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Vous voyez, Seigneur, que nous ne venons pas en ennemis, & que nous nous prefentons defarmez, nous avons mêmes les mains liées derriere le dos pour eftre privez de la feule défense que la nature nous a donnée, & pour laiffer nos corps plus expofez aux coups que l'on y voudra tirer. Nous vous amenons nos femmes, nos enfans & nos domestiques, afin de vous fupplier, ou de nous fauver tous, ou de nous faire mourir tous enfemble. Nous avons été les premiers à offrir des Victimes pour l'Empereur, nous avons donné de bon cœur aux Romains logement, meubles & fubfiftance. Nous demandons feulement pour tout ce que nous avons fait, que l'on n'innove rien dans nôtre Temple, & qu'on le laifJe tel que nos Anceftres nous l'ont laiffe. Qu'on nous accorde cette grace ou qu'on nous faffe perir. On dit qu'on affemble une Armée contre nous, mais pourquoi des Troupes ? Nous nous foumettons, nous (çavons ce que nous devons à notre Souverain ; & plûtôt que d'y manquer, nous confentons que l'on nous mette tous en pieces. Mais, Seigneur, quand il s'agit de la pureté de notre Religion, &c.

La Narration doit être fuccinte, claire & agreable. Il faut du moins qu'on la rende probable, fi l'on manque de preuves effe

Яtives.

On la fait courte & fuccinte, quand on en retranche les circonstances inutiles; que l'on y fupprime, comme nous l'avons remarqué, des articles & des conjonctions, & quelquefois même des verbes qu'on laiffe fous-entendre.

Un recit fera clair, fi l'on ne s'y fert que de termes qui foient en usage, fi la conftruction y eft nette, fi l'on y évite les équivoques & certains relatifs, qui, felon la Grammaire, se doivent rapporter à un mot, & qui ne laiffent pas de fe rapporter à un autre felon le fens.'

Il y a de l'agrément dans la Narration, fi l'on y conte quelque fait nouveau & furprenant, fi on l'embellit d'une defcription vive & naturelle, ou de quelqu'autre figure qui puiffe intereffer

& toucher les Auditeurs.

On y peut mêler de ces bons mots, de ce fel qui affaifonne les endroits où il fe trouve, & dont nous parlerons dans la fuite.

Venons à la probabilité qui eft la qualité la plus effentielle &. la plus neceffaire. Un recit fera probable, fi parlant d'une perfonne nous apportons toutes les circonftances qui peuvent infinuer l'opinion que nous en voulons donner. Ex. Si nous accufons un homme de vol, nous montrerons qu'il n'a point de bien de fa maison, qu'il n'a aucune profeffion qui le puiffe faire fubfifter, & que cependant il ne laiffe pas de jouer continuellement, & de

s'adonner à toutes fortes de débauches. Si nous l'accufons de meurtre, nous décrirons la violence de fon humeur, fa force & fon audace ; nous montrerons qu'il n'a jamais fait autre chofe que porter des armes ; nous examinerons fa mine & fa contenance, & fi nous voyons qu'il ait l'air & les manieres d'un fcelerat, nous ne manquerons pas de le faire remarquer. D'autre côté nous representerons la douceur de l'homme qui a été tué ; nous ferons voir qu'il ne s'occupoit qu'à l'éducation de fes enfans, & qu'à leur amaffer du bien par un honnête commerce.

Nous peignons auffi les paffions d'un homme felon qu'elles peuvent fervir à nôtre fujet, & nous parlons des résolutions qu'il a prifes autrefois, pour montrer celles qu'il eft capable de prendre.

Il est bon que l'Orateur exprime en termes fimples ce qu'il veut rendre probable, pour perfuader qu'il dit naturellement ce qui s'eft paffé. Il faut encore qu'il parle fans hefiter pour faire voir qu'il fuit la verité toute pure, fans mêlange de ces faufletez que l'on n'avance jamais fans quelque petite répugnance. Redifons encore que ce qui donne le plus de poids au difcours d'un Orateur, eft l'estime que l'on a déja pour la perfonne. Nous ne voyons pas que des Auditeurs perfuadez de fa probité paffent legerement à une opinion contraire, & qu'ils prennent pour imposteur un homme qu'ils n'ont jamais crû capable de diffimuler.

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De la Confirmation.

que

Confirma

E n'est pas aflez d'avoir bien raconté un fait, il faut prouver; & c'eft cette preuve, c'eft cette Confirmation, qui eft la troifiéme partie du difcours. Ariftote la nomme le nerf & tion. la force de la Harangue; & Ciceron dit que c'eft dans cette Partie que les raifons doivent autorifer ce que nous avons avancé, & nous attirer la créance des Auditeurs.

