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re. S'il voit que le Prince s'amoliffe dans la volupté, & qu'air
Favori fournisse à fes plaisirs pour ufurper l'autorité fouveraine
il lui ouvre les yeux, lui fait connoître fes interests, & par des
paroles pleines de feu, il remuë & anime fon cœur, il lui fait
prendre le gouvernement de fes Etats, & même le commande-
ment de fes Armées.

Il parle d'une autre maniere à un Maître, qui eft d'une humeur oppofée. S'il eft trop ardent, & qu'il veuille continuër une guerre, dont le fuccés elt à craindre, il tâche de moderer fon ambition. Il lui reprefente que fon Epargne eft épuifée, & qu'il eft necessaire que fes Troupes aïent le temps de refpirer aprés une infinité de fatigues. Il lui fait voir, que la prudence veut, que l'on s'affermiffe par la paix dans les conquêtes que l'on a faites, au lieu de s'expofer à les perdre en entreprenant d'en faire de nouvelles à contre-tems.

Si un homme éloquent eft envoïé pour quelque négociation, L'Ambafla- quel fervice ne rendra-t'il point à fon Roi? Il fera ou rompra des ligues, il unira ou divifera, felon que le demanderont les interefts de fon Maître.

deur.

Un Pape voïant approcher un Cardinal éloquent, qui alloit parler pour un de nos Rois, Dieu veüille infpirer l'homme que je vois, s'écria-t'il, car il eft affuré de me perfuader ce qu'il lui plaira.

pour

Alexandre que toute la Terre craignoit, craignit lui-même l'Eloquence d'un Député de Lampfaque. Cette Ville aïant trahi un Conquerant fi redoutable, ne trouva rien d'affez fort oppofer à fes Armes. Elle crut qu'il n'y avoit que l'Eloquence d'Anaximene, qui la pût mettre à couvert du reffentiment d'Alexandre. Elle envoïa ce Citoïen pour le fléchir, & ce fut avec chagrin qu'Alexandre apprit qu'Anaximene venoit demander pardon pour Lampfaque. Il étoit fi irrité qu'il ne voulut pas s'exposer à être touché de pitié ; & comme il connoiffoit & apprehendoit l'efprit de cet Envoïé, il fe précautionna en jurant par les Dieux des Grecs qu'il feroit le contraire de ce que lui demanderoit Anaximene. Ce Deputé ne fut pas plutôt au Camp des Macedoniens, que les principaux Officiers lui confeillerent de ne point parler de l'affaire dont il étoit chargé, & l'avertirent même du ferment qu'avoit fait le Roi. Anaximene ne laiffa pas de demander Audience, & l'ayant obtenuë, il se jetta aux pieds d'Alexandre, exagera le crime de fa Patrie, & conjura le Roi de détruire cette Ville ingrate pour donner de la terreur par cet exemple, & retenir dans fon obéïffance les Peuples qui

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pourroient être dans la difpofition d'en fortir.

Un difcours fi peu attendu furprit Alexandre; mais ce Prince aïant compris avec plaifir le tour d'adresse d'Anaximene, lui ten. dit la main en fouriant. Vous avez vaincu, lui dit-t'il, toutes les précautions que l'on peut prendre contre vous font inutiles; Je pardonne à Lampfaque, & j'augmenterai même les Privileges qu'elle avoit avant fa desertion.

Une veritable Eloquence defarme le reffentiment d'un Conquerant irrité, elle en obtient plus qu'elle n'ofoit efperer. Ce n'est pas toûjours le bel arrangement des mots, ce ne font pas toû jours les expreffions les plus fortes, ou les plus fleuries, qui font le plus d'effet. Il faut être promt à prendre fon parti, le prendre felon que les occafions changent, & tâcher fur tout de penetrer dans quelle affiette eft l'efprit de la perfonne à qui on a des graces à demander. Si Anaximene eût voulu prononcer devant Alexandre la Harangue, qu'apparemment il avoit préparée, s'il avoit fait fcrupule de parler contre fon Païs, & de ne pas fuivre la commiflion qu'on lui avoit donnée, il auroit eu la douleur de voir que fon appareil d'Eloquence, que fes figures de Rhetorique n'auroient pas empêché la deftruction de Lampfaque.

L'Officier

Si l'on envisage les chofes fans reflexion, on s'imaginera que la profeffion des Armes eft celle qui demande le moins d'Eloquen- d'Arméeë ce. Il femble qu'elle ne veut que l'action, & que le tumulte qui en eft infeparable ne permet non plus de parler que d'entendre. Mais fi les cris, fi le bruit des tambours & des trompettes échauffent & encouragent, pourquoi une Eloquence pleine de vigueur & de raison fera-t'elle inutile ?

