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fon contraire, c'eft-à-dire, que par vôtre retour à l'Eglife que vous avez quittée, d'autant plus qu'elle eft la veritable Eglife. Vous y avez été unis pendant plus de quinze cens ans, & il est certain qu'elle eft auffi vifiblement, qu'inconteftablement cette Eglife contre laquelle le Sauveur du Monde a promis que les portes de l'Enfer ne prévaudront jamais. Nous en avons plufieurs preuves fans contredit, mais entr'autres le glorieux triomphe qu'elle a remporté de tant de differentes Sectes, qui l'ayant fi violemment attaquée dans tous les fiecles, n'ont fervi qu'à fignaler davantage leur confufion, & qu'à rendre plus remarquable l'effet de cette promeffe de JESUS-CHRIST à fon Epoufe. A quoi, MESSIEUR, pour ménager le tems qui nous reste, j'ajoûterai cette miraculeufe & conftante fucceffion de fes Evèques, laquelle, felon Tertullien, S. Auguftin, & les autres Peres, n'eft pas moins une marque autentique de fa verité, que le défaut de cette fucceffion a toujours été dans fes rivales une preuve convainquante de leur fauffeté. Je ne m'étendrai donc pas davantage, MESSIEURS, fur ces grandes veritez, puifque je ne doute point que vous n'en conceviez l'énergie; & cela étant, il ne me refte plus qu'à vous fouhaiter, comme je fais de tout mon coeur, la grace d'y être fenfibles, ainfi qu'à ce qui eft contenu plus au long dans l'Avis Paftoral que l'Eglife Gallicane vous adreffe, & dont je viens de vous faire la lecture.

HARANGUE, QUE LE COURAGE N'EST PAS moins necessaire à un Fuge que la prudence.

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Ous fçavez, MESSIEURS, que la Juftice renferme en elle-même toutes les vertus; & comme il eft impoffible qu'un homme feul les poffede toutes parfaitement, nous n'avons encore vû qu'en idée ce Juge accompli, cet homme de bien qui Cujac. ad feroit fi neceffaire pour terminer les differends que l'on a Vir Affric. Init. bonus non eft judex, non Jurifconfultus, non Orator, fed æquitatis

tract. 6.

veluti quidam Sacerdos & Arbiter, qui folo intellectu comprehenditur. C'eft pourquoi on eft obligé de chercher dans une Compagnie de Magiftrats les qualitez que la nature refuse d'affembler dans un feul homme: & au lieu d'abandonner la feureté publique à la conduite d'une feule perfonne, on aime mieux la confier à la fageffe d'un Senat entier. Nous remarquons tous les jours que dans un

Corps la conference des confeils fert d'un mutuel fecours, & qu'elle peut répandre des lumieres capables de diffiper les tenebres dont la plupart des affaires demeureroient obscurcies. La force de l'un foûtient la foibleffe de l'autre, & c'est d'ordinaire par le choc d'une conteftation civile & defintereffée que la verité le trouve mieux éclaircie & plus épurée. Il faut pour un conAict fi utile, qu'il y ait des efprits differens dans une Compagnie de Juges, que la diverfité de l'âge y puiffe apporter des inclinations contraires, afin que la bile des uns & la pituite des autres faffent un jufte temperament; & que fi l'ardeur des jeunes gens peut animer les vieillards, la pefantcur & la gravité d'un âge avancé puiffent attiedir l'ardeur immoderée d'une jeunelle trop prompte & trop bouillante. Ce n'eft pas affez qu'un Juge ait une intention fidelle de rendre à chacun ce qui lui appartient, fi cette volonté n'eft éclairée par la raifon, & conduite par une folide prudence. Il ne fuffit pas non plus que cette prudence développe la confufion des affaires, il faut qu'elle foit affermie par la vigueur : Si le courage n'eft regardé que comme une temerité aveugle quand il n'eft pas accompagné de conduite, une fageffe trop timide & trop foupçonneufe ne peut paffer que pour une lâcheté, & même que pour une injuftice, quelque innocence qu'il puiffe y avoir dans l'intention. Que la prudence conduife donc le courage, & que le courage anime la prudence; que ces deux vertus s'uniffent l'une à l'autre, que les vieillards redreffent les jeunes gens, que de leur côté les jeunes gens tirent les vieillards de leur affoupiffement, & que l'age viril qui tient le milieu, tempere l'excés des uns & des autres, & concilie ces deux extremitez.

