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ment, de quelle manière toutes les questions relatives aux proportions ou aux rapports des choses sont enveloppées, et dans quel ordre on doit les chercher; ce qui constitue toute la science des mathématiques pures.

Car je remarque d'abord qu'il n'a pas été plus difficile de trouver le double de 6 que le double de 3; que pareillement, dans toutes choses, une fois la proportion trouvée entre deux grandeurs quelconques, on peut présenter mille autres grandeurs qui soient toujours dans le même rapport; et que la nature de la difficulté ne change pas, cherchât-on 3 ou 4, ou un chiffre plus élevé, parce qu'il faut découvrir ces proportions chacune à part et sans avoir égard aux autres. Je remarque ensuite que, les grandeurs 3 et 6 étant données, j'en trouve, il est vrai, facilement une troisième en proportion continue, c'est-à-dire 12; mais qu'il ne m'est pas aussi facile, deux grandeurs extrêmes étant données, c'est-à-dire 3 et 12, de trouver la moyenne, c'est-à-dire 6. Si j'en examine la raison, je vois clairement qu'il y a ici une difficulté d'une tout autre sorte que la précédente, parce que, pour trouver la moyenne proportionnelle, il faut en même temps penser aux deux extrêmes et à la proportion qui existe entre eux, afin d'en trouver une nouvelle en divisant la première; opération bien différente de celle qu'il faut faire lorsque, deux grandeurs étant données, on veut en trouver une troisième en proportion continue. Je poursuis encore, et j'examine, étant données les grandeurs 3 et 24, si les deux moyennes proportionnelles 6 et 12 sont aussi faciles à trouver l'une que l'autre. Ici se présente une autre sorte de difficulté plus embarrassante que les précédentes; car il faut penser non-seulement à un nombre ou à deux à la fois, mais à trois, pour en découvrir un quatrième. On peut aller plus loin encore, et voir si, étant donnés seulement 3 et 48, il serait encore plus difficile de trouver l'une de ces trois moyennes proportionnelles 6, 12, 24, ce qui paraît être tel au premier abord; mais on voit aussitôt que cette difficulté peut se diviser et se simplifier, si l'on ne cherche d'abord qu'une seule moyenne proportionnelle entre 3 et 48, savoir, 12; si l'on cherche ensuite une autre moyenne proportion

nelle entre 3 et 12, savoir, 6; et une autre entre 12 et 48, savoir, 24; et on se trouve ramené ainsi à la seconde sorte de difficulté déjà exposée.

D'après tout ce qui précède, je vois comment on peut arriver à la connaissance d'une même chose par deux routes différentes, dont l'une est beaucoup plus difficile et beaucoup plus obscure que l'autre; comme, par exemple, si pour trouver ces quatre nombres en proportion continue, 3, 6, 12, 24, on donne les deux conséquents 3 et 6, ou 6 et 12, ou 12 et 24, afin que par leur moyen on découvre les deux autres, la chose sera très-facile à faire; et alors nous disons que la proposition à résoudre est examinée directement. Mais si l'on donne deux nombres alternes, 3 et 12, ou 6 et 24, afin qu'avec leur aide on trouve les autres, alors nous dirons que la difficulté est examinée indirectement de la première manière: de même, si l'on donne les deux extrêmes, 3 et 24, pour découvrir avec leur aide les nombres intermédiaires 6 et 12, alors la question sera examinée indirectement de la seconde manière. Je pourrais poursuivre ainsi, et de ce seul exemple tirer beaucoup d'autres conséquences; mais celles que j'ai tirées suffiront pour que le lecteur voie ce que j'entends par une proposition déduite directement ou indirectement, et sache que les choses les plus faciles et les plus élémentaires, bien connues, peuvent, même dans les autres études, être d'un grand secours à l'homme qui apporte dans ses recherches de la sagacité et une attention réfléchie.

RÈGLE VII.

Pour le complément de la science, il faut, par un mouvement continu de la pensée, parcourir tous les objets qui se rattachent à notre but, et les embrasser dans une énumération suffisante et méthodique.

L'observation de cette règle est nécessaire pour admettre comme certaines ces vérités qui, comme nous l'avons dit plus haut, ne se déduisent pas immédiatement des principes que l'on connaît par eux-mêmes. Quelquefois, en effet, on y arrive par une si longue suite de conséquences, que difficilement on se rappelle tout le chemin qu'on a fait; c'est pour

cela que nous recommandons de suppléer à la faiblesse de la mémoire par un mouvement continu de la pensée. Si donc, par exemple, je trouve par diverses opérations, premièrement quel est le rapport entre les grandeurs A et B, ensuite quel est le rapport entre B et C, puis entre C et D, et enfin entre A et E, je ne vois pas pour cela celui qui existe entre A et E, et je ne puis le déterminer avec précision d'après les rapports connus, si je ne me les rappelle tous. C'est pourquoi je les parcourrai de temps en temps par un mouvement continu de l'imagination, en sorte qu'à la fois elle en voie un et passe à un autre, jusqu'à ce que j'aie appris à passer du premier au dernier assez rapidement pour paraître, presque sans le secours de la mémoire, les saisir tous d'un coup d'œil. Cette méthode, tout en aidant la mémoire, corrige en outre la lenteur de l'esprit et en étend pour ainsi dire la capacité.