On range quelquefois les preuves par gradation en montant depuis la plus foible jufqu'à la plus forte, afin que la derniere acheve de produire l'effet que nous prétendons. Cependant il est affez ordinaire d'employer une partie des meilleures dans le commencement de la Confirmation pour difpofer ceux qui nous écoutent à nous être favorables. On garde les autres pour la fin,

Confirmation du dif

cours de LiAdor.

parce que nous devons rendre la derniere impreffion auffi puiffante qu'il nous eft poffible. Nous pouvons mettre les moindres preuves au milicu, & les citer en peu de mots, comme un fupplément de raisons plus effentielles & plus convainquantes.

Rien n'eft plus vrai, Meffieurs, que ce que j'ai dit. Les perfonnes avec qui je voyageois l'ont vù auffi-bien que les Habitans d'Ecoüy: & quand leur témoignage n'apuyeroit pas la verité que l'on a avancée, toutes les conjectures, toutes les apparences ne font-elles pas pour moi ? Eft-il vrai-femblable que je fois allé chercher Cleandre pour l'attaquer dans un pais où il a du bien, où il eft connu, où il peut avoir une infinité de gens dans fes interefts? Si j'avois formé un deffein fi contraire à mon humeur, aurois-je pris de fi fauffes mesures pour l'executer? Aurois-je choifi une voiture embarrasante étant en état d'avoir de bons chevaux pour une entreprise de cette nature? Aurois-je voulu faire mon voyage avec les premieres perfonnes que le hazard m'auroit fait rencontrer, avec une compagnie où je trouvai des Femmes, des Moines & des Plaideurs? Peut-on, Messieurs, peut-on m'accufer d'avoir commis des fautes fi groffieres? Et fi l'on me croit capable d'y tomber, pourquoi ne m'enferme-t'on pas dans les Petites-maifons pour toute ma vie, au lieu de me trainer dans vos prifons.

S'il eft difficile de prouver, il eft encore plus mal aifé de refuter les preuves. Un homme fe peut préparer pour accufer & pour faire des objections; mais un défenfeur n'a pas le même avantage, il faut qu'il paye d'une grande prefence d'efprit, qu'il foit déja accoûtumé à parler fur le champ, & qu'il ait un grand usage de ces lieux communs qui fourniffent les matieres.

La réfutation est donc cette partie du difcours qui renverse, ou du moins qui affoiblit les preuves des adverfaires. Il faut que l'on tâche de découvrir s'il y a de la fauffeté dans leurs raisons que l'on y rejette ce qui n'eft que vrai-femblable, & que l'on rende douteux ce qu'ils ont avancé comme certain. On peut faire voir que les mœurs d'un homme qu'on accufe font oppofées à l'inclination qui porte au crime qui lui eft impofé. Ex.

O Ciel! ofe-t'on dire que Philidas ait tué fon pere? le peut-on prendre pour un homme qui confume fon argent en débauches, & qui commet un parricide pour fournir aux déreglemens de fa vie par une fucceffion confiderable Eft-il rien plus contraire à la verité que ce que l'on avance? Il eft certain, Meffieurs, que Philidas eft àgé de quarante ans, qu'il vit dans l'ordre, & que l'on ne l'a jamais vû dans aucun feftin. Au lieu de manquer de bien & d'en vouloir ufurper par des voyes qui font horreur, il paffe doucement fa vie à la campagne,

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&fon économie lui fournit au delà du neceffaire, toutes les chofes qu'il peut raisonnablement (ouhaiter.

Il y a d'autres circonftances qui fervent à refuter. Exemple. Comment a-t'il pû commettre ce crime? quel fecours, quel appareil ? quels complices ?

Voïons auffi en quels termes on peut accufer. Ex. Quoi, Titus, oferois-tu dire que tu n'as pas commis ce meurtre, ne t'avons nous pas furpris courant de toute ta force & tenant encore à la main ton épée nuë &enfanglantée? Ne tremblois-tu pas ? N'avois-tu pas les yeux éga1༩༢. la peur de la punition n'étoit-elle pas peinte fur ton vifage? Peustu nier ce que tant de perfonnes ont remarqué ?

