Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

lorfqu'il y avoit trop long-tems qu'il étoit éloigné de fes deserts;
Ulyffe ne refpire que de revoir la fumée des foïers d'Ytaque
fa patrie. Moyfe comblé d'honneurs & de richeffes en Egypte,
s'expofe à mille calamitez pour aller dans la terre de fes Peres
qu'il n'avoit jamais vûë & qu'il ne devoit jamais voir; ses peu-
ples eurent encore moins de fatisfaction dans une terre étrange-
re, lors qu'étant affis fur les fleuves de Babylone, qui font felon
faint Augustin, la figure des chofes paffageres, ils fufpendoient
leurs inftrumens aux Saulles, dont le bois eft tendre & fragile,
ne penfant qu'à leur chere Sion: Quomodo cantabimus Canticum
Domini in terra aliena. Quelque injuftice & quelque chagrin
qu'on ait reffenti, la patrie eft une mere qu'on ne peut ceffer
d'aimer. Ainfi Ariftide & Phocion à Athenes, Epaminondas à
Thebes, Camille & Caton à Rome, ont facrifié leurs propres
reffentimens pour l'utilité de leur païs. Quoique l'amour de la
patrie ne puifle être détaché du cœur de l'homme, & que cha-
cun fe croye penetré du même amour; il ne laiffe pas d'être al-
teré par les illufions de l'ambition, de l'amour propre & de l'in-
terêt: l'ambition fait qu'on s'attribue les honneurs qui doivent
être communs l'amour propre, qu'on aime fa patrie à caufe de
foi & non pour l'utilité des autres, & l'interêt qu'au lieu de fe
facrifier pour sa patrie, on facrifie fa patrie même à fes propres
interêts. Ce font trois mobiles qui l'emportent fur tout, & ne
confiderent, ni les droits de la nature, ni ceux du fang, ni ceux de
la patrie: il n'en est pas de même du pur amour qui eft genereux,
fidele & defintereffé; genereux, parce qu'il n'eft
, parce qu'il n'eft pas ébranlé par
la crainte; fidele, parce qu'il n'eft pas corrompu par la faveur ;
defintereffé, parce qu'il n'a aucune vûë de récompenfe ni de
reconnoiffance, & qu'il eft prêt de préferer le bien public au
fien & à celui de fes proches: Patria propior omni cognatione, dit
Ciceron ; patria omnes fimul charitates complexa, fuivant le mê-
me Orateur. Je pourrois dire plufieurs chofes magnifiques de cet-
te Ville, dont le Sénat a eu autrefois tant d'autorité au dedans &
au dehors, & où la nature a produit de fi belles difpofitions pour
les arts & pour les fciences, & même pour la vertu qui font fi
fort diftinguer ailleurs les Beauvaifins, lesquels semblables aux
élemens ont moins d'action dans leur propre centre. Je dirai feu-
lement qu'il ne nous refte que la devife de cette ancienne ferme-
té qui nous unifloit pour le bien de la patrie; depuis que les ref-
pects humains, la crainte du mal, les liaisons d'interêts, & tant

de devoirs mutuels ont fait négliger la cause commune, & rendu politiques par neceffité ceux qui y avoient le moins d'inclina

tion.

Vous devez neanmoins avoir beaucoup d'indulgence pour ceux qui font réduits à la malheureufe neceffité, de ne pouvoir faire le bien qu'ils voudroient, mais plûtôt de faire le mal qu'ils ne voudroient pas ; lequel à la difference de celui dont parle l'Apôtre, ne laiffe pas d'être imputé à justice, étant destiné par les ordres fecrets de la providence.

Ce qui doit relever nôtre efperance, eft que nous avons un Maître digne des premieres places, & toûjours au deffus de fes emplois ; des pairs prudens, vigilants & éclairez dont le premier, &c. L'interruption m'a fait perdre l'ordre, & ce que j'avois à dire de chacun en particulier. Je dirai en general, qu'ils obfervent tous beaucoup d'ordre pour la distribution des Charges pupliques, & qu'ils font remplis de tres-bonnes intentions, pour faire refleurir nôtre Sparte; & cependant quelque abdication que je faffe des fonctions publiques, en quelque lieu que je cherche mon falut dans la retraite ; je ferai tous mes efforts pendant ma folitude pour fervir ma patrie, du cœur, de la langue & de la plume.

Difcours prononcé le 19. Decembre 1712. en la Commune de
Beauvais, par le Maire, nommé par les Officiers
du Préfidial.

MESSIEURS,

par

En cette Augufte céremonie, où ceux ausquels j'ai l'hon- Le même. neur de fucceder, fe font tous diftingué les uns par des traits d'une éloquence naturelle, d'autres par des chef-d'œuvres de l'art, joint à la nature, d'autres des effufions du coeur pour la patrie, d'autres enfin par des gémiffemens dans les maux prefents; puis-je avec bienséance me borner à un ferment muet & à des reflexions interieures, en prefence de tant d'illuftres & habiles Auditeurs que la curiofité, le hazard ou la foule ont attirez en ce lieu, & que je dois tâcher de contenter aujourd'hui au moins IIiii iij

