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n'ont point d'autre Pere que le Roi, ni d'autres enfans que le peuple; qu'ils foient fourds & aveugles ; qu'ils ne reconnoissent ni parens ni amis ; qu'ils ne manquent jamais de quitter à la porte de ce Sanctuaire l'amour qui les pourroit defarmer, & la haine qui feroit capable de les aigrir.

Mais s'il étoit impoffible qu'un Juge s'affranchît de ses pasfions; il vaudroit encore mieux que l'émulation regnât dans une Compagnie, & qu'elle y fit tenir les Magiftrats fur leurs gardes, que fi une trop étroite liaifon d'amitié ou d'interêt les faifoit agir avec trop de negligence, ou avec une complaifance trop aveugle. A joûtons neanmoins une diftinction, fi nous voulons raifonner plus jufte; difons que pour fçavoir précisément fi l'on tire plus d'avantage de la divifion que de l'union, il eft neceffaire d'examiner le genie de la nation, le gouvernement de l'Etat, & les neceffitez des tems. Aprés avoir confideré ces circonftances, nous tomberons d'accord que l'amour & la haine font prefqu'également dangereuses, & que fi l'on ne les peut bannir d'un Senat, il faut prendre des mefures pour les concilier ensemble,

Auffi voyons-nous que nos Rois les ont judicieufement ménagées en mettant des Dignitez differentes dans un même Corps de Magiftrats. Ils ont fait voir par une fi fage conduite que l'u nion doit être dans le cœur des Juges, & la divifion dans leurs emplois ; que dans leurs fonctions diverfes ils doivent avoir les mêmes intentions, & agir de concert pour la même équité. Il eft bon que ces Dignitez diftinguées en leurs Offices fe contrôlent l'une l'autre, & que par le contrepoids d'une oppofition mu tuelle ils balancent les efprits, & les rallient enfuite pour un mê me but; afin que chacun travaille à conferver la partie de la Juftice qui lui a été confiée.

Ceux qui occupent les premiers Rangs, & qui préfident, doivent être élevez dans une plus grande autorité: il faut même qu'ils portent des marques qui les diftinguent des autres membres, afin qu'ils fe puiffent attirer plus de refpect dans un Corps dont ils font les Chefs. Qu'ils fe fouviennent qu'ils font obligez de tenir ferme le timon qui eft entre leurs mains, & qu'ils font en quelque façon refponfables des defordres qui peuvent arriver. Cependant comme le pouvoir éclatant dont ils joüiffent peut éblouir & intimider, qu'il est même capable d'entraîner toute l'autorité du Senat ; il eft neceffaire qu'il foit contrebalancé par de nombre des Magiftrats qui fuivent, & qui font la plus grande partie de l'Affemblée. Enfin il faut pour l'avantage de ce

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Corps que ceux qui font inferieurs en Dignité, foient plus forts en nombre, & qu'ils faffent un parfait équilibre.

Ce n'est pas affez que les emplois des Juges foient divifez, si un troifiéme Office ne les follicite & ne les preffe. La Republique Romaine qui a fervi de modele à tous les Etats, ne s'étoit pas contenté d'établir la Dignité des Senateurs & la puiffance des Confuls, elle avoit introduit la Cenfure dans le Senat, afin qu'elle fervêt à purger ce grand Corps, & à purifier tous ses membres. Elle étoit obligée à fe declarer ennemie des vices, & fi elle avoit manqué d'en pourfuivre la punition, on lui auroit imputé les defordres qu'elle auroit diffimulez. C'est par ce mélange temperé qu'un peuple fi fage maintint dans le Senat la fortune de Rome auffi long-tems que ces Puiffances oppofées regnerent également, fans que l'une entreprît fur l'autre ; & comme l'Ordonnance a confié à nos Charges l'exercice rigoureux de ce dernier Office, nous requerons qu'il foit dit que les Mercuriales feront rétablies.

Mais ce feroit en vain que la Juftice entreprendroit de regler les defordres de la focieté civile, fi elle n'étoit foûtenuë par l'autorité & par la force. Les Juges ne pourroient exercer cette importante vertu, s'ils ne fe trouvoient en état de contraindre à

tante & de forcer la rebellion. Ainfi ni la neceffité, ni la

bienséance ne permettant pas qu'un Magiftrat foit le Ministre de fon autorité, ni l'executeur de fes propres Ordonnances, on a fagement déchargé les Juges d'un emploi qui feroit indigne de leur Majefté, & l'on a confié l'execution de leurs Commandemens à des Officiers qui doivent les fervir exactement, & se tenir inféparablement attachez à leur Puiffance.

