Page images
PDF
EPUB

1° Lorsque l'auteur, après avoir conçu ces Méditations dans son esprit, résolut d'en faire part au public, ce fut autant par la crainte d'étouffer la vérité qu'à dessein de la soumettre à tous les doctes. A cet effet il leur voulut parler dans leur langue et à leur mode, et renferma toutes ses pensées dans le latin et les termes de l'école. Son intention n'a point été frustrée, et son livre a été mis à la question dans tous les tribunaux de la philosophie; les objections jointes à ces Méditations le témoignent assez, et montrent bien que les savants du siècle se sont donné la peine d'examiner ses propositions avec rigueur. Ce n'est pas à moi à juger avec quel succès, puisque c'est moi qui les présente aux autres pour les en faire juges. Il me suffit de croire pour moi et d'assurer les autres que tant de grands hommes n'ont pu se choquer sans produire beaucoup de lumière.

2o Cependant ce livre passe des universités dans les palais des grands, et tombe entre les mains d'une personne trèséminente (M. le duc de Luynes). Après en avoir lu les Méditations et les avoir jugées dignes de sa mémoire, il prit la peine de les traduire en français, soit que par ce moyen il se voulût rendre plus propres et plus familières ces notions assez nouvelles, soit qu'il n'eût d'autre dessein que d'honorer l'auteur par une si bonne marque de son estime. Depuis, une autre personne (Clerselier), aussi de mérite, n'a pas voulu laisser imparfait cet ouvrage si parfait, et, marchant sur les traces de ce seigneur, a mis en notre langue les objections qui suivent les Méditations, avec les réponses qui les accompagnent, jugeant bien que, pour plusieurs personnes, le français ne rendrait pas ces Méditations plus intelligibles que le latin, si elles n'étaient accompagnées des objections et de leurs réponses, qui en sont comme les commentaires. L'auteur, ayant été averti de la bonne fortune des unes et des autres, a non-seulement consenti, mais aussi désiré et prié ces messieurs de trouver bon que ces versions fussent imprimées, parce qu'il avait remarqué que ces Méditations avaient été accueillies et reçues avec quelque satisfaction par un plus grand nombre de ceux qui ne s'appliquent

pas à la philosophie de l'école, que de ceux qui s'y appliquent. Ainsi, comme il avait donné sa première impression latine au désir de trouver des contredisants, il a cru devoir cette seconde française au favorable accueil de tant de personnes qui, goûtant déjà ses nouvelles pensées, semblaient désirer qu'on leur ôtât la langue et le goût de l'école pour les accommoder au leur.

3o On trouvera partout cette version assez juste, et si religieuse que jamais elle ne s'est écartée du sens de l'auteur. Je le pourrais assurer sur la seule connaissance que j'ai de la lumière de l'esprit des traducteurs, qui facilement n'auront pas pris le change; mais j'en ai encore une autre certitude plus authentique, qui est qu'ils ont, comme il était juste, réservé à l'auteur le droit de revue et de correction. Il en a usé, mais pour se corriger plutôt qu'eux, et pour éclaircir seulement ses propres pensées; je veux dire que, trouvant quelques endroits où il lui a semblé qu'il ne les avait pas rendues assez claires dans le latin pour toutes sortes de personnes, il les a voulu ici éclaircir par quelque petit changement que l'on reconnaîtra bientôt en conférant le français avec le latin. Ce qui a donné le plus de peine aux traducteurs dans tout cet ouvrage a été la rencontre de quantité de mots de l'art, qui, étant rudes et barbares dans le latin même, le sont beaucoup plus dans le français, qui est moins libre', moins hardi et moins accoutumé à ces termes de l'école. Ils n'ont osé pourtant les ôter partout, parce qu'il leur eût fallu alors changer le sens, ce que leur défendait la qualité d'interprètes qu'ils avaient prise. D'autre part, lorsque cette version a passé sous les yeux de l'auteur, il l'a trouvée si bonne qu'il n'en a jamais voulu changer le style, et s'en est toujours défendu par sa modestie et l'estime qu'il fait de ses traducteurs; de sorte que, par une déférence réciproque, les uns et les autres les ayant quelquefois laissés, il en est resté quelques-uns dans cet Ouvrage.