par des paroles, fi je ne puis pas dans la fuite répondre à leur attente par des effets. Heureux les temps où ceux qui avoient été élevez à cet emploi par vos fuffrages, fe prefentoient devant vous avec confiance, que vous ne vous repentiriez pas fi-tôt de vôtre choix. Mais pour nous, qui par un effet du malheur des tems ou plûtôt par des refforts inconnus de la providence, occupons une place qui n'a jamais été tenuë que de vos biensfaits, quoique Concitoïens engagez par la même inclination naturelle pour la patrie, également fenfibles à vos maux dont nous partons une partie dans le cœur, toûjours prêts à vous remettre un dépôt que nous n'avons eu intention que de vous conferver: Nous ne pouvons efperer les mêmes accueils dans l'entrée, la même indulgence dans l'exercice, ni les mêmes applaudiffemens dans la fortie; & quand on ne nous donneroit que des fujets pour lefquels vous euffiez été portez vous-mêmes par inclination, tirez du fein même de la Mairie, le choix deviendroit odieux à quelques-uns du moment qu'il feroit involontaire à leur égard. Mais enfin, dégagez de toutes les illufions de l'amour propre & de l'interêt; perfuadez que les changemens n'arrivent dans les gouvernemens que par la permiffion de Dieu, qui n'a jamais ceffé de conduire fon peuple en quelque état qu'il ait été, fous les Prophètes, fous les Juges, fous les Rois ou dans la captivité, nous devons tous nous réunir d'un même cœur & d'un même ef prit, pour conferver les débris de l'autorité de cette Commune, & vous faire recouvrer le droit d'élection ; afin que l'autorité étant donnée par vous-mêmes, fur vous-mêmes, vous puiffiez efperer de revoir fous le Soleil des images vivantes de ces anciennes vertus dans ceux d'entre-vous, qui à l'exemple des Catons nez pour les autres, dirigent toutes leurs actions au bien commun, fans aucune vue d'interêt ni même de fatisfaction particuliere, dont l'ombre feule imprimant l'amour & le refpect, peut rendre J'obéiffance plus facile & le fardeau plus leger.

C'est l'union qui avoit autrefois fi fort élevé cette Commune, qui lui avoit acquis une fi grande autorité, & qui lui avoit fait meriter de fi beaux privileges, qu'elle rifqua de perdre du tems de Cefar pour ne pas manquer à la fidelité quelle avoit promise aux autres Villes, & que les habitans n'ont perdue depuis que par leurs propres propres divifions, & par la préference de l'interêt parriculier à celui du public. C'eft auffi l'union qui adoucit les maux de la guerre du dehors, & au contraire la defunion rend la paix

[ocr errors]

même beaucoup plus dangereufe & plus criminelle, par les fuites D de l'oifiveté, l'effort des paffions, le mépris des Loix, l'oubli du Seigneur, les faux rapports, l'oppreffion des foibles & mille fortes de vexations que commettent ceux qui accoûtumez au mal, voudroient faire au dedans ce qu'ils ne peuvent plus au dehors. Ce qui a fait dire au Prophete, que les traits de la paix font fr amers. In pace amaritudo mea: On fçait auffi que les noms de paix & d'union, font des termes fpecieux dont fe fervent ceux qui cherchent à s'attribuer ce qui eft commun, & qui troublent tout par leurs contradictions; à l'égard defquels le Roi Prophete reconnoît Dieu lui avoit donné de la force pour précipiter Feurs Confeils & divifer leurs langues : Qui me falvum fecifti à pufillanimitate Spiritus & tempeftate, præcipita, divide linguas corum, quoniam vidi contradictionem in Civitate.

par

que

Graces au Ciel, nous avons tout fujet d'efperer de revoir la paix interieure dans cette Ville lorfque nous ferons plus en état, la fin de plusieurs maux de reconnoître les effets falutaires de la Commutation de cet impôt des malheureux incompatible, avec la paix & la justice qui nous a été ménagée par le credit de deux puiffans protecteurs, l'un fon Eminence, ce genie fuperieur qui a honoré tant de grands emplois, & la pourpre même, de qui on peut dire avec juftice qu'il a aimé la paix au milieu de ceux qui la haïffoient; & l'autre l'illuftre Gouverneur & Capitaine de cette Ville, dont le deüil ne doit pas être borné par cours d'une année, ce Heros en qui je ne fçai fi je dois admirer davantage ou l'amour de la paix & de la juftice, ou les exploits de guerre oblige de parler dans la Tribune de la Ville de la patrie, qui doit retentir en toutes occafions de fes éloges, & de nos reconnoissances: Juftitiæne prius mirer belline labores, nos verò hæc patriam grati referemus in urbem.

le

En cette année où nous fouffrirons encore les maux de la guerre du dehors, au moins par contrecoup ou par reffentiment, & en même tems ceux de la paix ; je me trouve par un malheureux droit d'ancienneté dans une fituation où je ne puis me délivrer impunément, ni fans être accufé de timidité d'un emploi qui a toûjours été l'écuëil ou l'ombrage des plus grands merites, un miroir qui découvre jufqu'au moindre défaut, & un but aux traits de la malignité & de la haine publique; mais fans toutes ces reflexions qui ne font plus de faifon, finon pour la critique, je me fuis abandonné à la confiance que j'ai dans les lumieres & le

Virgil.

Eneid.

zele de Meffieurs du Corps de Ville, accoûtumez par un long exercice aux Actes de la juftice diftributive, avec une attention à laquelle il n'échappe rien, qui mettent toute leur gloire & leur confolation dans le foulagement du peuple, & en qui la mifericorde d'accord avec la justice ne permet pas que l'on précipite la chûte du rofeau le plus ébranlé. le pou

Prévenu par des fecours auffi puiffans; fi je n'ai pas voir de faire le bien, je tâcherai de concourir avec eux pour détourner ou diminuër le mal qui ne se peut éviter,

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »