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vertus cachées, par leur modeftie fincere, leur douceur bienfaifante, mais foûtenuë d'une feverité inébranlable pour le bien public. Cette place où nous avons l'honneur de parler, & qu'ils ont renduë fi celebre, regrette encore aujourd'hui leur

perte; & pour me fervir des termes de Ciceron, elle femble redemander fans ceffe leur efprit & leur voix. Que ne m'eft-il permis de les ramener aujourd'hui, & de faire voir quelques rayons de ces vives lumieres qu'ils ont répanduës dans cette Cour?

Si nos efperances en font éloignées, une fi haute idée ne laiffe pas de nous porter hors de nous-mêmes, & femble nous pousfer & nous enflammer dans le defir de les imiter: Ces grands noms venerables à ceux qui aiment la Juftice & les Lettres, fe prefentant à nôtre imagination, redoublent la force de notre travail fans penfer à ces fortunes fuperbes & à toutes ces dignitez éclatantes que l'ambition pourroit fe propofer. Si la bienféance permettoit de parler de quelques perfonnes particulieres, que ne diroit-on pas de l'honneur qu'ils fe font acquis, foit à rendre la justice, foit à porter la parole dans des actions confiderables? De quelque côté que je tourne les yeux, chaque objet peut me fournir une ample matiere d'éloge. Ce Barreau qu'on peut nommer la fource feconde des Magiftrats où nous avons la gloire d'avoir reçû nos premieres inftructions: Ce Barreau, dis-je, pourroit nous fournir plufieurs de ces modeles; les uns y ont réüffi par le choix ingenieux des pensées; les autres s'y font diftinguez par des qualitez peu brillantes, mais folides, par un jugement ferme & une connoiffance generale des maximes; & aprés avoir achevé glorieusement leur courfe fe font retirez avec une réputation entiere dans l'efprit du Public comme la récompenfe de leurs travaux, & font devenus les Arbitres de la fortune des particuliers.

Quelque capacité qu'il y ait dans ces génies, ils reconnoiffent cependant que les plus celebres d'entr'eux n'ont pas au même dégré les talens qui font neceffaires pour former un parfait Orateur. Peut-être que cette perfection qu'ils fe propofent eft au-deffus de l'efprit humain; peut-être qu'elle demande une grande application, & que l'étude n'eft pas affez longue, parce la vie eft trop courte. Quoiqu'il en foit, il eft vrai de dire avec le premier des Orateurs, qu'il y a affez de diferts, mais peu d'éloquens, & qu'on ne rencontre pas aisément en une même perfonne cette éloquence ornée de toutes les graces, & enrichie de tous les avantages de la Nature & de la Doctrine.

que

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Ainfi quelque émulation qui nous anime, il faut faire un grand discernement dans l'imitation, prendre d'un chacun ce qu'il y a de bon, sans s'arrêter à aucun particulier, fût-il plus digne d'être imité que les autres. Les Anciens même, tout grands qu'ils étoient, n'ont pas atteint à ce haut point de perfection. Cependant quels Ouvrages ne nous ont-ils pas laiffez? Plus on les lit, plus on eft furpris de l'élevation de leur génie ; & pour nous fervir de la comparaison de Quintilien, nous fommes en les lifant faifis d'admiration, comme ceux qui fe promenent dans un vafte Clos, où la hauteur des arbres, l'épaiffeur des feüillages, & l'enfoncement des allées infpirent du respect pour la majefté du lieu.

Mais il ne s'enfuit pas que cette admiration que nous avons pour eux doive nous ôter l'efperance & le courage de pouvoir faire ce qu'ils ont fait; au contraire elle doit nous exciter fans ceffe à laiffer quelque chofe de nous qui puiffe fervir de modele à la pofterité. La nature n'eft pas épuifée. On voit plus que jamais parmi nous de ces génies heureux qui profitent de tout, qui rapportent tout à nôtre langue ; & qui femblables aux Abeilles qui expriment le fuc des fleurs dont elles composent leur miel, raffemblent, pour ainfi dire, dans une même ruche ce qu'il ya de plus délicat dans la Gréce & dans l'Italie.

