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peut s'y établir un Royaume de paix, y donner des Loix par fa Tageffe, les enfeigner par fes exemples, les faire obferver par fon exactitude? Qui eft-ce qui élevant fes enfans avec amour, les conduifant avec prudence, ne doit pas attendre une reconnoiffance parfaite, un profond refpect, une affection fincere ? Qui ne s'allûre pas que par des actions glorieufes ils feront honneur à la fource dont ils font fortis ? Qui eft-ce qui s'attachant à de veritables amis, ne reçoit pas des témoignages d'une tendresse réciproque ; & qui fe plaisant à faire du bien à tout le monde, ne fe voit pas honoré par tout?

Monfieur le Chancelier a eu toutes ces vertus, & il a auffi joui de tous ces avantages. Nous voyons en fes démarches la fageffe & la fin où elle eft parvenue. Nous voyons fes travaux & les fruits qu'il en a tirez Y a-t'il rien de plus capable de nous animer qu'un exemple qui nous découvre ce que nous pou vons faire de plus grand, & ce que nous pouvons efperer de plus

heureux ?

Elevons-nous encore davantage, portons nos réflexions aux qualitez fublimes d'un homme d'Etat. Elles ne font pas à la verité de l'ufage de tout le monde, & cependant il n'y a perfonne qui ne doive s'attacher avec plaifir à les connoître & à les admirer ; & aprés tout, nous appartenons tous à l'Etat, ou pour commander, ou pour obéir, & ces chofes differentes dépendent des mêmes regles.

Les Vertus que nous propofons ici font capables d'éblouir par leur éclat extraordinaire; mais celui qui les poffede semble les adoucir par une grande retenue & un parfait détachement du fafte & de la vaine grandeur. Aprés plufieurs années d'exercice dans la Magiftrature, dont le travail quoique penible eft du moins exempt de trouble; il entre tout d'un coup dans les négociations les plus importantes; il paffe de l'Intendance de Piemont aux fecrets de l'Etat ; peu aprés il fe trouve au milieu de ces funeftes mouvemens qui troublerent le Royaume, & répandirent par tout la terreur.

Chargé de ce qu'il y a de plus difficile & de plus penible, il commence à s'approcher de Sa Majesté dans un temps de féditions, & demeure au pied du Trône pendant qu'il eft entouré d'orages. Penfez-vous que dans ce genre d'affaires fi fujet à de continuelles agitations, il fe laiffe troubler par le changement & la vanité des emplois ? Rien ne lui paroît nouveau, il femble que la Cour ait été le fejour de toute fa vie. Il demeure tranquile au

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milieu de ce qu'il y a de plus dangereux dans le Miniftere, parce que dés le commencement il s'eft fait une regle de vie, dont rien n'eft capable de l'éloigner; regle qui ne dépend ni de la Politique, ni de ces Maximes incertaines, qui ne font ordinairement que détourner l'efprit ou corrompre le cœur & affoiblir fon

innocence.

Cette Regle eft la fermeté, c'est la réfolution qu'il a prise de faire toûjours fon devoir, & d'aller à la perfection par une voye plus courte, plus droite & plus naturelle: C'est par-là que ce Miniftre fage a réüffi dans fes entreprises, & fon unique fecret a été de faire fon devoir dans les tems les plus fâcheux & les plus difficiles.

Mais il ne s'eft pas contenté de garder cette conduite, il en a fait une profeffion ouverte, & ce n'a jamais été pour s'élever par une vaine oftentation dont il n'a jamais été capable. Il a toûjours fait connoître avec fermeté qu'il ne falloit attendre de lui la vertu demandoit: il a fait ce qu'il a pû pour que ce que infpirer ce fentiment aux autres; & quand la douceur a été inutile, il s'eft fervi de fon courage, & il s'est mis audeffus de ce qui réfiftoit à ses juftes deffeins. Ne croyons pas qu'il fe foit pour cela attiré des ennemis, il a été agréable à ceux-même à qui il étoit contraire.

D'où vient que dans ces acclamations publiques il n'y a pas une voix qui foit demeurée dans le filence? D'où vient que cette joye n'a pas laiffé un feul mécontent, qui ait murmuré même dans le fond de fon cœur? Il n'en faut pas chercher d'autre caufe que cette vertu fi conftante. C'est par elle qu'il a gagné les gens de bien, qu'il a attiré même l'approbation des méchants, & qu'il s'eft fait un grand nombre d'amis illuftres & une infinité d'admirateurs.