J'ajouterais maintenant, s'il m'était permis, que ce livre contenant des Méditations fort libres, et qui peuvent même sembler extravagantes à ceux qui ne sont pas accoutumés

aux spéculations de la métaphysique, il ne sera ni utile ni agréable aux lecteurs qui ne pourront appliquer leur esprit avec beaucoup d'attention à ce qu'ils lisent, ni s'abstenir d'en juger avant de l'avoir assez examiné. Mais j'ai peur qu'on ne me reproche que je passe les bornes de mon métier, ou plutôt que je ne le sais guère, de mettre un si grand obstacle au débit de mon livre par cette large exception de tant de personnes à qui je ne l'estime pas propre. Je me tais donc, et n'effarouche plus le monde; mais auparavant je me sens encore obligé d'avertir les lecteurs d'apporter beaucoup d'équité et de docilité à la lecture de ce livre; car s'ils viennent avec cette mauvaise humeur et cet esprit contrariant de quantité de personnes qui ne lisent que pour disputer, et qui, faisant profession de chercher la vérité, semblent avoir peur de la trouver, puisqu'au même moment qu'il leur en paraît quelque ombre ils tâchent de la combattre et de la détruire, ils n'en feront jamais ni profit ni jugement raisonnable. Il le faut lire sans prévention, sans précipitation, et à dessein de s'instruire, donnant d'abord à son auteur l'esprit d'écolier, pour prendre peu après celui de censeur. Cette méthode est si nécesssaire pour cette lecture, que je la puis nommer la clef du livre, sans laquelle personne ne le saurait bien entendre.

LES DOYENS ET DOCTEURS

DE LA SACRÉE FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS.

MESSIEURS,

La raison qui me porte à vous présenter cet ouvrage est si juste, et quand vous en connaîtrez le dessein, je m'assure que vous en aurez aussi une si juste de le prendre en votre protection, que je pense ne pouvoir mieux faire, pour vous le rendre en quelque sorte recommandable, que de vous dire en peu de mots ce que je m'y suis proposé. J'ai toujours estimé que les deux questions de Dieu et de l'âme étaient les principales de celles qui doivent plutôt être démontrées par les raisons de la philosophie que de la théologie; car, bien qu'il nous suffise, à nous autres qui sommes fidèles, de croire par la foi qu'il y a un Dieu, et que l'âme humaine ne meurt point avec le corps, certainement il ne semble pas possible de pouvoir jamais persuader aux infidèles aucune religion, ni quasi même aucune vertu morale, si premièrement on ne leur prouve ces deux choses par raison naturelle et d'autant qu'on propose souvent en cette vie de plus grandes récompenses pour les vices que pour les vertus, peu de personnes préféreraient le juste à l'utile, si elles n'étaient retenues ni par la crainte de Dieu, ni par l'attente d'une autre vie : et quoiqu'il soit absolument vrai qu'il faut croire qu'il y a un Dieu, parce qu'il est ainsi enseigné dans les saintes Écritures, et d'autre part qu'il faut croire les saintes Écritures, parce qu'elles tiennent de Dieu (la raison de cela est que la foi étant un don de Dieu, celui-là même qui donne la grâce pour faire croire les autres

choses la peut aussi donner pour faire croire qu'il existe), on ne saurait néanmoins proposer cela aux infidèles, qui pourraient s'imaginer que l'on commettrait en ceci la faute que les logiciens nomment un cercle.

Et de vrai j'ai pris garde que vous autres, messieurs, avec tous les théologiens, n'assuriez pas seulement que l'existence de Dieu se peut prouver par raison naturelle, mais aussi que l'on infère de la sainte Écriture que sa connaissance est beaucoup plus claire que celle que l'on a de plusieurs choses créées, et qu'en effet elle est si facile que ceux qui ne l'ont point sont coupables; comme il paraît par ces paroles de la Sagesse, chap. XIII, où il est dit que leur ignorance n'est point pardonnable; car si leur esprit a pénétré si avant dans la connaissance des choses du monde, comment est-il possible qu'ils n'en aient point reconnu plus facilement le souverain Seigneur? et aux Romains, chap. 1, il est dit qu'ils sont inexcusables; et encore au même endroit, par ces paroles, Ce qui est connu de Dieu est manifeste dans eux, il semble que nous soyons avertis que tout ce qui se peut savoir de Dieu peut être montré par des raisons qu'il n'est pas besoin de tirer d'ailleurs que de nous-mêmes, et de la simple considération de la nature de notre esprit. C'est pourquoi j'ai cru qu'il ne serait pas contre le devoir d'un philosophe si je faisais voir ici comment et par quelle voie nous pouvons, sans sortir de nous-mêmes, connaître Dieu plus facilement et plus certainement que nous ne connaissons les choses du monde.

Et pour ce qui regarde l'âme, quoique plusieurs aient cru qu'il n'est pas aisé d'en connaître la nature, et que quelquesuns aient même osé dire que les raisons humaines nous persuadaient qu'elle mourait avec le corps, et qu'il n'y avait que la seule foi qui nous enseignât le contraire; néanmoins, d'autant que le concile de Latran, tenu sous Léon X, en la session 8, les condamne, et qu'il ordonne expressément aux philosophes chrétiens de répondre à leurs arguments et d'employer toutes les forces de leur esprit pour faire connaître la vérité, j'ai bien osé l'entreprendre dans cet écrit. De plus,

« PreviousContinue »