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C'est l'avantage que les Romains eurent autrefois fur les Grecs Pourquoi ne l'aurions-nous pas fur les Grecs & fur les Romains? & quelle Langue le peut difputer à la nôtre ? Rendons-la plus belle même que ces langues mortes. Cette ambition eft digne de nous, pour fervir d'exemple à toutes les Nations. Combien le langage s'eft-il perfectionné depuis quelque tems ? Et fi on n'avoit jamais ofé s'écarter de ces traditions Gauloifes qui portent le mauvais goût, nous ferions encore plongez dans la barbarie de nos Ancêtres, & le Barreau fi amoureux des Langues étrangeres, rempliroit fes Plaidoïers de lieux communs, & de citations inutiles.

Ces grands Capitaines qui de nos jours ont fait craindre la France par toute la terre, fuivent-ils toujours pas à pas ceux des fiecles paffez L'Art d'attaquer & de défendre change felon l'invention des hommes. C'est peu d'une valeur commune aux François qui combattent fous le plus grand Prince du monde ; il faut paffer les rivieres à la nage devant les Troupes qui en défendent les bords, il faut monter, forcer, fe jetter fur des murailles heriffées de piques & toutes en feu. C'eft ainsi que les

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François bravent les perils pour meriter l'eftime de leur Roi, & ne peuvent paffer pour témeraires devant un Prince fi fage & fi courageux. Peut-on fe propofer quelque modele de prudence ou de valeur qu'il n'ait furpaffé par des actions qui ferviront de modele aux fiecles futurs ? De quelle émulation ne feront-ils pas touchez en apprenant qu'il a réfifté à toute l'Europe; que malgré tant d'injuftes ligues comme autant de violences faites à la Foi publique, lui feul conftant pour fes alliez, fidele dans fes paroles, inébranlable à la vûë d'une multitude de peuples infolens qui partageoient déja les dépouilles de la France, ne s'eft pas contenté d'une fimple défense, mais il y a gagné des Villes, enlevé des Provinces, porté la guerre, & fait fubfifter ses Armées dans le cœur de leurs païs, & terminé la Campagne par le gain de trois batailles.

Il eft certain que la profeffion des Armes & de l'Eloquence peut & doit fouvent changer de méthode, fans cela l'efprit & le coeur de l'homme ne peuvent rien produire de grand. A la verité il y a des regles qu'on ne peut trop religieulement observer; des regles dont la parfaite intelligence & l'application judicieufe donnent au difcours de l'agrément, de la force, de la majesté, de la vigueur, de la vehemence ; en un mot, tout ce qui eft neceffaire pour perfuader, pour plaire, pour remuer les paffions. Il y a auffi des exemples qu'on ne doit pas perdre de vûë, mais il faut les regarder comme les Peintres en prenant de l'un la jufteffe du trait, de l'autre la beauté des couleurs; car ne fuivre qu'un feul homme, c'eft fe rendre trop efclave.

L'Art de la parole eft le plus libre de tous les Arts: gardez ses préceptes, mais ne vous y affujettiffez pas. Soyez originaux dans vos ouvrages comme les Anciens dans les leurs, autrement l'efprit s'appefantira fous le joug de l'imitation. Imitez ceux qui ont acquis plus de réputation dans ce Barreau, rendez-vous propres leurs penfées; reffemblez - leur dans ce defir d'hondans cette paffion pour la fcience, pour le bien public, & pour la vertu. Honorez leur memoire, refpectez leur merite, admirez leurs actions, & faites tous vos efforts pour les furpaffer.

neur,

Pour nous qui voyons en ce lieu de fi grands exemples à imiter, & que tant de devoirs engagent à marcher fur les traces de nos Prédeceffeurs ; quelque émulation qu'ils nous inspirent, ne croyons pas que cette entreprife eft au deffus de nous; & quand nous ne les fuivrions que de loin, l'envie de les fuivre, l'appli A A aaa iij

M. de Lamoignon Avocat General.

cation que nous apporterons à nos Charges fuppléeront aux dé fauts d'experience & de lumiere.

HARANGUE SUR LE SERMENT DES AVOCATS les Obligations qu'il leur impofe.