Je ne me fervirai pas ici des autres traits qui pourroient entrer dans la peinture de ce grand Miniftre. Je ne vous reprefenterai pas cette penetration d'efprit à qui rien n'étoit caché; cette prévoyance qu'il étoit impoffible de furprendre, ces conceptions promptes & aifées, ces manieres de s'expliquer fi fortes & fi infinuantes, ces grandes vûës, ces belles reflexions, ces connoiffances univerfelles où l'on trouve tout ce que les befoins les plus inopinez peuvent demander. Tout cela eft dans ce grand Perfonnage, par les talens naturels ou par fon étude; mais je prétens le loüer par fa vertu. C'est elle qui infpire les bons Confeils, fans elle l'ambition & l'interêt terniffent les génies les plus

éclatans. C'est elle qui eft comme le veritable bien d'un homme d'Etat, & dans celui dont j'ai entrepris l'Eloge j'ai crû devoir la confiderer feule. On trouve par tout des Politiques habiles, mais on n'en trouve pas par tout en qui la pureté d'intention réponde à la force du genie, & qui ait le cœur grand comme l'efprit, & autant d'ardeur à faire le bien que de facilité à le con

noître.

Les reflexions qui me restent à faire ne font pas moins importantes que les autres, puifqu'elles regardent une vertu neceffaire à tout le monde, c'eft la Juftice. Son principal fiege eft dans la premiere region, mais elle a des degrez inferieurs qui la font defcendre aux conditions les plus communes, & dans les occafions les plus ordinaires de la focieté civile. C'est l'ornement des Grands & des Mediocres, tous la doivent chercher comme la lumiere de leur vie & la regle de leur conduite.

Cette vertu semble lui avoir été communiquée avec le fang; il eft forti, pour ainfi dire, du sein de la Magiftrature; il est né d'un Pere qui a fait paroître un merite fingulier dans cette auguste Compagnie, dont la fonction eft de rendre la Justice aux Souverains, & d'accorder les interêts des particuliers à ceux de l'Etat. Sa jeunele s'est employée à connoître la Justice, & dans un âge où cette vertu ne donne que des efperances, elle a produit une grande abondance de fruits. Auffi ne pourroit-elle trouver de fond plus fertile, ni mieux cultivé que le fien.

Ces Talens ont été augmentez par l'étude. Rempli de toutes les connoiffances qui peuvent penetrer dans les affaires les plus embaraffées, il entre dans ce qu'elles ont de plus épineux. Il donne des décifions conformes à la raifon & aux Loix. Jamais un cœur ne pouvoit être plus fidele à la Juftice que celui de ce grand Homme, qui l'a aimée comme fon unique bonheur ; qui a renoncé en fon premier âge à tout ce qui lui pouvoit être contraire pour fe donner tout à elle, lui deftinant toute la vie. Jamais il ne s'eft laffé de fes emplois, s'il n'a été appellé à quelque chofe de plus neceffaire & de plus illuftre.

Cependant pour les avoir changez, il n'a pas abandonné la jaftice, il a porté fes maximes dans le Miniftere, il s'est servi de fes lumieres & de fes préceptes pour défendre l'autorité de fon Prince, pour donner en toutes rencontres de falutaires confeils, pour s'oppofer aux entreprises criminelles, & pour se faire un plaifir de travailler au bien public, de le préferer à fa propre élevation & à fa gloire.

Il n'a donc pas ceffé d'appartenir à la justice, quand il eft entré dans les affaires d'Etat. Il s'eft uni à elle en s'approchant d'un Roi dont elle est inseparable. Il a toujours eu devant les yeux la Perfonne facrée de ce Heros en qui elle eft parfaite. Il a trouvé de grandes facilitez à la pratiquer fous un Maître qui en fait fes plus cheres delices, qui veut qu'elle regne fur tous fes Sujets, qui n'a jamais protegé perfonne contre elle, & qui lui a tout foûmis jufqu'à fa propre Grandeur.

