Nous cesserons donc de nous occuper de l'Espagne d'Europe. Désormais, ce n'est plus qu'en Amérique qu'il faut la chercher.

CHAPITRE XXIV.

C'essions et réunions des Peuples. Il s'est élevé une réclamation qu'on peut appeler générale, sur les cessions et les réunions dont le Congrès a eu à traiter, et que dans toute espèce de plan il ne pouvoit éviter.

Le parlement d'Angleterre, auquel seul en Europe appartient le droit de porter ses regards et d'élever la voix sur les affaires générales de l'Europe comme sur les affaires propres à l'Angleterre, a usé de ce superbe privilége pour faire entendre des plaintes trèsvives sur cette facilité à scinder les nations, à les permuter, à les transporter d'une domination qu'elles aimoient,

et dont elles avoient l'habitude, à une autre qu'elles ne connoissent pas, que souvent elles haïssent; enfin, à donner aux souverains de nouveaux sujets, et aux sujets de nouveaux souverains.

Cette manière de procéder sur les nations a été préparée par les opérations diplomatiques et militaires du dernier gouvernement de la France. Voyez tout ce qu'il a changé, donné, repris et réuni, pour finir par tout perdre.

Le partage de la Pologne avoit donné le premier exemple de ces attaques à l'existence des nations, attaques à peu près inconnues en Europe depuis la chute de l'empire romain et les grandes invasions des barbares. Les changemens ont presque toujours été les résultats de mariages, de successions ou d'accords pacifiques; et, ce qu'il faut bien remarquer, c'est que ces mêmes chan

gemens étoient bornés dans leurs effets, et prolongés sur un long espace de temps: prenez l'histoire, et voyez ce que souvent ont coûté de temps et d'efforts les réunions les moins impor→ tantes. Dans le temps actuel, c'est le contraire. C'est tout à coup et tout à la fois que des nations entières perdent leur existence. Ainsi la Norwège, Gênes, Venise, le royaume d'Italie, la Pologne, une partie de la Saxe, et d'autres pays, changent au même

moment.

Il faut observer trois choses:

Le nombre, le mode, et les motifs de ces opérations.

Sûrement on ne prétend point que le monde ne change pas de face, que les propriétés souveraines doivent toujours rester dans les mêmes mains, et que la guerre ne peut pas enrichir l'adroit ou le fort des dépouilles du

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maladroit ou du foible. Les archives de l'univers sont pleines des preuves du contraire (1).

La guerre ne laisse jamais une nation où elle l'a prise, a dit Burke: ce mot doit s'appliquer surtout aux effets de la guerre qui a donné lieu au Congrès. Jamais terme de guerre n'avoit trouvé les nations plus loin du point de départ.

Il ne faut pas se méprendre sur la nature des réclamations qu'ont excitées les réunions et cessions proposées. C'est qu'on n'y a aperçu que la satisfaction d'intérêts personnels, et qu'on n'y a rien reconnu qui fût dirigé vers

(1) La Fontaine a dit :

Jupin, pour chaque état, mit deux tables au monde : L'adroit, le vigilant et le fort sont assis

A la première, et les petits

Mangent leur reste à la seconde.