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le sens absolu que lui donnait Descartes. Cette méthode a été attaquée de nos jours avec une grande vigueur de dialectique par M. de La Mennais, qui a cherché à établir que l'esprit humain se trouve dans un état invincible de croyance, et que le doute absolu est une base tout à fait chimérique, puisqu'il faudrait sortir de soi-même pour se placer en dehors de toute foi quelconque. Il est important de faire à cet égard une distinction que Descartes n'a jamais faite complétement, celle des connaissances subjectives et objectives. Il est impossible que le doute s'étende jamais aux assertions subjectives, qui portent non pas sur l'étre, mais seulement sur le paraître. Quand je vois une chandelle brûler devant moi, je comprends qu'on me demande : Cette chandelle brûle-t-elle réellement, ou paraît-elle seulement brûler? Mais on ne peut pas pousser le doute plus loin, et contester que la chandelle me paraisse brûler. Comme l'a dit Mendelsohn en traitant cette question, personne n'a jamais imaginé de monter sur ses épaules pour avoir de là une perspective plus étendue. Le sceptique, qui croit douter de tout, se contredit lui-même; car tout au moins ne doute-t-il pas qu'il doute, et par conséquent qu'il pense. Toutes les assertions de ce genre: Je doute, je pense, je veux, je jouis, je souffre, etc., sont des assertions purement subjectives et relatives sur lesquelles il est impossible de se tromper, et sur lesquelles par conséquent ne peut jamais porter le doute, même le doute suspensif. L'assertion, J'existe, doit être placée dans la même catégorie: elle est à la fois subjective et objective; car, dans cette proposition, le sujet connaissant et l'objet connu sont identiques. Aussi voyons-nous que les plus grandes illusions du sommeil et de la folie ne peuvent jamais nous faire perdre le sentiment de l'existence personnelle. Le subjectif et l'objectif sont ce que Descartes appelle l'objectif et le formel; il a fait cette distinction, mais il n'en a pas déduit toutes les conséquences; il aurait pu s'en servir pour limiter et expliquer dans son vrai sens la méthode du doute suspensif.

Le Cogito, ergo sum, de Descartes, est un de ses principes les plus célèbres. On a demandé s'il fallait voir dans ce principe un syllogisme, ou s'il n'était que le simple énoncé d'un fait de conscience. Descartes ne s'explique pas sur ce sujet dans ses Méditations, dont le but est de démontrer l'existence de Dieu et l'immatérialité de l'âme; mais, dans ses réponses aux objections de ses adversaires, il fait voir très-expressément qu'il n'a pas voulu faire un syllogisme; et c'est aussi l'avis de Spinoza, qui dit, dans son exposition de la philosophie cartésienne : Cogito, ergo sum, est une seule propo

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sition qui est équivalente à celle-ci : Ego sum cogitans. Si c'était un syllogisme, il devrait y avoir des prémisses sous-entendues, sur lesquelles reposerait la certitude de l'existence personnelle. Il serait alors inexact de dire avec Descartes que cette proposition, J'existe, est tout ce qu'il y a de plus clair et de plus certain; qu'elle est la base première de toutes nos connaissances. »>

Le point de départ d'un système philosophique en détermine toujours la marche et le développement. Il est donc très-important de s'entendre sur ce point de départ cartésien de l'existence personnelle. Le Cogito, ergo sum, quoi qu'on en ait dit, renferme une véritable dualité. Sans doute le moi est déjà expliqué dans le cogito; mais c'est seulement le moi actuel de conscience, qui n'est pas la même chose que le moi substance pensante. Demander quel est le passage de l'un à l'autre, c'est demander quel est le passage de la psychologie à l'ontologie, ou, en d'autres termes, quelle est l'origine et la légitimité de la notion de substance; c'est la question fondamentale de la philosophie. Un philosophe français contemporain a attaqué le Cogito, ergo sum, de Descartes. Maine de Biran regarde la notion de substance comme étant identique à celle de force et de cause libre; il croit que ce qui nous donne la notion de notre existence personnelle, c'est le sentiment de l'effort, la vue que nous avons de nous-mêmes lorsque nous agissons librement. Il voudrait donc qu'on remplaçât la proposition de Descartes par celle-ci : Je veux, donc j'existe. Dans le système de Condillac et de toute l'école sensualiste, qui place en première ligne la sensation passive, il faudrait dire: Je sens, c'est-à-dire je jouis ou je souffre, donc j'existe. Au point de vue mystique, Anima est ubi amat, il faudrait dire : J'aime, donc j'existe. La nouvelle école allemande part, comme Descartes, de la pensée; mais elle cherche un point de départ ontologique et non psychologique. Suivant Hégel, le commencement de la philosophie doit être un point dans lequel s'identifient la pensée et la réalité, en sorte que l'on puisse faire le passage non pas par un ergo, mais par une équation. Le cogito et le sum, c'est-à-dire la pensée individuelle et l'existence individuelle, ne peuvent pas fournir cette équation: il faut partir de l'existence générale et de la pensée générale, en les considérant toutes les deux comme indéterminées. On peut poser la pensée indéterminée identique à l'existence indéterminée, qui est elle-même identique au néant. Le néant est le point de départ de la philosophie, qui procède ensuite par des conceptions successives, lesquelles deviennent de plus en plus déterminées, jusqu'à ce qu'on