Ce n'est pas qu'une vertu extraordinaire ne puiffe corriger les imperfections de l'âge. La conftance d'un vieillard accoûtumé à vaincre la fortune eft souvent d'un grand fecours à la foibleffe, comme il arrive quelquefois que la nature donne promptement à certains hommes des ouvertures d'efprit qu'elle ne vend d'ordinaire à d'autres moins favorifez que par une longue experience. L'Histoire nous prouve que le courage & la vieilleffe ne font pas incompatibles, & que l'on peut trouver de la prudence dans la jeuneffe. On chercha autrefois la vertu Romaine dans un corps caffé d'années; le fameux Appius aveugle, & d'un âge tres - avancé, anima les jeunes gens de la Ville à préferer les dangers de la guerre au repos d'une paix honteufe, fi bien qu'il foûtint l'honneur de l'Empire, & arrêta les conquêtes d'un Roi

victorieux. Le jeune Claudius ne borna pas moins l'autorité des Tribuns, & dans une occafion importante la fageffe d'un jeune Sénateur furpaffa la prudence de tout le Senat.

J'avouë que ces exemples font rares, mais il y a une conduite que l'on peut toûjours garder. Que les nouveaux Magistrats regardent les anciens comme leurs guides & comme leurs peres; que les vieux confiderent les jeunes comme leurs freres, & comme les compagnons de leur autorité. Que les premiers apportent leur zele, que les autres reçoivent les propofitions avec douceur, & qu'ils digerent les avis, au lieu de rebuter par une austerité crop impèrieuse.

Une longue experience a fait voir que pour l'adminiftration de la Juftice la timidité est encore plus dangereufe que l'ignorance. En effet, on peut découvrir la verité à un homme dont l'efprit n'a que de mediocres lumieres; & nous voïons tous les jours que le raifonnement d'un habile Jurifconfulte éclaircit les difficultez d'une affaire, qu'il en démêle l'embarras, qu'il redresse les opinions par la fienne. n'en eft pas de même du courage quand il eft une fois abattu dans l'ame d'un Juge, difficilement le releve-t'on, & nous voïons rarement qu'un homme foit ferme par une conftance empruntée.

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L'innocence & la probité font deux bafes folides qui affermiffent le courage d'un Magiftrat, une confcience pure & exem pte de remords affure fon autorité en juftifiant fes actions ; & il elt difficile qu'il puiffe oublier ce que lui doit le Public, en fe Louvenant toujours de ce qu'il lui doit lui-même.

Ce n'est pas affez, MESSIEURS, que la constance n'abandonne jamais les Juges, il faut que le courage & la vigueur animent toûjours les Miniftres de leur autorité, & ce feroit inutilement que l'on donneroit des Arrêts s'ils n'étoient executez

enfuite.

&

Mais comme la puiffance réfide en la perfonne des Magiftrats, que leurs Miniftres n'ont fimplement qu'à fuivre leurs ordres; il femble que la fageffe qui eft neceffaire pour commander, ne le foit pas abfolument pour obéir. 11 fuffit en effet que les fervices foient accompagnez d'une vigilance vigoureufe, & d'une fidelité

inviolable.

Que les Miniftres faffent donc leur devoir, autrement la Juftice ne fera qu'une vertu defarmée & impuiffante ; elle ne pourra tenir les peuples dans la foûmiffion, ni calmer les troubles de la focieté civile. Les Loix feroient mortes fila bouche des Magi

ftraps

frats qui font les Interprétes des Loix, ne pouvoient faire valoir leur autorité, s'ils demeuroient fans force & fans courage. Rien n'eft plus contraire à la majefté d'un Juge que la timidité & la foibleffe; la crainte n'a pas plûtôt faifi un Magiftrat, qu'elle l'affujettit à l'infolence du peuple, & foûmet des Loix impuiflantes à la rebellion & à l'impunité.

