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partie du corps, ou de l'air, ou des vapeurs? Comment pouvez-vous dire qu'il n'y a point d'incidents réels qui puissent, par la toute-puissance de Dieu, être séparés de leur sujet et exister sans lui?

VIII. Comment se peut-il faire que les vérités géométriques ou métaphysiques soient immuables et éternelles, et que néanmoins elles dépendent de Dieu?

IX. La certitude de l'entendement n'est pas plus grande que celle des sens, car il n'emprunte la sienne que de la leur ; ne peut corriger l'erreur d'un sens que par un autre, l'erreur de la vue que par le toucher, comme dans l'exemple du bateau à moitié immergé.

X. Il nous faudrait une règle certaine pour reconnaître dans quel cas la distinction que nous établissons entre les choses vient de ces choses, et non de notre esprit. Addition. Mêmes objections présentées par d'autres auteurs. Des philosophes et géomètres à M. Descartes: Nous ne savons pas jusqu'où peut s'étendre la vertu des corps et de leurs mouvements, car Dieu seul peut connaître tout ce qu'il a mis dans un objet. Puisque nous comprenons que deux et trois font cinq, et mille autres vérités, aussi bien que vous, pourquoi donc ne sommes-nous pas de même convaincus, par vos idées ou par les nôtres, que l'âme de l'homme est réellement distincte du corps. et que Dieu existe?

REPONSES AUX SIXIÈMES OBJECTIONS.

I. Pour savoir qu'on pense et qu'on existe, il n'est pas besoin d'une science réfléchie sur elle-même à l'infini, mais de cette sorte de connaissance intérieure, naturelle, dont on ne peut se trouver dépourvu qu'en paroles.

II. Comme nous avons de la pensée une tout autre notion que du mouvement, nous ne pouvons confondre l'une avec l'autre. La pensée et l'étendue peuvent être réunies en unité de composition dans l'homme, mais non en unité de nature.

III. Des anges corporels pourraient avoir une âme distincte de leur corps. L'âme peut se transmettre de père en fils, sans être pour cela matérielle. Si les animaux pensent, ils ont

une âme distincte du corps; mais j'ai prouvé qu'ils ne pensaient pas.

IV. Si l'athée ne croit pas à un Dieu vérace, il ne peut être certain des choses mêmes qui lui paraissent les plus évidentes.

V. Dieu ne peut être trompeur, puisque la forme de la tromperie est un non-être vers lequel l'Etre souverain ne peut se porter. Réfutation du sens prêté aux passages de l'Écriture.

VI. L'essence de la liberté de Dieu n'est pas la même que l'essence de la liberté de l'homme; car il répugne que la volonté de Dieu n'ait pas été indifférente de toute éternité. Ce n'est pas parce que Dieu a vu qu'il était bon de créer le monde, qu'il l'a voulu; c'est parce qu'il l'a voulu, que cela été bon; et c'est parce qu'il a voulu que les angles d'un triangle soient égaux à deux droits, que cela est vrai.

VII. J'ai parlé de la superficie, qui n'a pas de profondeur, et qui, n'étant qu'un mode du corps, ne peut être une substance ou un corps. S'il y avait des accidents réels, ce seraient des substances, parce qu'ils pourraient se séparer du sujet, quand même cette séparation serait faite par la toute-puissance de Dieu.

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VIII. Il n'y a rien de ce qui subsiste, ni ordre, ni loi, ni vérité, qui ne dépende de Dieu comme d'une cause efficiente. Je ne comprends pas sans doute comment Dieu aurait faire que deux fois quatre ne fissent pas huit; mais comue je comprends très-bien que toute chose dépend de Dieu, il serait contraire à la raison de douter des choses que nous comprenons fort bien, à cause de quelques autres que nous ne comprenons pas.

IX. Il y a trois degrés dans le sens : 1° l'impression sur l'organe; 2° le sentiment de douleur, faim, soif, couleur, son, etc.; 3o le jugement qui affirme que l'objet qui est hors de moi est coloré, de telle grandeur, à telle distance, etc. Les deux premiers éléments ne sont jamais trompeurs; le troisième, qui, à proprement parler, n'appartient pas aux

mais à l'entendement, peut être erroné. Ainsi, dans l'exemple cité, c'est l'entendement qui nous fait juger que nous devons nous en rapporter au toucher plutôt qu'à la vue

DESCARTES.

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X. L'on peut penser séparément à l'immensité et à la jus tice de Dieu; cependant lorsque ces deux idées sont à la fois dans l'esprit, elles paraissent inséparables; tandis que lors même qu'on pense à l'esprit et au repos à la fois, ces deux choses n'en paraissent pas moins totalement distinctes et inconciliables. Voyant qu'il y a des corps qui ne pensent pas, j'ai jugé que la pensée peut se séparer du corps, et que si elle se trouve dans le corps de l'homme, elle y est jointe et ne fait pas un seul tout avec lui. Si l'on comprend que deux et trois font cinq, sans connaître la distinction de l'âme et du corps, cela vient de ce que le jugement abstrait du nombre n'est pas à l'usage de l'enfance et n'y est pas faussé; tandis que dès la plus tendre jeunesse on conçoit confusément l'esprit et le corps dont on est composé, et le vice de toute connaissance imparfaite est de confondre des éléments qu'on a ensuite beaucoup de peine à séparer.

SEPTIÈMES OBJECTIONS,

OU DISSERTATION TOUCHANT LA PHILOSOPHIE PREMIÈRE.