Nous voïons dans l'Hiftoire une infinité de Harangues militaires ; & quand il feroit vrai que les Generaux ne les auroient pas prononcées de la maniere qu'elles font écrites, on peut afsurer, que les Capitaines éloquens excitent quand ils exhortent. Ils reprefentent aux vieux Corps la réputation qu'ils ont acquife, ils les font fouvenir des occafions où ils se font fignalez ; ils picquent d'une genereuse émulation les Troupes qui commencent à fervir, & felon la difference des humeurs, ils promettent du butin, ou de la gloire. S'ils s'apperçoivent que l'efperance ne fait pas tout l'effet qu'ils fouhaiteroient, ils ajoutent une paffion plus forte; c'eft la crainte. Ils font apprehender à leurs Troupes la perte de ce qu'elles ont de plus cher & de plus précieux, fi elles viennent à perdre la bataille qu'elles vont donner, ou fi elles laiffent prendre la Ville qu'elles défendent. Ils leur peignent en peu de mots le

danger où font leurs femmes, & leurs enfans. Ils excitent dans leur ame l'horreur que donne la profanation des Temples, & de ce qu'il y a de plus facré dans la Religion.

Mais cette Eloquence doit être ferrée & vigoureuse ; elle doit méprifer les fleurs, & n'avoir que de la fierté.

Sans nous trop étendre, difons qu'il n'y a point de profeffion, qui ne puifle tirer de grands fecours de l'Eloquence. Pour en demeurer d'accord, on n'auroit qu'à les parcourir toutes, depuis les Dignitez les plus élevées jusqu'à la plus basse condition des hommes. Nous le pouvons remarquer à tout moment dans le commerce ordinaire de la vie. Peu de perfonnes vendent, ou achetent fans mêler dans leurs marchez quelque traits d'Eloquence pour perfuader. Il n'y a pas même jusqu'aux miserables, qui ne fubfiftent que de ce qu'on leur donne par compaffion, qui ne demandent d'une maniere capable d'exciter à la pitié, & d'attirer des liberalitez. Mais paffons de cette matiere à d'autres sujets, où l'Eloquence paroiffe fleurie & pleine d'agrémens. Il faut qu'elle fe pare & qu'elle faffe briller fa joïe à la naissance d'un Prince, ou à fon mariage, à la reception d'un Gouverneur, où au retour d'un General d'Armée, qui revient victorieux de la Guerre.

Pour l'Oraifon Funebre, il eft aifé de juger que fon ftile doit être bien different. Nous le ferons voir quand nous parlerons des occafions, où ces divers genres d'Eloquence peuvent paroître, que nous accompagnerons ces differens traitez de quelques Exemples qui y pourront convenir.

&

Ce n'est pas que je fois affez habile pour donner des préceptes d'Eloquence; & quand même j'en aurois la capacité, peut-être ne ferois-je pas d'humeur de le faire. Ceux qui me connoiffent, le peuvent témoigner. Ils ne fe font jamais apperçûs que dans le commerce de la vie, ou dans mes Ouvrages, j'euffe quelque chofe qui approchât de ce qu'on appelle Dogme. Je n'ai jamais fait le Docteur, Dieu merci, & quoique je ne fois pas jeune, je ferois bien fâché que ma converfation fentît le chagrin d'un âge avancé. Si je me trouve engagé à donner des maximes d'Eloquence, c'est un meilleur fonds que le mien, qui me les fournit, J'ai lû quelques Anciens & quelques Modernes fur le fujet que je traite ; & j'avoûrai, fi vous voulez, que c'est d'eux que je tire tout ce qu'il peut y avoir de bon dans ce livre. Peut-être, me direz-vous, que le fecours de ces grands Hommes ne fuffit pas, & qu'il faut être Eloquent pour donner un traité d'Eloquence. Je ne comprens pas en quoi confifte cette neceffité, quand je

vois une infinité de Curieux qui parlent de tableaux fans être Peintres.

Voilà une digreffion que l'on pourra trouver longue & mal placée ; j'avoue qu'elle auroit été mieux dans une Préface, & je pas manqué de l'y mettre, fi j'étois perfuadé que l'on fut exact à lire ces pieces détachées.

n'aurois

CHAPITRE II

Quelles qualitez naturelles ou acquifes doit avoir un homme qui afpire à l'Eloquence.