N'est-ce pas fur elle que ce Prince regle fes faveurs ? N'eft-elle pas la difpenfatrice de fes bienfaits, & ne prend t'il pas fes confeils quand il répand fes graces fur fes fideles Sujets & qu'il leur donne une recompenfe proportionnée à leurs merites ? A t'il jamais refufé de l'écouter, quand on lui a parlé en faveur des primez, quand on lui a demandé fon tems & fes applications pour entendre les plaintes Affis fur le Tribunal, n'y a t'il pas demeuré fans reflentir l'impatience, que la difcution des affaires caufe à ceux qui y font les plus accoutumez?

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Que cet exemple eft puiffant pour obliger un Miniftre à s'ac quitter de fon devoir! Il voit la Loi dans fa fource. Il voit l'efprit de celui qui en est l'Auteur; il le connoît & il apprend à l'appli• quer avec prudence.

C'eft ainfi que Monfieur le Chancelier, aprés une longue & glorieufe interruption de fes travaux de Juge, revient à la Magiftrature avec tant d'intelligence pour les affaires, tant de zele pour la Juftice, tant d'horreur pour tout ce qui la peut bleffer, tant de douceur, de moderation & de facilité pour les affaires, que l'on ne peut fe propofer un plus excellent modele à imiter, Qu'il est beau de voir un Chancelier de France Chef de la Justice, premier Officier de la Couronne, l'Oracle du Souverain, l'Interprete de fes volontez, être toûjours fage Pere de Famille, toû jours fidele ami & toûjours officieux à tout le monde! Qu'il eft beau de voir un Chancelier & un Miniftre d'Etat tout ensemble! Quei fujet n'avons-nous pas de louer la fageffe de nôtre grand Monarque qui n'a pas voulu qu'en lui une de ces Dignitez fit place à l'autre ! Qui l'a retenu dans fon Confeil, quand il l'a donné à fon peuple, afin que nous euffions une Image de fa grandeur ; & que dans le tems que l'amour de la gloire nous enleve ce Prince pour aller étendre fes Conquêtes dans le païs ennemi, nous ayons recours à celui qu'il a éclairé de fes lumieres & animé de fon efprit.

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HARANGUE

EST DUN

HARANGUE QUE l'equité est d'uN grand fecours au Droit, & qu'elle en corrige souvent la rigueur.

MESSIEURS,

Ce feroit en vain que la Justice entreprendroit d'exercer fon Empire, de regler les ordres des Etats, & d'en affurer le repos, fi elle demeuroit enfermée dans la volonté des hommes comme une habitude impuiflante. Cette vertu qui eft née pour regner, ne pourroit ni menager les interêts de la focieté civile, ni démêler l'embarras du commerce, fi elle n'étoit éclairée & inftruite par la Prudence. Vous fçavez, MESSIEURS, que c'eft à l'entendement à conduire & à déterminer la volonté, comme c'eft à la Juftice à être accompagnée d'un veritable difcernement, & à être gouvernée par la raifon.

ce,

Cette efpece de Philofophie, que nous appellons Jurifprudendonne la connoiffance des chofes divines & humaines, & fe divife en ces deux parties que les Jurifconfultes nomment Droit & Equité. Le Droit regle les actions & les differends par des principes certains; mais ces principes font ferrez, severes & rigoureux. L'Equité vient à leur fecours, fupplée à leur défaut, & par un temperament humain elle en adoucit l'aufterité.

Que l'on ne confonde donc pas ces deux parties de la Jurifprudence; le Droit eft fouvent obfcur & quelquefois dangereux, Equité eft prefque toûjours claire & bienfaifante. Difons encore quelle eft leur nature, affignons à l'une & à l'autre leurs maximes & leurs qualitez. L'Equité n'a été inventée que pour remplir ce qu'il y auroit de vuide dans le Droit, pour lui prêter des actions utiles quand les directes ne font pas fuffifantes, & pour fournir des diftinctions que l'imprévoyance des Loix. La fageffe naturelle feroit trop foible pour démêler les differents embarras du commerce de la vie, elle eft obligée d'avoir recours aux Jurifconfultes, & d'en emprunter des lumieres qui puiffent penetrer jusques aux replis de la malice des hommes. Les premieres Loix ne contemploient les Faffions privées que dans les feules intentions des Parties qui

la raison & la neceffité substituent à

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