On peut regarder ces Miniftres comme les bras de l'autorité dss Juges, & l'on peut dire qu'ils font d'une fi abfoluë neceffité qu'Ulpian a douté fi un Préteur Romain pouvoit, fans afsistance de les Licteurs, exercer une Jurifdiction dont il avoit dépouillé les apparences.

Quand on fait aux Huiffiers l'honneur de les mettre à la fuite d'un Senat, on trouve un milieu qui les unit à ce Corps illuftre, & qui les en fepare en même tems. On les place à la porte du Sanctuaire de la Justice pour diftinguer leur miniftere de l'autorité du Parlement, pour montrer qu'on ne les reçoit dans une Famille fi confiderable que comme des Domestiques fideles qui font destinez à porter les ordres de leurs Maîtres. C'est pourquoi ils doivent attacher leurs fervices aux volontez de la Cour ;

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L. 8. ff. de

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leur foumiffion doit être aveugle ; ils ne doivent afpirer qu'à la gloire d'une parfaite obéïffance; afin que l'execution étant jointe au Commandement, toutes les fonctions de la Juftice foient parfaitement accomplies.

La politique n'a formé le Corps de la focieté civile que fur les proportions du corps humain. Elle a diftingué l'Empire des Magiftrats du miniftere des Officiers qui fervent leur Jurifdiction, comme nous voyons que la raison eft diftinguée des muscles, & des membres qui font destinez à executer les ordres. Le corps qui ne contrôle jamais la conduite de l'entendement, apprend aux Huiffiers à executer fans examiner, s'ils ne veulent trahir leur devoir, & troubler l'économie de la Juftice. Leur connivence ne peut fans crime favorifer la chicane ; & s'ils entreprenoient d'interpréter les Arrêts qu'on leur confie, s'ils vouloient entrer en connoiffance de cause, & accommoder leur devoir à leur interêt ou à leurs paffions, la Cour feroit contrainte de pourvoir à ce defordre, & de choisir des Miniftres plus fideles& plus vigilans. Mais nous efperons qu'ils ne tomberont point dans ces fautes, & que par leurs fervices & leurs refpects ils obligeront la Cour à leur continuer fa protection.

Ajoûtons quelque chofe qui puiffe regarder les Officiers des Sieges inferieurs ; & difons que fi la haine & la divifion troublent l'harmonie de la Justice, la connivence & l'amitié ne l'alterent pas moins d'ordinaire. L'union trop étroite des Juges qui fe trouvent affociez dans une autorité commune, apporte des incommoditez d'autant plus dangereufes, qu'elles paroiffent pleines de civilité & d'innocence, & que la Justice qui préfide à la Paix femble autorifer cette union, & pancher à la complaifance. D'ailleurs l'égalité des Charges, l'exercice ordinaire d'une même profeffion, & l'interêt du fang venant à fe joindre, ne porte que trop fouvent les Officiers d'un Corps à cabaler, & à fe liguer entr'eux.

Il eft difficile que l'affection qui unit deux amis leur donne des penfées differentes, & qu'elle divife leurs opinions. On peut dire même que l'amitié doit paroître plus redoutable à la fermeté d'un Magiftrat que la haine & la force. En effet, l'ame fe roidit contre la violence & les contrarietez; elle fait tous fes efforts pour repouffer les injures & l'oppreffion dont elle fe voit menacée: au lieu que l'amitié furprend & amollit le courage, elle féduit la raifon & defarme la feveritë.

Il y a des perfonnes qui accufent leurs amis d'infidelité, quand

ils refusent d'être injuftes à leur confideration. Si l'un refuse de faire ce que l'on a déja fait pour lui dans une autre occafion on ne manque pas de lui reprocher fon changement, fes fcrupules, & sa foibleffe. On appelle farouche une probité que l'on ne trouve pas commode; on redemande les faveurs, & l'on preffe d'acquiter une foi que l'on regardoit comme engagée dans un commerce d'opinions, & dans une focieté dangereuse pour les gens de bien.