OYONS de quelle maniere on peut acquerir cette Eloquence, que l'on nous peint fi charmante, & fi absoluë fur les Efprits. Il n'eft point aifé de la poffeder dans toute fa perfection, & de former des Orateurs tels que la Grece & l'Italie les ont produits autrefois. Difons neanmoins, fans trop donner à nôtre Siécle & à nôtre Nation, que nous entendons tous les jours dans la Chaire & dans le Barreau, des Hommes dont Athenes & Rome auroient admiré l'érudition & la politeffe. Mais quels avantages ne faut-il pas avoir pour arriver où ils font ? Il eft neceffaire que le Ciel s'en mêle, & que l'on apporte en naiffant ces difpofitions heureuses, que les Maîtres defirent à l'Homme qu'ils veulent rendre éloquent. Il y avoit des Republiques en Grèce, où l'on n'entreprenoit jamais d'inftruire les enfans qu'aprés avoir connu leurs inclinations naturelles. On les promenoit chez differens Ouvriers, on remarquoit où ils s'arrétoient le plus fouvent, & de quels inftrumens ils fe faififfoient le plûtôt & avec le plus de plaifir. Quand on avoit affez étudié leur penchant, on ne manquoit pas de les élever dans la Science, ou dans l'Art qui leur convenoit. C'eft ainfi que l'on peut former de grands Hommes, on va bien vîte & bien loin, lorfque la nature & l'éducation marchent de concert.

Qu'un homme ne prétende donc pas à l'Eloquence, s'il n'est venu au Monde avec de grands dons; fi fon Etoile ne l'a regardé favorablement ; fi elle ne lui a donné avec profufion des graces qu'elle ne départ d'ordinaire qu'avec épargne. S'il n'a un efprit capable d'une merveilleufe diverfité; fi cet efprit n'est doux, agreable & infinuant en certaines occafions; s'il ne montre en d'autres de l'élevation & de la force, de la penetration & de l'é

tenduë. Il doit être vif, & même il y a des rencontres, où il faut que fon feu paroiffe tenir de l'infpiration.

Sa memoire doit être heureuse, fidelle & tenace, s'il eft permis de fe fervir de ce mot, elle doit conferver les belles chofes qu'il lui a confiées, afin qu'elle puiffe les lui fournir quand il en aura befoin. Il faut que fon imagination foit vive & noble, qu'elle fe forme de belles idées, qu'elle conçoive bien celles qu'on lui donne, & qu'enfuite elle les fçache peindre & reprefenter aux autres. Cependant ces dons ne produiroient pas tout l'effet, que l'on s'en pourroit promettre, s'ils n'étoient foutenus d'un folide jugement, & d'un difcernement delicat.

Comme un Homme éloquent eft moins fait pour la folitude que pour parler devant les Grands, & dans des Assemblées nombreufes, il ne fuffit pas qu'il poffede les qualitez que nous venons de dire. Il eft neceffaire qu'il ait les dons du corps joints à ceux de l'efprit; la belle taille & la bonne mine donnent les premieres impreffions. Elles font les premieres à plaire; elles difpofent les Auditeurs en faveur de l'Homme qui va parler. Il eft bon cet Homme ait les yeux pleins d'efprit, que le fon de la voix foit doux & infinuant, pour defcendre de l'oreille au cœur ; mais il faut auffi que cette voix foit forte, qu'elle fournifle aux figures ve→ hementes qu'elle foit capable de tonner & de faire éclater ces foudres, › que l'ancienne Grece attribuoit à fon Pericle.

que

La main de nôtre Orateur doit être éloquente, elle doit parler & fe faire entendre fans le fecours de la voix.

Celui qui poffedeun naturel fi heureux, peut afpirer à dominer un jour par la parole, pourvû qu'une application affiduë ajoûte aux talens qu'il a, les préceptes de l'art & un grand fonds de science.

foit une

C'est l'art qui acheve & perfectionne ce que la nature a commencé ; il polit ce qu'elle a laiffé de rude ; il produit en nous ce la culture fait dans un champ. Quelque fertile que terre, elle ne pouffe que des plantes inutiles, fi on la laiffe en friche, & que l'on néglige de labourer & de femer.

que

D'ailleurs, la nature feule n'eft pas toujours un guide fort für; fi nous ne fuivons que fes lumieres, nous n'irons pas toujours où nous aurions intention d'aller; nous ferions de faufles démar ches, & ne nous égarerions que trop fouvent. C'eft pourquoi il faut avoir recours à l'art, c'eft lui qui nous montre le che min qu'il faut prendre ; il nous fait remarquer les fentiers qui nous en pourroient détourner, & nous faifant entrer dans la rou

te

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