que

Réfutation

J'avoue que toutes les circonftances que tu viens de dire font vraies. mais je foutiens en même tems qu'elles ne me déclarent point coupable ou réponse. du crime que tu m'impofes. Rien n'eft plus aife, Meffieurs, que de dé. truire les artifices de mes ennemis ; je n'ai qu'à raconter fimplement ce qui caufa dans mon air & dans toute ma contenance un changement que l'on veut faire passer pour l'effet d'une mauvaise action. Il y a trois jours que je voulus aller voir mon frere à fa Métairie, lors pallant pardevant celle de Sempronius un grand chien fauta par deffus une haye, vint à moi & me mordit avant que je fusse en état de me deffendre. Il est vrai que j'y fus bien-tôt, & qu'ayant mis l'épée à la main, je la lui enfonçai dans le corps au moment qu'il venoit encore fe jetter fur moi. A peine fus-je délivré de cet animal, que je me fentis faifi d'une crainte plus cruelle que fa morfure. Je vis que cette bète écumoit, & ne doutant point qu'elle ne fut atteinte de rage; je ne doutai pas non plus qu'elle ne m'eût communiqué fon venin. Cette peur fit fur mon vifage l'effet que l'on y remarqua, & ce qui me vint le plus promptement dans l'esprit, fut de courir le plus promprement qu'il me feroit possible vers un Bourg où je connoiffais un habile Medecin. Je ne fongeai pas même à remettre mon épée dans le fourreau, & bien loin que cette circonstance puisse donner quelque foupçon à mon préjudice, j'ofe foutenir qu'elle fert à me juftifier, auli-bien que la morfure que j'ai à la jambe droite. En effet, Meßieurs j'avois commis le crime dont on m'accufe, ne me ferois-je pas prépa ré aux fuites que j'aurois apprehendées ? n'aurois-je pas caché l'inftrument du meurtre, n'aurois-je pas compofe mon vifage le plus promptement que j'aurois pû? mais il n'y a que les coupables qui foient obligez de prendre ces précautions ; mon innocence les négligea, & ne me fit fonger qu'à ma guerifon.

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Je ne vis jamais de réfutation fi fiere, fi furprenante, ni d'un plus beau fuccés, que celle dont fe fervit Scipion l'Africain, lors

qu'on l'accufa de plufieurs crimes en plein Senat. Ce grand Homme écouta paifible ment fon accufatur, & ne daignant lui répondre, il fe tourna vers les Senateurs, & leur parla avec la confiance que lui devoit donner un merite auffi extraordinaire

le fien.

que

Meffieurs, leur dit-il, ce fut en un jour tel qu'aujourd'hui que je vainquis les Carthaginois, & leur Annibal le plus redoutable ennemi que nous ayons eu. Puifque je m'en fouviens fi à propos, il est juste que j'en aille remercier les Dieux, & que par une reconnoiffance qui doit être generale vous veniez joindre vos actions de graces aux

miennes.

A ces mots dignes du Romain qui les prononçoit, tout le Senat fuivit Scipion au Capitole, & laissa l'accufateur dans la confufion que cause une calomnie fans fuccés.

On peut refuter une accufation, en faisant voir que l'accufé n'a pas apprehendé les fuites qu'il auroit dû craindre de fon crime s'il l'avoit commis. Ciceron fe fert de ce raifonnement pour montrer qu'il n'eft pas poffible que le Roi Dejotare ait entrepris fur la vie de Cefar; c'est à peu prés en ces termes qu'il s'explique.

Pourroit-on croire que Dejotare qui a reçu Cefar chez lui, ait eu l'ame affez noire pour égorger ce grand Homme en prefence de fes Dieux domestiques? Quel fujet affez puissant le pouvoit porter à éteindre la plus éclatante lumiere qui ait jamais éclairé l'Univers ? Quelle ferocité affez intrepide le pouvoit empêcher de craindre le Vainqueur de toutes les Nations? Quelle ingratitude affez barbare lui pouvoit inspi rer le deffein de tuer un Bienfaiteur qui venoit de le déclarer Roi ? Enfin, Meffieurs, par quelle furie, par quel aveuglement auroit-il commis un crime capable de lui attirer le reffentiment, la haine, & les armes des Rois fes Voifins, de nos Alliez & de toutes les Provinces Romaines, fans craindre d'enveloper dans fa perte fon Royaume, fa Maifon, fa femme & un fils qu'il aime avec une tendreffe inconcevable?

l'on re

Si le crime eft prouvé de telle forte qu'il n'y ait pas lieu de le nier, il faut oppofer à l'accufation toutes les vertus que connoît en la perfonne accufée, afin que le merite qu'elle a d'ailleurs puiffe fervir à obtenir fon pardon. Ex. Quand j'aurois avoué. Meßicurs, que Nicias s'eft emporté jufqu'à tuer Leofthene, ne faut-il. pas que l'on demeure d'accord qu'il n'y a pas d'homme dans le Royaume d'un merite plus confiderable que Nicias? Avons-nous un General qui faffe obferver plus exactement la difcipline militaire, qui ait gagné plus abfolument le cœur & la confiance des Soldats, qui, foit plus in

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