arrive à la dernière conception, qui est l'esprit absolu, dans laquelle on trouve, comme dans tous les autres, l'identité de la pensée et de la réalité.

La preuve ontologique de l'existence de Dieu est un des plus grands titres de gloire de Descartes comme métaphysicien. En laissant de côté la preuve historique déduite du consentement général, et qui ne peut pas être considérée comme un argument philosophique, on peut compter trois preuves de l'existence de Dieu : 1o la preuve cosmologique, fondée simplement sur l'existence et le mouvement des choses finies, considérées comme devant se rattacher à une cause infinie; 2° la preuve physico-théologique, déduite des causes finales; 3° la preuve ontologique, qu'on appelle quelquefois la preuve de Descartes, fondée sur l'idée que nous avons de l'absolu et de l'infini. Ces trois preuves peuvent être considérées comme correspondant aux trois grandes époques de l'histoire du monde l'Orient, l'antiquité païenne, et le monde moderne. La preuve cosmologique, adoptée d'une manière exclusive, ne peut conduire qu'à une sorte d'âme du monde, telle que l'ont rêvée les panthéistes orientaux. La preuve des causes finales est celle de l'antiquité païenne; c'est celle d'Anaxagore et de Socrate; elle devait être adoptée dans une époque où régnait exclusivement l'idée du fini. Le christianisme, la religion de l'esprit et de la moralité, qui a appris aux hommes l'union intime du fini et de l'infini, pouvait seul mettre en lumière la preuve ontologique que les anciens n'ont pas même pressentie. La première conception de cette preuve est due à saint Anselme, l'un des plus grands docteurs de l'Église catholique; mais la forme sous laquelle saint Anselme présente son argument est incomplète et défectueuse : « Nous avons, dit-il, l'idée d'un être absolu et souverainement parfait. L'idée de la souveraine perfection comprend en elle celle de la réalité véritable et objective. Si Dieu n'était pas réel, s'il n'existait que dans notre esprit, nous pourrions concevoir quelque chose de plus parfait que l'absolu, ce qui est impossible. >> Descartes, qui connaissait l'argumentation de saint Anselme par la réfutation qu'en avait donnée saint Thomas, reproduit dans ses ouvrages cet argument, qui renferme cependant un paralogisme évident. Ce n'est pas là la vraie forme de la preuve ontologique; la voici telle que la donne Descartes dans ses Méditations : « Nous avons l'idée d'un être infini, absolu et souverainement parfait. D'où nous vient cette idée? Elle ne peut pas venir du néant, car le néant ne produit rien; elle ne peut pas venir des réalités finies, car alors le fini aurait produit l'infini et l'absolu: l'effet serait supé

rieur à la cause. Donc cette idée vient de Dieu : donc Dieu existe. » Après avoir prouvé l'existence de Dieu, Descartes essaie de prou ver aussi l'immatérialité de l'âme. Il la prouve par la différence des attributs de l'âme et du corps. L'attribut essentiel et distinctif de la substance intelligente, suivant Descartes, c'est la pensée; l'attribut de la substance matérielle, c'est l'étendue. Deux substances qui diffèrent par leurs attributs essentiels ne peuvent pas être identiques. L'étendue est toujours caractérisée par les trois dimensions, qui ne se trouvent pas dans les faits intérieurs. Malebranche, qui repro'duit l'argument de Descartes, se sert de l'exemple d'une aiguille qui fait un trou dans le doigt, et provoque par là une douleur. Le trou est plus ou moins grand; il peut être caractérisé par les trois dimensions. Il n'en est pas de même de la douleur, qui est un fait incorporel; elle n'a ni longueur, ni largeur, ni hauteur. Outre cet argument en faveur de la spiritualité de l'âme, Descartes en propose un autre qui a quelque rapport avec son argument en faveur de l'existence de Dieu. « J'ai l'idée de mon esprit, dit-il, non pas seulement abstraction, mais exclusion faite de l'idée de mon corps. Or, toutes les choses que je conçois comme complètes en elles-mêmes, et comme distinctes les unes des autres, sont réellement complètes et distinctes; car elles ne peuvent venir que de la réalité conçue. L'idée d'une substance pensante est distincte dans mon esprit de celle de sa substance étendue; en outre elle est complète en elle-même, car elle n'est point abstraite d'autres réalités plus complètes: donc elle correspond à une réalité véritable. »