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L. II. de

Auffi pouvons-nous dire que ce n'eft pas fans raifon que le Jurifconfulte affure que, Prætor quoque jus reddere dicitur etiam cum iniquè decernit. Son imprudence ne l'empêche pas de faire une Sen- Just. & Jur. tence; mais la crainte qui ne lui permet pas de prononcer, trahit fon devoir, le dégrade de fon autorité, & femble le dépoüiller de fa Charge. L'incapacité d'un Juge inferieur est aisément corrigée par la fcience d'un Senat ; fes erreurs font redreffées, & fes jugemens rectifiez: De forte qu'il est certain que fon ignorance porte moins de préjudice à l'interêt des Parties, qu'elle ne blesse propre confcience & fa réputation, pourvû que fa fidelité reprefente les differends tout entiers aux Magiftrats fuperieurs. Mais quand la crainte lui fait diffimuler la verité, un Sénat peutil penetrer dans cette obfcurité; & malgré les bonnes intentions qu'il peut avoir, n'eft-il pas contraint de faire une injustice fur un fait déguifé? Quoi que la politique ait confulté l'instinct & la raifon des hommes pour compofer des Loix, & que la Jurif prudence ait fondé le repos de la focieté civile fur ces principes invariables; nous ne laiffons pas de voir que cette fageffe n'a pu digerer & réduire fous ces regles-là toutes les actions des hommes, puifqu'elles font incertaines & prefqu'infinies. Ainfi on les abandonne à la difcretion des Juges, & l'on confie le fait à leur confcience: Fakti quidem quæftio in poteftate Judicantis, Juris autem auctoritas non eft.

Comme le Droit se tire du fait, & que le fait dépend de la Religion des Juges, ne faut-il pas que cette Religion foit soûtenuë d'une fermeté inébranlable, & d'un courage invincible?

HARANGUE, S'IL FAUT PREFERER LA LOY au Magiftrat, ou le Magiftrat à la Loi.

V

Ous fçavez, MESSIEURS, que les Jurifconfultes confondent quelquefois la Loi & le Juge. Ils appellent le Préteur Loi vivante & animée, comme ils donnent à Loi le nom

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de Magiftrat mort & infenfible: Prætor viva vox eft populi Romani, Lex eft Prætor mortuus. Auffi voyons-nous qu'ils ont les mêmes fonctions, qu'ils font élevez à une égale puiffance, & que leurs intentions unies ne doivent tendre qu'à la même fin, Il eft fi neceffaire qu'ils demeurent liez d'une attache indiffoluble, qu'il eft impoffible qu'on les divife fans détruire cette focieté civile, & cette Juftice qu'ils forment par leur liaison. Si la Loi eft l'ame de cette Juftice, le Juge en eft l'organe ; & fi cet efprit civil, fi cette ame politique communique fa force au Magiftrat, le Magiftrat de fon côté donne de la vigueur à la Loi, lui prête fon miniftere, & la fait regner par fa conduite. On peut dire cependant qu'une action vertueufe eft préferable à une fimple vertu morte, que l'on doit auffi préferer la Jurifdiction à la Justice, le Juge à la Loi, & une Sentence vive d'un Magiftrat à l'autorité mucte d'une Jurifprudence morte & impuiffante. La Loi ne fonge qu'aux difficultez qui peuvent arriver & qui ne font encore que dans l'imagination. Lex de futuris cognofcit, Judex de præfentibus: Le Juge au contraire termine & pacifie les querelles prefentes, calme les troubles de la focieté & joignant l'exercice à l'autorité met fin au procés, au lieu de raisonner fimplement fur un point de Droit. Il aime mieux décider d'un interêt réel, & d'un incident formé, que d'en chercher la nature dans les idées de la Philofophie civile. A proprement parler, la fonction de la Loi n'a pour but que de digerer l'économie du Droit, & le devoir du Juge eft de s'attacher à la connoiffance du fait. Cependant il eft certain que le Droit ne peut naître que du fait, & que les circonstances du procés font remarquer la Juftice qui en réfulte. Ainfi il faut que les raifonnemens de la Jurifprudence s'accommodent aux particularitez du differend, que les décifions des Loix dépendent de la probité du Juge qui les applique, & que la Justice suive les mouvemens de fon équité: Neque Leges, neque Senatusconfulta ita fcribi poffunt ut omnes cafus, qui quandoque inciderint, comprehendant. De forte que la Loi fe doit contenter de regler les procés particuliers fur des idées univerfelles, & de réduire en des maximes generales une infinité de cas privez & nouveaux qu'elle n'avoit pû prévoir : Jura enim non in fingulas perfonas, fed generaliter conftituuntur. C'est à la fageffe du Magiftrat à fuppléer aux défauts & à l'imprévoyance de la Loi ; & l'on peut dire que cette fageffe eft plus noble & plus importante qu'une Loi imparfaite, qui confefle elle-même fon impuiffance. Demeu

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