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faites-le descendre dans la plaine, il perd toute sa valeur, et ne se rapporte à rien. Voilà ce qui se retrouve à Malte. Placée au centre de la Méditerranée, elle est le refuge de tout ce qui navigue vers le Levant, ou qui en revient. Dans cette situation, l'Ordre avoit une destination précieuse pour tout le monde.

On a parlé de lui céder Corfou. Là l'Ordre n'étoit plus un bienfait universel pour les marins de la Méditerranée, car on passe à Malte; elle est pour ainsi dire inévitable, au lieu qu'il faut aller chercher Corfou, et ce n'est guère qu'aux navigateurs de l'Adriatique que Corfou peut être secourable.

Il en est de même de la surveillance que l'Ordre exerçoit à l'égard des Barbaresques; car, pour les Turcs, ils n'exercent guère la piraterie; c'est en

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core la position de Malte qui lui donne la faculté de les réprimer. Les Barbaresques ne font la course que dans le carré formé par les côtes d'Afrique, de l'Italie occidentale, du golfe de Lyon et de l'Espagne : ainsi Malte est admirablement placée pour les surveiller. Tout ce qui dépasse cette ligne à l'est éloigne la marine de l'ordre de sa destination.

D'ailleurs, un mot de la part de l'Europe, mot trop long-temps attendu, et le scandale de ces Barbaresques, rançonnant tout le monde, disparoît, et l'importance de la marine de Malte s'évanouit en même temps.

Fera-t-on de l'Ordre de Malte un ordre souverain dans chaque état ? Alors sans unité, sans chef-lieu, sans marine protectrice des rivages chrétiens, cet Ordre illustre retombe dans l'état des Ordres de chevalerie dont il

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a été le père, et que les ravages du temps, avec les changemens survenus dans la société, ont réduits à n'être que des signes d'honneur, mais sans pouvoir effectif et sans destination spé ciale.

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Jusqu'à ce jour le Congrès n'a rien statué sur l'Ordre de Malte; car il ne s'agit plus de Malte devenue posses→ sion angloise. Il paroît que c'est une affaire abandonnée.

Le Portugal a conservé son terri toire, mais il a perdu son souverain. Le passage de ce prince au Brésil donne ouverture à un nouvel ordre de choses. C'est de lui seul que nous allons traiter. L'Europe doit-elle souffrir que des lois soient données par l'Amérique à quelqu'une de ses parties. Voilà la question que présente le passage du souverain du Portugal au Brésil. Cette question n'est pas seulement une ques

tion de souveraineté propre à un prince; mais il s'agit de savoir si l'Amérique aura des colonies en Europe, et si celle-ci recevra des lois de l'Amérique ; car enfin, si le roi d'Espagne, comme Philippe v et Charles IV, ont été à la veille de le faire, alloit s'établir à Mexico, et que d'autres princes fussent de même s'établir dans leurs colonies, alors voilà l'Europe dépendante de l'Amérique, et les métropoles soumises à leurs colonies. Dans ce cas, l'Europe toléreroit-elle ce changement, et souffriroit-elle que des lois lui fussent envoyées d'un autre hémisphère par ses propres enfans? L'Europe se croiroit-elle le droit de s'occuper, dans son intérêt, de cette translation, ou bien la question seroit-elle décidée par le droit naturel qu'a chacun de choisir sa demeure dans celui de ses domaines qui lui convient le mieux?

Si le roi de France s'établissoit à la Martinique, et le roi des Pays-Bas à Batavia, que feroit-on en Europe (1)? Sûrement je ne suis pas au nombre de ceux qui menacent l'Europe d'être un jour conquise par l'Amérique.

Quelle que soit la rapidité de ses accroissemens, elle est bien loin de pouvoir obtenir un pareil ascendant, et l'Europe, avec ses arts et sa population, auroit bientôt fait justice d'un ennemi venu de si loin. L'Amérique ne pourroit attaquer qu'avec une fraction de sa population: l'Europe se défendroit avec la masse de la sienne. L'Europe ne subira jamais d'autre joug de la part de l'Amérique, que celui de ses riches et douces productions, et

(1) Quand Louis XIV menaçoit Amsterdam, le gouvernement de Hollande et les citoyens notables étoient prêts à s'embarquer pour Batavia,

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