PREMIÈRE QUESTION. S'il faut tenir les choses douteuses pour fausses, et comment. De la doctrine de Descartes il résulte : 1o que nous pouvons douter de toutes choses, même des plus claires, jusqu'à ce que nous soyons assurés que Dieu existe; 2o que réputer une chose douteuse, c'est la réputer fausse, ou en assurer le contraire; 3o que si le contraire de la chose dont on doute est également incertain, on peut affirmer le contraire de ce contraire, c'est-à-dire justement la chose dout on doute.

Réponse. Si, par la règle que tout ce qui a la moindre apparence de doute doit être tenu pour faux, on entend qu'il ne faut pas s'appuyer sur les choses incertaines, la règle est lé– gitime; mais si l'on veut dire qu'il faut admettre leur contraire comme existant en effet, et s'y appuyer pour arriver à quelque chose de certain, elle est illégitime.

DEUXIÈME QUESTION. Si c'est une bonne méthode de philoso

pher que de faire une abdication generale de toutes les choses dont on peut douter. Pour juger cette méthode, il faut essayer d'en faire usage.

§ Ier. On ouvre la voie qui donne entrée à cette méthode. Vous commandez que je rejette toutes les choses que j'ai reçues en ma créance, les esprits comme les corps, et que je suive en cela votre exemple: mais quelles raisons vous ont déterminé à ce doute? Si elles sont bonnes, jamais vous ne pourrez revenir à vos premiers jugements; si elles sont mauvaises, comment peuvent-elles influer maintenant sur votre esprit? Vos motifs sont les erreurs des sens, les rêves, la folie. Mais vous devez rejeter tout ce qui a quelque apparence de doute: êtes-vous assuré que les erreurs des sens ne soient pas douteuses? Êtes-vous certain qu'il y ait des rêves et des fous? Si vous dites que oui, tout n'est donc pas douteux; si vous dites que non, comment s'appuyer sur ces opinions pour en rejeter d'autres? Avant de faire une abdication générale de toutes choses, il faudrait donc établir une règle certaine pour reconnaître celles qui seraient bien ou mal rejetées.

§ II. On prépare la voie qui donne l'entrée à cette méthode. « Cette proposition, J'existe, est, dites-vous, nécessairement « vraie, toutes les fois que je la conçois en mon esprit. »> Que parlez-vous d'esprit ? vous l'avez rejeté tout à l'heure. Pour savoir ce que vous êtes, pourquoi recherchez-vous vos anciennes opinions? vous les avez abandonnées comme incertaines.

§ III. Ce que c'est que le corps. Si vous me demandez l'opinion que je m'en étais formée autrefois, je vous répondrai qu'elle était conforme à la vôtre. Si vous voulez connaître toutes les opinions possibles sur le corps, je vous citerai celle des philosophes modernes, qui enseignent que le corps est ou étendu actuellement, ou en puissance et indivisible, susceptiple d'être mû, comme la pierre lancée en l'air, et de se mouvoir, comme la pierre qui tombe; capable de sentir, comme le chien; de penser, comme le singe; ou d'imaginer, comme le mulet.

§ IV. Ce que c'est que l'âme. Vous demandez sans doute

ici, non-seulement l'opinion que vous vous étiez formée de l'âme, mais tous les jugements qu'on en a portés autrefois ; or, quelques-uns diront que l'âme est un corps ayant les trois dimensions, etc. Puisque vous voulez prouver que l'esprit n'est pas corporel, vous devez, non pas le supposer, mais le démontrer, et répondre à toutes les objections qui peuvent vous être faites.

§ V. On tente l'entrée de cette méthode. Vous êtes quelqu'une des choses que vous croyiez être jadis ; vous croyiez qu'il appartenait à l'esprit de penser: or, vous pensez; vous êtes donc une chose qui pense, un esprit, un entendeinent, une raison. Mais j'ai cru, moi, que la pensée appartenait au corps or, je pense, donc je suis une chose qui pense, une étendue, une chose divisible. Si en vous attribuant la pensée vous prétendez prouver par là que l'âme de l'homme n'est pas corporelle, ne faites-vous pas une pétition de principes?

§ VI. L'on en tente derechef l'entrée. Vous vous demandez ce que vous avez cru que vous étiez autrefois. Mais autrefois a-t-il existé? J'ai fait une abdication générale de toutes mes croyances, je ne connais plus d'autrefois. Chercher ce que vous êtes dans ce que vous étiez, c'est admettre cette maxime : Je suis une des choses que j'ai cru être. Vous n'êtes pas certain d'avoir connu tout ce qui est dans le corps; et affirmer que vous n'êtes pas le corps, parce que vous n'êtes aucune des choses que vous y connaissiez autrefois, c'est imiter l'exemple de ce paysan qui, voyant un loup pour la première fois, s'écria que ce n'était pas un animal, parce que ce loup ne ressemblait à aucun des animaux qu'il connaissait.

§ VII. L'on tente l'entrée pour la troisième fois. Comme vous avez tout rejeté et que vous êtes, par conséquent vous n'êtes rien. Mais je nie maintenant que vous puissiez tout rejeter; car ou bien vous vous exceptez de votre proposition : Il n'y a plus rien, et alors vous êtes nécessairement quelque chose; ou vous vous y comprenez, et alors vous tombez en contradiction avec vous-même. Vous ne savez pas que vous êtes telle chose déterminée, je vous l'accorde; mais vous savez que vous êtes une chose indéterminée.

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