui. Quelques-unes des décisions du Congrès, l'entreprise de Napoléon, et des arrangemens particuliers entre quelques princes, ont effacé plusieurs traits de cette singulière position.

Que l'on veuille bien prendre la peine de suivre cet exposé.

La Suède a un roi reconnu et un roi réclamant.

Il y a peu de jours que le trône de Naples comptoit deux compétiteurs.

Il y a peu de jours que les comptes sont apurés entre Charles IV et Ferdinand VII (1).

Plusieurs hommes encore vivans ont régné où d'autres règnent aujourd'hui. La Suède et la Norwège,

La Hollande et la Belgique,
La Russie et la Pologne,

(1) Voyez le traité entre le père et le fils.

La Prusse et la Saxe,
L'Autriche et l'Italie,

Le Piémont et Gênes, présentent des réunions et incorporations totales ou partielles, souvent à titre d'égalité, quelquefois même de supériorité. Quelques-uns de ces états suivront leurs propres lois : ainsi la Norwège a sa diète à part; les divisions de la Pologne attachées à la Russie, à la Prusse, à l'Autriche, doivent, aux termes du traité de Vienne, obtenir une représentation et des institutions nationales. L'Italie ne sera pas régie d'après les lois de l'Autriche et de la Hongrie. Il n'est pas jusqu'à l'île d'Elbe qui n'ait compté à la fois un détenteur et un aspirant.

Si de l'Europe on passe aux colonies on trouvera que le pavillon blanc et le pavillon noir se disputent SaintDomingue; que l'ancien maître blanc

demande au nouveau maître noir de lui restituer ses champs fertiles, et de les faire fructifier de nouveau pour lui: on trouvera l'immense Amérique ébranlée toute entière, et ruisselante d'un sang répandu pour et contre l'Es pagne, pour la liberté du NouveauMonde en opposition à la dépendance que l'Ancien veut maintenir, pour la supériorité et la domination des Européens contre l'égalité et l'émancipation que les enfans de l'Amérique réclament.

Le Portugal et le Brésil sont encore unis de nom, mais dans une position inverse de ce qu'elle étoit antérieurement au passage du prince-régent en Amérique; ils ne peuvent plus maintenir leurs anciens liens dans un contraste si nouveau.

Sûrement jamais le soleil n'a éclairé rien de pareil. Se tourne-t-on du côté

du civil, c'est le même spectacle: en combien de pays la terre ne comptet-elle pas de doubles propriétaires?

Quelle est la place qui n'ait pas eu plusieurs titulaires, qui sont exposés à se rencontrer tous les jours?

On diroit qu'un double esprit anime tous les hommes, et s'est emparé d'eux. Les mots ont deux acceptions, les actions deux mesures; et, pour que ces balances soient moins justes, ce sont toujours des balances de parti.

Le dogme a cessé d'être un objet de discussion: il est consolant de penser qu'il est resté un objet de respect pour tout le monde. Mais la division s'est établie sur la manière d'envisager la religion par rapport à la société : les uns veulent la faire valoir par le maintien rigoureux des observances légales; les autres, sans les infirmer, se rattachent plus particulièrement à la mo

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