J'ajoute que ce mouvement ne doit pas être interrompu : souvent, en effet, ceux qui trop vite, et de principes éloignés, veulent tirer une conséquence, ne parcourent pas toute la chaîne des conclusions intermédiaires avec tant de soin qu'ils n'en passent un grand nombre inconsidérément. Et certes, dès qu'on en omet une, fût-elle la moindre de toutes, la chaîne est aussitôt rompue, et toute la certitude de la conclusion disparaît.

Je dis, en outre, que l'énumération est nécessaire au complément de la science; en effet, les autres règles sont utiles pour la solution d'un grand nombre de questions, mais il n'y a que l'énumération qui puisse faire que nous portions un jugement sûr et certain sur tous les objets auxquels nous nous appliquons, et conséquemment que rien ne nous échappe entièrement, mais que nous paraissions avoir quelques lumières sur toutes choses.

L'énumération ou l'induction est donc la recherche de toul ce qui se rattache à une question donnée, et cette recherche doit être si diligente et si soignée que l'on puisse en conclure avec évidence et certitude que nous n'avons rien omis par notre faute; en sorte que si, malgré l'emploi que nous en aurons fait, la chose cherchée nous échappe, nous soyons du

moins plus savants, en ce que nous saurons fermement que pas une des voies à nous connues ne pourrait nous conduire à la découverte de cette chose, et que si par aventure, comme il arrive souvent, nous avons pu parcourir toutes les voies qui y conduisent, nous puissions affirmer hardiment que la connaissance en est au-dessus de l'intelligence humaine.

Notons en outre que, par énumération suffisante ou induction, nous entendons seulement le moyen qui sert à découvrir la vérité avec plus de certitude que ne pourrait le faire tout autre genre de preuves, excepté la simple intuition, et que toutes les fois qu'on ne peut ramener à l'intuition une connaissance quelconque, il faut rejeter les liens du syllogisme, et n'avoir foi que dans l'induction, seul recours qui nous reste; car toutes les propositions que nous déduisons immédiatement l'une de l'autre, pourvu que la déduction soit évidente, sont dès lors ramenées à une véritable intuition. Mais si nous inférons une conséquence de propositions nombreuses et disjointes, souvent la capacité de notre intelligence n'est pas assez grande pour pouvoir les embrasser toutes d'une seule intuition; auquel cas l'incertitude de cette opération doit nous suffire. De même nous ne pouvons pas d'un seul coup d'œil distinguer tous les anneaux d'une chaîne trop longue; mais néanmoins, si nous avons vu l'union de chaque anneau avec celui qui le précède et avec celui qui le suit, cela nous suffira même pour dire que nous avons vu comment le dernier se rattache au premier.

J'ai dit que cette opération doit être suffisante, parce que souvent elle peut être défectueuse, et par conséquent sujette à l'erreur. Quelquefois, en effet, tout en parcourant par la voie de l'énumération une longue suite de propositions de la plus grande évidence, si pourtant nous en omettons une seule, fût-ce la moindre, la chaîne se rompt et toute la certitude de la conclusion disparaît. Parfois aussi nous embrassons tout dans notre énumération, mais nous ne distinguons pas chaque proposition séparément, en sorte que nous n'avons du tout qu'une connaissance confuse.

Quelquefois cette énumération doit être complète, quelque

fois distincte; d'autres fois enfin elle n'a besoin d'aucun de ces deux caractères; aussi ai-je dit seulement qu'elle doit être suffisante. En effet, si je veux prouver par énumération combien de sortes d'êtres sont corporels, ou de quelle manière ils tombent sous les sens, je n'affirmerai pas qu'il y en a tant, et non davantage, si je ne sais avec certitude que je les ai tous compris dans mon énumération et distingués les uns des autres; mais si par le même moyen je veux montrer que l'âme raisonnable n'est pas corporelle, il ne sera pas besoin que l'énumération soit complète; mais il suffira de réunir tous les corps sous quelques catégories, de manière à prouver que l'âme raisonnable ne peut se rapporter à aucune d'elles. Si enfin je veux montrer par énumération que la surface d'un cercle est plus grande que celle de toutes les autres figures dont le périmètre est égal, il n'est pas besoin de passer en revue toutes les figures, mais il suffit de démontrer cela de quelques-unes en particulier pour conclure de même, par induction, à l'égard de toutes les autres.

J'ai ajouté que l'énumération doit être méthodique, nonseulement parce qu'il n'est pas de meilleur préservatif contre les défauts déjà énoncés que de tout examiner avec ordre, mais encore parce qu'il arrive souvent que s'il fallait étudier séparément chacune des choses qui ont rapport au but que nous nous proposons, la vie d'aucun homme n'y suffirait, soit parce qu'elles sont trop nombreuses, soit parce que les mêmes reviendraient souvent sous nos yeux. Mais si nous disposons toutes ces choses en bon ordre, afin que le plus souvent elles soient ramenées à des classes fixes, il suffira d'examiner exactement une seule de ces classes, ou quelque chose de toutes, ou les unes plutôt que les autres, et du moins nous ne parcourrons jamais deux fois la même chose inutilement. Cette méthode est d'un tel secours qu'elle nous fait parcourir sans peine et en peu de temps un grand nombre d'études qui, au premier abord, nous paraissaient immenses.

Mais l'ordre à suivre dans l'énumération peut très-souvent varier, et dépend de la volonté de chacun; aussi, pour qu'il soit le meilleur possible, il faut se rappeler ce qui a été dit

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