Nous voyons d'ordinaire que l'envie ne paffe pas certaines bornes que lui prescrivent l'honneur & la bienséance; fon ardeur, & fon obstination ne lui font pas embraffer l'erreur ouvertement; & il eft rare que la haine fe rende volontairement miniftre de la paffion d'un autre. Mais il n'en eft pas de même de l'amitié, elle paroît timide & imparfaite, fi elle n'eft aveugle & exceffive; il femble que la moderation lui faffe tort, & que les faveurs que l'on reçoit d'elles foient froides & foibles, fi elles ne vont jufques à l'injuftice & au crime. Enfin, comme un coupable peut employer la corruption & la fauffeté pour garantir sa vie, combien de gens ne s'imaginent-ils pas que tout eft permis pour fauver un ami, que l'on peut pallier une information, bleffer fa confcience, & choquer les Loix.

S'il arrivoit qu'un Juge defcendît au rang des accusez, & qu'il difputât fa vie & fa fortune pardevant fes Gonfreres, ce feroit alors que la faveur fe réveilleroit & s'échaufferoit. Sa qualité fortifieroit fon droit, & fon nom feul appuyeroit fes raifons. Son autorité le representeroit encore en fa premiere place: elle le feroit encore opiner, & le Corps intereffé dans fa difgrace ne retrancheroit ce membre qu'avec regret. La haine & l'envie que l'on auroit pû avoir pour un Magiftrat, feroient fléchies par la mifere d'un coupable, la compagnie croiroit juger fon honneur avec le criminel, & difficilement fe porteroit-elle à condamner un homme qu'elle auroit vû affis au même Tribunal où elle prononceroit. Si elle trouvoit les Loix contraires à fes intentions, elle ne manqueroit pas de chercher des détours, & de donner des interprétations favorables, elle oppoferoit la douceur de l'Equité à la severité du Droit.

Ainfi nos Rois ayant prévû ces inconveniens d'une connivence prefque inévitable, ont obligé les Juges inferieurs à fuivre la rigueur des Ordonnances fans s'en départir, & ont réservé les temperamens de douceur à la confcience & à l'autorité dés Parlemens.

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Si les Loix épargnent le fang autant qu'il eft poffible, & que les Juges ne frappent que l'entendement & à toute extrémité la tête des coupables; il n'eft pas permis neanmoins d'éternifer les procés, & de prolonger les procedures jufques au-de-là de la vie d'un criminel. La Jurifprudence qui bannit la cruauté & la précipitation, ne favorife point le defordre, & ne prétend pas établir l'impunité. La protection qu'elle donne à l'innocence ne doit pas fervir de prétexte aux Juges pour trahir la feureté publique, & abolir les fupplices. Lorfqu'un crime eft affez noir pour contraindre à facrifier le criminel, les moyens les plus ordinaires qu'employe la connivence pour tromper la Justice, font de chercher des détours, & de faciliter des brais pour divertir les preuves, de fournir des reproches de témoins, & dequoi obfcurcir la verité par l'embarras de la procedure; de forte que l'on ne puiffe convaincre un accufé s'il eft impoffible de l'abfoudre.

Ces inconveniens arrivent quelquefois dans les Bailliages, & font voir que l'amitié eft plus dangereufe que la haine. En effet, la Cour ne peut enfuite fuppléer des preuves éludées, ni châtier des crimes qu'elle ne connoît pas. Mais fi l'animofité porte les Juges à une feverité exceffive, le Parlement peut adoucir cette rigueur, & corriger l'injuftice d'une Sentence.

HARANGUE D'UN PREMIER PRESIDENT qui pendant des miferes publiques remontre à fon Souverain le préjudice que les Partisans apportent à un Etat.

SIRE,

Entre les avantages qui élevent les Souverains au deffus des autres hommes, & qui les rendent les plus vifibles images de la Divinité ; l'un des plus confiderables eft qu'ils font grace lors même qu'ils ne donnent que ce que l'on a merité. S'ils exercent cette partie de la Juftice qu'ils se font réservée pour distribuer les récompenfes, on ne laiffe pas de regarder leurs bienfaits comme des faveurs, quelque digue que l'on puiffe être de leurs liberalitez. Ainfi quoique le don que veint de faire Vôtre Majesté soit une de ces gratifications que l'équité & l'interêt

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