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Si les Difcours qui fe font ici tous les ans n'étoient écoutez que comme des effais d'Eloquence, femblables à ces concerts de Mufique qui flatent l'oreille fans penetrer dans le cœur ; ce fe roit faire un étrange abus d'une coûtume fi fagement établie par nos Ancêtres, pour maintenir l'ordre & la difcipline de ce Barreau: Ce feroit offenfer la Juftice dans un lieu où elle a tou jours été en veneration, dans un lieu qui étant confacré par le merite de tant de fages Magiftrats, & fanctifié par les vertus de tant de grands Perlonnages qui y ont rendu leurs oracles, doit fans doute infpirer d'autres fentimens. Peut-on arrêter ses regards fur ce Trône auguste ; Trône éclatant de la Majesté de cet Empire, mais plus éclatant encore de la gloire de nos Rois, fans être touché d'un profond refpect & animé d'un defir ardent de faire des actions dignes de fa Grandeur ?

Mais c'eft principalement en ce jour que vous devez conce voir ces pensées, c'eft dans cette Ceremonie fainte où vos obligations fe renouvellent, que vous devez examiner quelle eft la force du Serment que vous avez fait en prefence de ces Magif crats venerables par leurs lumieres & par leur integrité, qui ont été les témoins de vos juremens pour être les Juges de vôtre conduite. Ce n'eft ni par le genie des Princes, ni par celui des Dieux que vous avez juré. Ce n'eft ni par l'Autel ni par Temple; Sermens autrefois fi folemnels. C'eft par le nom de celui qui fanctifie le Temple & l'Autel ; c'eft celui que vous avez pris pour le garant de vôtre foi, & pour le vengeur de vos per fidies.

l'or du

La Coûtume qui rend cette action ordinaire ne la doit pas rendre moins terrible. L'ufage qui fait qu'on s'accoûtume infenfiblement à ces chofes fans y penfer, bien loin de produire un fi funeste effet en cette occafion, ne peur qu'augmenter vôtre crain

te, & vous obliger tous les ans d'y apporter plus de respect & des difpofitions plus parfaites.

Sa perfection, dit un grand Saint, confifte dans la Verité, dans la Justice & le Jugement; fans ces conditions tous les Sermens font des parjures, & les parjures font les fources de tous les malheurs. Confiderez feulement que les plus fages Loix des Païens ont dévoué ceux qui en étoient coupables à la colere du Ciel & à l'execration de tout le monde, pour s'être noircis des deux plus grands crimes qu'il foit poffible de commettre fur la terre. L'un d'avoir méprifé la Divinité prefente au jurement; l'autre d'avoir violé la Verité, fans laquelle les plus judicieux Législateurs disent qu'il n'y a point de Religion parmi les hommes, ni de felicité parmi les Dieux.

Vous avez promis de l'aimer cette verité, de la fuivre, de la défendre par tout, de n'entreprendre jamais de Caufes injuttes, & de les rejetter quand vous en aurez connu l'injuftice. De ne point donner confeil pour favorifer les chicanes, de n'user d'aucun détour pour rendre les Procés immortels, de n'avancer que des faits certains, de ne point alterer le fens des Loix, des Coûtumes ni des Ordonnances, de fervir les pauvres comme les riches ; en un mot, de préferer la verité à toutes choses.

Que cette promeffe eft vafte & infinie! que ce titre de défenfeur de la verité comprend d'engagemens ! C'eft de facrifier vos veilles, c'est de vous donner entiers au Public, c'eft de faire vos peines des peines de vos Clients, c'eft de vivre au gré d'autrui, d'être tout pour les autres, & prefque rien pour foi. Par la religion de ce Serment, paffions, plaifirs, interêts, tout appartient à la Justice. Auffi-tôt qu'on s'eft donné à elle, chaque jour, chaque heure, chaque inftant fournit des occafions de lui faire de nouveaux facrifices, fans qu'il foit permis de jouir des biens que vous avez acquis par vôtre travail, quand il faut affurer le repos de ceux qui implorent vôtre fecours.

Glorieux, mais dur esclavage, où fous un titre fpecieux vous renoncez à vôtre liberté pour défendre celles des autres ! Affiégez de toutes parts, demandez en tous lieux, vous n'êtes pas fitôt délivrez d'un fardeau qu'on vous charge d'un autre, le dernier des malheureux aïant droit fur tous les momens de vôtre loifir.

Cependant aprés un tel engagement il n'y a point à balancer; il faut être l'esclave ou de la Justice ou de l'injustice, porter fon joug avec honneur ou le traîner avec honte. Vos fonctions, il eft vrai, font penibles, & fouvent ceux qui vous emploient font

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