L'immatérialité de l'âme prouve, suivant Descartes, son immortalité. Pour concevoir que l'âme est immortelle, il suffit de concevoir la pensée en tant que distincte du corps; ce dernier est une substance divisible, la première une substance indivisible. Les substances sont incorruptibles, à moins que Dieu ne leur retire son concours; le corps, pris en général, c'est-à-dire comme étendue, est donc incorruptible aussi bien que l'âme; mais il a certaines configurations qui peuvent changer : l'âme n'a point de configuration. D'ailleurs, quand on conçoit que l'âme est indépendante du corps, comme on ne voit point de cause qui la détruise, on est naturellement porté à la juger immortelle.

Le problème de la communication de l'âme et du corps était regardé au dix-septième siècle comme la question fondamentale de la philosophie : il est important de déterminer exactement le système de Descartes sur cette question. Il renferme trois élé ments distincts: 1o le système de la glande pinéale: 2o celui des

arrive à la dernière conception, qui est l'esprit absolu, dans laquelle on trouve, comme dans tous les autres, l'identité de la pensée et de la réalité.

La preuve ontologique de l'existence de Dieu est un des plus grands titres de gloire de Descartes comme métaphysicien. En laissant de côté la preuve historique déduite du consentement général, et qui ne peut pas être considérée comme un argument philosophique, on peut compter trois preuves de l'existence de Dieu : 1o la preuve cosmologique, fondée simplement sur l'existence et le mouvement des choses finies, considérées comme devant se rattacher à une cause infinie; 2° la preuve physico-théologique, déduite des causes finales; 3° la preuve ontologique, qu'on appelle quelquefois la preuve de Descartes, fondée sur l'idée que nous avons de l'absolu et de l'infini. Ces trois preuves peuvent être considérées comme correspondant aux trois grandes époques de l'histoire du monde : l'Orient, l'antiquité païenne, et le monde moderne. La preuve cosmologique, adoptée d'une manière exclusive, ne peut conduire qu'à une sorte d'âme du monde, telle que l'ont rêvée les panthéistes orientaux. La preuve des causes finales est celle de l'antiquité païenne; c'est celle d'Anaxagore et de Socrate; elle devait être adoptée dans une époque où régnait exclusivement l'idée du fini. Le christianisme, la religion de l'esprit et de la moralité, qui a appris aux hommes l'union intime du fini et de l'infini, pouvait seul mettre en lumière la preuve ontologique que les anciens n'ont pas même pressentie. La première conception de cette preuve est due à saint Anselme, l'un des plus grands docteurs de l'Église catholique; mais la forme sous laquelle saint Anselme présente son argument est incomplète et défectueuse : « Nous avons, dit-il, l'idée d'un être absolu et souverainement parfait. L'idée de la souveraine perfection comprend en elle celle de la réalité véritable et objective. Si Dieu n'était pas réel, s'il n'existait que dans notre esprit, nous pourrions concevoir quelque chose de plus parfait que l'absolu, ce qui est impossible.» Descartes, qui connaissait l'argumentation de saint Anselme par la réfutation qu'en avait donnée saint Thomas, reproduit dans ses ouvrages cet argument, qui renferme cependant un paralogisme évident. Ce n'est pas là la vraie forme de la preuve ontologique; la voici telle que la donne Descartes dans ses Méditations : « Nous avons l'idée d'un être infini, absolu et souverainement parfait. D'où nous vient cette idée? Elle ne peut pas venir du néant, car le néant ne produit rien; elle ne peut pas venir des réalités finies, car alors le fini aurait produit l'infini et l'absolu: l'effet serait supé

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